Samedi 1er, Weston

Ciel de Floride
Ciel de Floride

Lundi 3, Weston

Une lectrice de Mon père, ce tueur m’écrit « Je sors de ton récit avec beaucoup de difficulté ! » C’est la seconde personne à me dire la même chose, comme si j’entraînais les lecteurs dans une mise en abîme.


Quand je publie mes articles sur le vélo, ça discute beaucoup sur Facebook, mais pas sur mon blog, j’ai du mal à m’y faire, que tous ces échanges échappent à leur contexte.

Mardi 4, Weston

J’ai désormais publié pas mal de livres. Dans le champ romanesque, j’ai expérimenté deux façons de travailler. Le plus souvent les éditeurs ont voulu me ramener vers le grand public, ils m’ont imposé des concessions que j’ai acceptées comme un jeu (et pour un résultat catastrophique). Au contraire, avec Mon père, ce tueur, Pierre m’a poussé en moi-même, il a voulu que je sois Crouzet jusqu’au bout, donnant aux lecteurs la possibilité de me rencontrer tel que je suis. Il va de soi que c’est la seule stratégie tenable. La première me dégoûte des livres ainsi publiés.

Mercredi 5, Weston

Dernière boucle en gravel, dernier regard sur des paysages maintenant familiers, avec la quasi-certitude de ne jamais les revoir, mais sans regret, juste cette sensation douloureuse de l’écoulement du temps.

Jeudi 6, Weston

La naïveté internet. La naïveté des usagers d’internet vis-à-vis de la nature d’internet, qui par exemple disent du mal de quelqu’un dans un coin, oubliant que cette personne peut entendre. J’ai ri. Ils affirmaient que j’écrivais sur le vélo pour générer du clic et vendre mes livres. Faut être tordu pour penser des trucs pareils. Quel intérêt de cibler la communauté des cyclistes ? Aucune étude ne montre qu’elle lit plus qu’une autre, une communauté plus largement masculine que féminine, donc moins prompte à lire. Et puis convertir des visiteurs vélo en acheteurs de livres qui n’ont aucun rapport sur le vélo serait un tour de passe-passe merveilleux. Non, je n’ai pas ce genre de talent de VRP. J’écris sur le vélo pour essayer de mieux comprendre le phénomène auquel je participe. D’autres ne comprennent pas pourquoi autant écrire, tout simplement parce qu’ils sont persuadés d’avoir des réponses toutes faites, courtes et définitives. Moi, je ne crois en aucun dieu.


Je m’amuse à une expérience en publiant aujourd’hui un article de plus sur le gravel avec un titre provocant, ça marche, beaucoup de gens réagissent, comme attendu, c’est assez effrayant. Heureusement, certains ne réagissent pas. Je ne suis pas surpris, mais plus la communauté est étroite, plus elle est sure d’elle-même, plus elle est prévisible et raciste. C’est assez flippant. J’ai de la matière pour un article sociologique sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui, mais je ne l’écrirai pas, je suis ailleurs.

Vendredi 8, Weston

Nous prenons l’avion ce soir pour Barcelone. J’attendais ce moment, je ne peux pas dire que je ne suis pas prêt ni heureux, mais tourner une page dans ma vie est toujours douloureux. La sensation d’irréversibilité, d’irrémédiabilité, est alors à son climax, jusqu’à me faire souffrir. Certains vivent comme s’ils étaient immortels, ça m’arrive souvent, sauf dans ces charnières existentielles.

Le départ
Le départ

Samedi 9, Balaruc

Retour dans le sud. Promenade du soir et contraste saisissant entre le Midi « rounze » et la Floride manucurée. Là-bas, je me sentais dans un monde artificiel, j’étais prisonnier d’une carte postale aliénante. Ici, je suis dans un monde en déréliction. Par nature, je ne suis jamais content. Je vois toujours en priorité ce qui déraille. Je ferais mieux de parler de l’air à nouveau respirable.

De retour à Balaruc
De retour à Balaruc

Dimanche 10, Balaruc

Hier, nous avons loué à Barcelone une minivan pour ramener notre barda, quatre vélos, neuf valises. Aujourd’hui, nous sommes retournés à Barcelone pour le déposer. Au retour, nous avons dévié jusqu’à Cadaqués où il nous a été impossible de stationner. Nous avons échoué à Figueras, près du musée Dali, de retour dans la vieille Europe, dans notre cher sanctuaire à ciel ouvert. Malgré la fatigue, le temps reprenait peu à peu corps.

