Mèze, la Pyramide

Je suis né au bord de l’étang, mon père y était pêcheur et chasseur comme son père et grand-père, il en connaissait le moindre recoin, il m’y a entraîné, puis j’y ai navigué en dériveur et en planche à voile, j’en ai fait le tour en kayak et bien sûr à vélo.

J’ai commencé par le vélo de route, gardant de mauvais souvenirs de retours par l’ancienne départementale Marseillan-Sète avec le vent de face alors que je devais avoir onze ou douze ans et que j’étais le seul gamin du groupe. Un jour, aux environs du domaine viticole de Listel, j’étais si près de la rupture, que j’ai volontairement roulé sur un bout de ferraille pour déchiré mon boyau.

Ces dernières années, j’ai souvent fait le tout de l’étang à VTT, y prenant bien plus de plaisir qu’à vélo de route, car me tenant à distance des voitures, presque d’un bout à l’autre de cette boucle d’une soixantaine de kilomètres.

Depuis mon retour de Floride, et surtout depuis que j’ai à nouveau le droit de pédaler après ma fracture du col du fémur, j’ai commencé à refaire le tour de l’étang avec mon gravel, éprouvant une joie enfantine, peut-être à cause des pédales plates, certain d’avoir trouvé le vélo idéal pour ce parcours, peu technique, souvent roulant, qui nous invite avant tout à savourer des paysages d’une diversité incroyable, passant des plages à la ville, des vignes aux canaux, avec des lumières sans cesse changeantes, si bien que je ne m’en lasse pas, et ne résiste pas au plaisir de vous le raconter, surtout à vous autres qui n’avez pas encore goûté du gravel (et n’avez pas été convaincus par mes articles précédents).

Balaruc les bains

Dès mon réveil, je n’ai qu’une envie : rouler. Le ciel est pur, transparent, avec un amoncellement nuageux sur les Pyrénées. J’attends midi pour manger rapidement et me mettre en route. Mon compteur indique 12°C, une température idéale pour un 15 novembre. Un léger vent marin de sud-est s’est levé, il me pousse alors que j’emprunte la piste cyclable qui passe devant chez moi, me conduit vers Balaruc le Vieux. Une fois l’épouvantable zone commerciale dépassée, mes yeux s’ouvrent, je m’arrête tous les cent mètres pour prendre des photos.

Par un amusant effet d’optique, le village médiéval révèle sa plus belle perspective, illusoirement nichée au creux des collines de la Gardiole, sur la rive la plus orientale de l’étang. Vers Sète, le ciel est plus tourmenté, des nuages montent de la mer et je sais déjà que je finirai par les rencontrer, mais pour le moment je roule vers Bouzigues sous un beau soleil.

L’étang, 15 novembre 9h30
L’étang, 15 novembre 9h30

Bouzigues

Une fois dépassée La Moulière, une boucle de l’étang coupée par l’ancienne voie ferrée où passe désormais la piste cyclable, j’arrive à un embranchement, avec deux possibilités. Si ma fracture n’était pas encore dans mon esprit, je prendrais à gauche, contournerais la pinède, puis longerais le bord de l’étang pour rejoindre le charmant port de Bouzigues, où s’alignent cafés et restaurants. Je me garde ce petit passage technique pour plus tard, je continue sur la piste cyclable bien peu intéressante jusqu’à ce qu’elle domine les parcs à huîtres.

Elle entre bientôt dans les vignes et je la quitte aussitôt pour replonger vers l’étang par une petite desserte communale comme je les aime, si étroite que les voitures s’y frottent les flancs, entre talus et murés, avec de l’herbe qui perce le macadam, des secteurs rugueux, voire défoncés, qui barrent le passage aux vélos de route, ne font aucun effet à VTT, mais deviennent joueurs avec un gravel, révélant son potentiel de machine à rouler au plus loin du trafic.