Cadaqués
Cadaqués

Lundi 11, Balaruc

On oublie vite. Mes allergies, déjà de retour. En Floride, un an sans le moindre rhume, le moindre éternuement, et me voilà avec les yeux qui piquent, le nez pris.


Première sortie gravel dans ma garrigue. Je donne du mal à mes copains en montée qui souffrent sur leur VTT, puis à mon tour de souffrir en descente. Reste que je n’ai pas mal à l’épaule gauche malgré les secousses bien plus terribles qu’en Floride. Je crois que là-bas les infinies lignes droites où on ne change jamais de position m’étaient nocives. Où est-ce les odeurs de la garrigue qui me font du bien, la vue de la mer et des étangs, de me retrouver dans mes lumières et mes collines ? Il doit y avoir de ça aussi.

En garrigue
En garrigue

Mardi 12, Balaruc

Réapprentissage douloureux de la France. Je fais la queue trente minutes à la caisse du supermarché avant de rejoindre ma voiture garée dans une zone commerciale tortueuse, étroite, absurde, non pensée, vétuste, sous un crachin pas de saison.


Pas la force de revenir à mon carnet, d’y replonger avec abandon, j’y note simplement des faits, sans réussir encore à en refaire le lieu de mes extases.

Mercredi 13, Balaruc

J’aurais aimé lire Against Interprétation de Susan Sontag quand j’étais jeune, très jeune même et que mes profs de français me demandaient d’interpréter des textes plutôt que de les éprouver dans leur immédiateté. On ne nous demandait pas d’exprimer notre ressenti, mais de cracher des théories délirantes imaginées par des esprits débiles. Ça me rendait fou.

Sontag parle aussi du style, de l’histoire de cette idée. Un sujet qui ne me parle plus beaucoup. Je n’ai jamais cherché à avoir du style, mais à être moi-même. Le style, c’est d’ailleurs ça, être soit même, irréductible, tout en étant acceptable par les autres (là, les choses se compliquent). Parce qu’on a tous plus ou moins de style, un style que nous affinons pour nous le rendre acceptable avant que d’autres puissent éventuellement l’apprécier.

Jeudi 14, Balaruc

En exergue du journal de Thoreau, une citation de Herbert : « Dare to look in thy chest; for’t is thine own ». Ai-je jamais tenté de regarder en moi-même avec objectivité et honnêteté ? Qu’est-ce que je vois ? Un ambitieux, un envieux du succès des autres, un intransigeant, un impatient. Je ne vois rien de reluisant, rien pour me rendre fier et pour justifier mon ambition, sinon une aptitude à la persévérance, malgré des accès de découragement.

Samedi 15, Balaruc

Aujourd’hui j’ai escaladé le Ventoux pour la première fois.

Dimanche 16, Balaruc

Ce soir j’ai ouvert la lettre de mon père.

L’étang
L’étang

Lundi 17, TGV pour Lille

Ma vie d’auteur reprend. Je n’étais pas monté dans un train depuis août dernier. Ce soir, nous présentons Mon père, ce tueur aux libraires lillois. Je me sens léger, si léger que j’ai l’impression que je ne trouverai rien à dire.

Peu à peu je renonce à lire la plupart des auteurs web, ni plus ni moins contemporains que ceux du papier, avec en moins le souci des lecteurs, donc une tendance à se regarder écrire qui me fiche la trouille, parce qu’il est facile de tomber dans ce piège, d’autant quand d’autres auteurs de ce sérail nous encouragent, alors ça boucle, ça se mimique, ça devient un entre soi avec des manières identifiables, des façons de structurer les phrases, de jouer des élisions.

Dans le rock, ces mimiques sont recevables, parce que constitutives du genre, mais en littérature underground, une littérature qui n’intéresse personne et pour cause, elles reviennent à creuser plus profond la tombe.

Je préfère écrire sur le vélo et lire sur le vélo. Les cyclistes ont des choses à raconter parce qu’ils vivent bien loin de l’art pour l’art qui ne se nourrit que de lui-même, oubliant qu’écrire c’est toujours un peu transmettre, et que sans éprouver d’émotions neuves et puissantes on se contente de paraphraser.

Reste que j’ai peur, parce que depuis deux ans je n’ai plus de projets ambitieux, je n’ai même plus d’ambition. Je devrais écrire une fresque, une grande histoire, mais aucun thème ne s’impose, comme si aucune nécessité ne me motivait, et distraire ne me suffit pas. Il faudrait que quelque chose se creuse en moi.


Retard à Lyon. Dehors, deux affiches publicitaires pour la ViaRhôna, la piste cyclable qui relie Sète à Genève. C’est une provocation.

En gare
En gare

Mon ami Jean-Hugues a écrit une chronique de Mon père, ce tueur qui me retourne, à double sens, elle me retourne émotivement et me force à regarder en arrière, à voir par ses yeux celui que j’ai été, et que j’ai peu conscience d’avoir été, tout au moins pas de façon aussi extrême. Je ne me suis jamais vu comme violent, et de toute évidence je l’étais, avec les mots tout au moins.

Mardi 18, Paris

Plaisir de marcher dans la ville, de voir des choses anciennes, de rencontrer des amis, c’est comme renaître après un an d’incarcération.

Jardin des plantes
Jardin des plantes

Mercredi 19, Paris

Au cours d’une conversation avec Guillaume Vissas, une idée de fiction me vient, qui prêcherait le contraire de la collapsologie. Tout le monde étant persuadé que notre civilisation va à sa perte, créer un héros optimiste, ou tout au moins qui fait une sorte de pari de Pascal. Autant croire que nous traverserons la crise climatique, parce que croire le contraire et que le contraire se passe, ce sera terrible avant et après. Mieux vaut vivre en attendant dans l’illusion que nous nous en sortirons, une illusion avec la puissance potentielle de nous aider à nous en sortir si elle est suffisamment partagée. Et puis, tant de récits post-apocalyptiques vantent un avenir sombre qu’il n’y a aucune raison de se joindre à ce troupeau. Il est temps d’être optimiste dans un monde où de plus en plus de gens sombrent dans le pessimisme.


Les auteurs web dits littéraires ont tourné le dos à la fiction, qu’ils méprisent parce qu’ils ne la maîtrisent pas. Ils sont même incapables de faire d’eux-mêmes des personnages romanesques, de plonger dans la fiction comme nous le faisons avec délectation dans nos journaux faussement intimes. Envie de m’inventer des rencontres fictives. Par exemple, raconter que j’ai déjeuné avec le Président et qu’il m’a dit beaucoup de bien de mon œuvre. Dire qu’un juré du Goncourt m’a dit que mon livre était déjà sur la liste des favoris. Le dire comme ça, au détour d’une note, et peu à peu donner de moi une image altérée, jusqu’à ce que mes lecteurs croient à mes propos, qui finiraient par devenir réalité, au moins une réalité romanesque. J’aimerais être mythomane comme mon père l’était. Peut-être ai-je hérité de son don pour raconter, sans réussir à croire à mes histoires.

Sur notre porte à Paris
Sur notre porte à Paris

Jeudi 20, TGV pour Sète

Ces trois derniers jours, j’ai croisé quelques lecteurs et lectrices de Mon père, ce tueur, tous enthousiastes. Dois-je les croire ? Un copain journaliste m’a même dit « C’est peut-être le livre avec lequel tu auras un gros succès. »

J’ai avec ce livre un rapport particulier. Alors que j’ai terminé de l’écrire il y a presque deux ans, je lui reste attaché, comme si j’étais encore en train de l’écrire. Parfois l’impression de m’être arrêté au milieu. J’en parle comme d’un livre encore en gestation, alors que d’habitude j’ai du mal à parler de mes livres achevés, parce que déjà je suis ailleurs. Cette fois, je suis encore dans cette chose et peut-être que je resterai avec elle pour toujours, après tout il s’agit du lien entre mon père et moi.

J’ai le sentiment de devoir attendre la publication, de voir où tout cela me mènera, vers une suite peut-être. Je suis à la recherche d’une énergie qui ne viendrait pas de moi, une énergie neuve qui me rechargerait et m’orienterait dans une direction inattendue.


Un paradoxe. Les grands personnages de fiction sont intelligibles, leurs actes obéissant à une causalité lisible à laquelle les lecteurs peuvent adhérer sans difficulté, ce qui provoque le sentiment d’identification et de réalisme. Dans la vie, même nos propres actes sont cryptiques. La volonté fait dérailler la causalité. La multiplicité des boucles de feed-back trouble ce jeu. Nos vies ne sont pas lisibles, bien au contraire. Au nom du réalisme littéraire, nous devrions créer de tels personnages flous, sauf qu’alors nos histoires ne seraient pas lues. Toute narration, même autobiographique, bascule dans la fiction, afin de donner un sentiment de réalité qui, en fait, trahit la réalité. Même un journal intime est fictif, alors plonger allègrement dans cette fiction.