Ces dernières semaines, j’ai découvert des kilomètres et des kilomètres de ces routes où je ne croise jamais la moindre voiture et qui traversent vignes et pinèdes, montent descendent, tournent et retournent sans aucun souci d’optimisation, avec pour seule fonction de relier des exploitations agricoles ou des maisons isolées, parfois perdant leur macadam, se transformant en chemin, puis retrouvant le macadam. On les dirait imaginées pour le gravel et notre seule jouissance. J’y roule avec légèreté, les yeux brillants, car elles me révèlent des perspectives inconnues, entre les routes bruyantes et les terres plus hostiles où nous roulons à VTT.

Sète depuis la piste cyclable
Sète depuis la piste cyclable

Mèze

Après une centaine de mètres sur la départementale de Loupian, je coupe la nationale 113 par un rond-point, et replonge vers l’étang, dont le miroir se révèle par une belle perspective au-dessus d’une vigne rousse. La petite route rejoint une zone conchylicole plantée au pied d’une falaise ocre. On peut rejoindre le rivage, puis longer l’étang par un chemin, ou tourner tout de suite à droite pour éviter la zone parfois marécageuse après les fortes pluies. J’atteins alors le ruisseau de Pallas que je franchis par une passerelle branlante, mais non moins pittoresque.

Je longe le port est Mèze par la piste cyclable, rejoint La Plagette, puis le port principal entouré de cafés et restaurants, puis la Plage rive droite. Aux tennis, je tourne vers la rue de la Méditerranée pour atteindre la pointe de la Pyramide, tirant son nom d’une bouée rouge en forme de pyramide posée à quelques encablures vers le large. L’été, l’étang se teinte ici de cobalt à cause d’un faible ensablement et d’un fond rocheux.

Je quitte le macadam, me dirige vers une plage sauvage, franchit le ruisseau de Font Frats par le petit pont et j’ai alors deux possibilités. S’il n’a pas trop plu, j’emprunte le sentier au sol blanchi par les remontées de sel qui traverse un bout de biotope préservé, sinon je remonte le long du ruisseau, rejoins la piste cyclable, puis un rond-point.

Là, je peux poursuivre sur la route des Salins, soit prendre la route du Moure Blanc, ce que je fais le plus souvent, parce qu’assez vite j’emprunte des chemins avant de rejoindre plus loin la route des Salines, à un niveau où pratiquement plus la moindre voiture ne l’emprunte. Quand je suis en mode visite, je pousse jusqu’au Moure Blanc, un port conchylicole qui ne manque pas de charme, malheureusement en cul-de-sac.

La route des Salines plonge vers le domaine de Belle Mare, franchissant le ruisseau de Négue-Vaques. Là, plutôt en été, on peut tourner à gauche pour rejoindre une rive de l’étang très sauvage, mais aussi potentiellement très boueuse. Je m’y suis planté une fois à VTT. Je déconseille après une forte pluie. Je poursuis donc jusqu’à l’extrémité de la route des Salines, roulant à travers champs, avec une belle perspective sur Sète.

À ce moment, le parcours est fléché. Je tourne à gauche sur le chemin bien damé, direction la magnifique pinède de Bellevue où un arrêt s’impose. C’est un endroit magique, en surplomb, des agaves, tout en bas un ponton de guingois. Mon père venait caler des filets pendant que j’escaladais la falaise pour rejoindre le bois. Par chance, le Club-Med n’a pas réussi à s’emparer de ce coin de paradis, aujourd’hui propriété de l’État et protégé.

Le chemin joue alors entre champs et marécages avant de rejoindre une portion asphaltée. En été, on peut emprunter la route de Tarbouriech, pour rejoindre un sentier que je vous déconseille en automne et hiver. Après le domaine de Mandourne, le fléchage suggère de tourner sur la gauche. C’est un passage superbe, mais encore une fois inondé après les fortes pluies d’automne. Je préfère donc contourner ce secteur par le nord avant de plonger à travers champ vers le domaine de la Fadèze.