Vendredi 21, Balaruc

Ma mère a lu Mon père, ce tueur. Elle me reproche d’avoir commencé par parler de mon père nous menaçant de nous tueur. Sans cette histoire, sans cette peur installée définitivement entre lui et moi, je n’aurais pas éprouvé le besoin d’écrire ce livre quarante ans plus tard.

Et si je n’étais pas écrivain, j’aurais ouvert la lettre de mon père le jour de sa mort, je n’aurais pas fantasmé son contenu au point de faire un roman de la vie de mon père et de notre relation. Dans cette affaire, la fiction a commencé avec le fantasme.

Samedi 22, Balaruc

Aujourd’hui, je réaménage chez moi. Je retrouve ma lumière, mon ambiance.

Sortie vélo
Sortie vélo

Dimanche 23, Balaruc

Depuis mon retour à la maison, j’ai sommeil, comme si elle me fatiguait, comme si elle impliquait un travail supplémentaire qui m’exténuerait par anticipation. Assis à mon bureau, mon fauteuil ne me va plus, trop mou, trop incliné, j’ai pris l’habitude d’une posture plus droite, plus minimaliste.

Lundi 24, Balaruc

L’écrivain ouvre son ordinateur, ouvre son éditeur de texte, l’écran est blanc, le curseur clignote. Il doit écrire, par habitude plus que par nécessité, il doit écrire pour avoir une chance d’exister au regard des autres, une chance de gagner sa vie, une chance de séduire ses lecteurs. Il en est là depuis toujours et les jours se répètent depuis trop longtemps. Maintenant il n’a même plus rien à écrire, il a tout dit, il en est réduit à écrire au sujet de son incapacité d’écrire. Ses lecteurs ne peuvent plus être que ceux qui comme lui connaissent cette impuissance de créer, atteignent ce mur vide qui jadis se peignait de paysages merveilleux.

Il voulait rencontrer d’autres écrivains, être ébloui par leur génie, il n’a jamais rencontré que des écrivains tels que lui, même moins chanceux que lui, et ceux plus chanceux au regard de leur succès ne l’ont jamais ébloui. Il aimait lire les récits initiatiques, il a dépassé l’âge de toute initiation. Sur ce point, il se trompe : il n’y a pas d’âge, seulement un degré plus ou moins élevé d’énergie, un sentiment de vie qui demande à être amplifié, jusqu’à ce qu’un peu de lumière rayonne dans le lointain et vienne le réchauffer, le faire sourire, puis éclater de rire.

Il écrit finalement pour lui, pour se placer dans le monde, pour lever les yeux vers l’infini, un instant suspendre sa phrase, puis la poursuivre où elle va seule, la retrouvant avec une jubilation intacte, car toujours elle le surprend, et le moment où elle ne le fait plus, il doit la clore, refermer son ordinateur, jusqu’à ce que le soleil le régénère et que l’envie revienne.


J’ai reçu mon extension de Visa US, je pourrai donc retourner là-bas à l’avenir. Je suis légalisé a posteriori. La Floride est déjà loin, plus loin que Londres, plus loin que Seattle, aucune lumière ambrée ne l’anime dans mon souvenir, pourtant la vie y était simple dans son provisoire, si provisoire qu’elle était une sorte de stase, un temps arrêté, une longue inspiration.

Mardi 25, Balaruc

Comment me remettre à écrire ? Je me pose cette question parce que je m’aime dans mon état écrivant, me levant avec des idées pour prolonger la journée de la veille. Et puis, il y a ce moment vers treize heures où, après quatre à cinq heures d’écriture, je me dis que la journée a été productive, et que les heures qui suivront ne seront que pour le plaisir. Sans projet d’écriture, mes journées manquent d’unité, de rythme, elles ne font que juxtaposer des moments décousus.


J’aimerais n’écrire qu’un immense livre, en plusieurs tomes, ne plus penser à rien d’autre, mais je suis versatile, incapable de voir gros et large, j’échantillonne, juxtapose, découpe, saucissonne. Je suis un auteur numérique, là est le mécanisme même du numérique, sa façon d’attraper le monde analogique. Je suis ordinateur compatible.

Les lecteurs aiment toujours les grandes œuvres monumentales. Game of Thrones est en quelque sorte une œuvre intermédiaire entre classique et numérique, classique par sa longue narration, numérique parce qu’elle juxtapose des destins, mais reste que les personnages principaux sont là du début à la fin, Tolstoï nous a déjà donné tout cela, Martin n’invente rien, il nous livre un Guerre et Paix du pauvre.