La descente vers Mèze
La descente vers Mèze

Marseillan

J’entre dans le village par la zone conchylicole, qui me rappelle l’étang de mon enfance. Tout y est dans son jus, entre authentique et décati. Bientôt des restaurants, puis j’atteins le port alors que les nuages menacent. C’est le plus beau moment de l’année. Personne, une belle lumière, une sorte d’indolence mole. Après quelques photos, je longe les quais, puis plutôt que de suivre la côte, je coupe par la rue qui traverse les chais de Noilly Prat, parce que j’aime son étroitesse coupe-gorge et l’odeur qui s’élève de la distillerie. La piste rouge me ramène à l’étang jusqu’à la pointe des Onglous, embouchure du canal du Midi, où accostent des péniches et des voiliers. Il y a sur ces bordures entre terre et eau une incessante activité maritime. Ça sent le voyage et l’aventure, et moi-même sur mon vélo je me sens un aventurier, peut-être parce qu’aucune voiture ne m’a encore importuné depuis mon départ.

Si j’avais une lunette surpuissante, j’apercevrais ma maison tout à l’est, au bout de l’étendue de plus en plus grise de l’étang. Je pourrais presque en éprouver de la nostalgie, car je me sens ailleurs, un simple changement de perspective d’une vingtaine de kilomètres suffit à me faire changer de monde.

Je continue sur le chemin de halage jusqu’à atteindre le pont de Marseillan plage que je franchis. Je pourrais suivre le chemin jusqu’à Agde, pourquoi pas Carcassonne, Toulouse, l’océan… mais je reste sur la piste cyclable qui me fait traverser les quartiers balnéaires. À VTT, nous bifurquons avant le pont de chemin de fer, plongeant dans le domaine de Listel, entre anciens marais salants et vignoble des sables, avec des pistes conduisant jusqu’à Sète. Il est même possible de suivre une ancienne digue, parfois à demi écroulée, très ensablée, qui longe l’étang au plus près. Je crois qu’il est désormais interdit de l’emprunter à vélo, car nous risquerions de l’endommager davantage.

Mais à gravel, je ne crains pas la piste du bord de mer, surtout en cette saison où je ne croise que de rares promeneurs. Le vent a forci, les nuages masquent le soleil, mon compteur indique 9°C, l’humidité est palpable, odorante. Je fonce nez dans le vent, question de tourner les jambes, entre dunes et dunes, entre dunes et campings déserts ou des jardiniers s’affairent.

Une roubine
Une roubine

Sète

Le mont Saint-Clair approche peu à peu. Je ne peux m’empêcher de faire des statistiques pour savoir quand j’atteindrais la ville. Je suis en mode sportif, je ne contemple plus, je ne m’arrête plus pour photographier, je fonce aussi vite que jambes encore peu entraînées me le permettent.

Je dépasse le Castellas, où il est possible de rejoindre le domaine des vins des sables, puis Listel, l’entrée officielle du domaine. Je continue sur la piste, roulant au plus près de la palissade qui retient la dune, pour me protéger du vent. C’est presque un soulagement quand j’atteins les premières habitations. Impression de retrouver la civilisation. Je me fais toujours cette réflexion. Je sais que c’est absurde, mais c’est comme si je revenais d’un long voyage.

Si j’avais de bonnes jambes, j’escaladerais Saint-Clair par la montée des Pierres-Blanches, ou pour faire honneur à mon gravel par la piste qui surplombe l’hôpital. Mais, je reste prudent. J’entre en ville par la piste cyclable de la corniche, pousse jusqu’à La Marine, avant de rejoindre le quai des Moulins, et une autre piste cyclable qui déjà me rapproche de chez moi. Je m’amuse à quelques méandres à travers vignes, prenant un malin plaisir à m’offrir quelques perspectives rares et champêtres. J’atteins mon village par le haut. Je n’ai plus qu’à me laisser glisser jusqu’à mon point de départ.

Je suis si heureux que j’ai envie d’appeler tous mes copains pour leur demander de refaire ce tour avec moi, en gravel, par tous ces chemins où je prends davantage de plaisir qu’à VTT parce qu’ils sont trop peu exigeants pour lui, et que son poids, son adhérence et son aérodynamisme ne jouent pas alors en sa faveur, ni en la mienne, me privant d’un sentiment de liberté que le gravel me restitue avec générosité.

La mer
La mer