Pour aller plus loin vers le numérique, il faut écrire en mosaïque. Alors l’œuvre ne prend sens qu’au fur et à mesure que le lecteur fabrique en lui-même une continuité qui ne vaut que pour lui. Voilà ce qu’est pour moi la littérature numérique. Il ne s’agit pas de la littérature publiée sur internet, mais d’une littérature qui fonctionne de manière digitale.

J’en reviens à One Minute, toujours One Minute. Il me faudrait pousser plus loin le mécanisme, plus longtemps, construire une cathédrale avec des allumettes livrées dans de petites boîtes, une cathédrale en kit.


Une libraire : « Mon père, ce tueur est vraiment très fort. (…) Juste formidable. » Ça fait plaisir. Message qui fait monter la pression à deux mois de la sortie, me place en situation d’attente et non d’écriture. Mais je suis averti, je ne peux m’empêcher de penser à Ératosthène, tombé fin août 2014 dans un trou noir dont il n’est jamais ressorti.

Mercredi 26, Balaruc

J’ai du mal à me réapproprier la maison, à remettre mes affaires à leur place. Tout prend plus de temps que d’habitude, je vis au ralenti, sans rendement.

Jeudi 27, Balaruc

J’ai toujours rêvé d’écrire un grand récit initiatique, j’en ai rêvé alors que je n’étais initié à quoi que ce soit, juste parce que j’aimais les récits initiatiques, récits qui alors me faisaient grandir. J’ai écrit Ératosthène pour raconter mon initiation à la philosophie. Avant, j’aurais pu écrire sur mon initiation au jeu de rôle, à l’informatique, à l’amour comme aujourd’hui je pourrais écrire sur mon initiation au bikepacking. Pas vraiment un projet littéraire. Finalement le seul récit initiatique tenable est celui de sa propre vie, en revenir aux confessions de Rousseau. Je pourrais écrire mon initiation à la littérature, au comment je me suis fait peu à peu écrivain. Mon père, ce tueur pourrait être le livre premier de cette saga, à condition qu’il soit reçu comme littéraire, qu’il soit reçu tout simplement. Tout de même intéressant que ce texte soit publié par un éditeur avec qui j’ai commencé par me disputer. Ça en dit beaucoup sur Pierre : il juge les textes, seulement les textes, un auteur ne peut souhaiter rien de mieux.


Depuis mon retour, je ne discute plus vélo sur les forums, je n’ai plus le temps, plus l’envie, je fais du vélo avec mes copains. Je ne plonge dans les réseaux sociaux que quand je m’ennuie, que quand ma vie manque de plénitude. Si tout le monde souffre du même travers, et je le suppose parce que les vacances sont plus silencieuses sur le Net, j’en conclus que l’activité sociale augmente avec le malaise global. Quand nous sommes heureux, nous sommes ailleurs.

Vendredi 28, Balaruc

Plus de 45° dans l’arrière-pays, record absolu en France métropolitaine. J’aime ces journées chaudes. Une belle brise du large se lève, porteuse d’aucune humidité. Les feuilles des mûriers platanes frétillent, le grand parasol tangue gentiment, l’étang se brouille d’une buée laiteuse dans le lointain. Je n’éprouve pas la sensation d’immobilité dont j’ai le souvenir pour les journées caniculaires de mon enfance. Alors l’été était plus marqué, plus franc, les ombres plus tranchées. L’été aujourd’hui est plus mou, moins limpide. Il fait si chaud que le ciel jaunit de trop de lumière, et sur la route, au-delà de l’anse de la base nautique, des voitures climatisées passent. Voilà peut-être la différence par rapport à il y a un demi-siècle. À cette époque, l’été clouait même les automobilistes. Maintenant, ils tournent en rond avec leur clim à fond.

Samedi 29, Balaruc

L’artiste comme éponge, qui avant d’être pressé doit s’imbiber plus ou moins lentement. Combien de temps ça prendra pour moi ? Résumé d’une conversation avec mon copain Lilian.

Dimanche 30, Balaruc

Pratiquer un sport à haute dose serait une nouvelle forme de la crise de milieu de vie. Avant, les hommes se donnaient l’illusion de jeunesse en couchant avec des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux, désormais ils rivalisent avec les jeunes sur le plan athlétique, non plus dans l’espoir de retrouver leur jeunesse, mais dans celui de retarder leur vieillesse. J’ai émis cette hypothèse dans L’homme qui ne comprenait pas les femmes, un roman finalement assez autobiographique. Et peut-être que tout cela n’a rien à voir avec les hommes, mais seulement avec les femmes qui ne se laissent plus berner par les privilèges offerts par l’âge.

Sortie vélo
Sortie vélo