Je tente d’écrire durant deux heures et au loin les Pyrénées lumineuses de neige me font de l’œil. Je me force à regarder mon écran et une petite voix me dit « C’est le printemps. Une journée comme ça, on ne la rate pas. » Et puis un copain me texte : « Purée ! Qu’est-ce que je fous à bosser avec un temps pareil ? » J’y tiens plus. Je charge sur mon GPS une trace confectionnée quelques jours plus tôt et j’enfourche mon gravel, ressortant pour l’occasion un cuissard court. Je n’ai pas fait cinq kilomètres que je tombe l’imper et descends les jambières.
Le printemps s’invite au milieu de l’hiver. Les amandiers débordent de fleurs, les bourgeons pointent au bout des branches, l’herbe vibre de verts électriques. J’ai l’impression de rouler dans un décor. Il y a des nuages, mais ils ne réussissent pas à masquer le soleil. Mon compteur indique dix-sept degrés.
À la hauteur de Loupian, je quitte la piste cyclable du tour de l’étang de Thau pour enfiler des chemins, parfois humides après les pluies de la semaine passée, mais jamais boueux. Des insectes filent en rase-mottes, tout excités de se réveiller si tôt dans l’année.
À travers champs, je grimpe par une piste jusqu’au domaine d’Hondrat, posé sous une pinède qui nous sert de repère quand nous oublions nos GPS. La vue se déroule, je me retourne vers Sète et le mont Saint Clair posé à l’horizon bleuté. C’est comme une première fois. Où que je porte mon regard, je découvre de nouveaux détails : un bois à explorer, une tourelle d’observation, une éolienne antique…
D’habitude, je me dirige vers l’abbaye Sainte-Marie de Valmagne, mais je l’évite, parce qu’un chemin souvent boueux m’en sépare, aussi parce qu’il y a quelques jours un paysan a menacé un copain lorsqu’il est passé sous la barrière interdisant l’accès à un bout de garrigue où il n’y a strictement rien, sinon une piste superbe. Va comprendre. J’aimerais savoir qui entretient cette piste, et je pense que mes impôts doivent y contribuer.
Je découvre un autre passage, d’ailleurs balisée par la FFC, longeant un magnifique mur soutenant des vignes impeccables et rejoignant la piste interdite à son sommet. Après la crête, je bascule vers la vallée de l’Hérault, avec à l’horizon les montagnes du Haut-Languedoc que nous traverserons fin avril lors de la GTH.
C’est en m’arrêtant pour photographier Saint-Pons-de-Mauchiens, dont l’église de dresse idéalement, que l’odeur de poireau me saisit, du moins l’odeur que j’associais aux poireaux quand durant mon enfance, à cette époque de l’année, je les cueillais avec mon père dans les vignes. Entre moi et le village, la vigne est blanche de fleurs, les fameuses fleurs qui dégagent cette odeur associée par moi aux poireaux, peut-être aussi parce qu’ils poussent non loin, et qu’eux aussi sont odorants. Une app me désigne la fleur comme une diplotaxis erucoides, autrement nommée Roquette blanche ou Roquette des vignes. Sans GPS, je ne serais sans doute jamais arrivé jusque là, sans mon téléphone je serais mort idiot et je n’aurais pas pris les photos qui m’aident à me remémorer ma balade. Tout va pour le mieux dans le monde des GAFAM.
Après Saint-Pons-de-Mauchiens, je rejoins un secteur asphalté, un bout de terre, à nouveau de l’asphalte. Un panneau déviation barre la petite route. Je devine un camion au loin. Je tente ma chance. Les cantonniers font leur pause de midi. Et voilà que l’un d’eux commence à me parler vélo. « C’est un gravel ? » Il me dit hésiter à s’y mettre et moi qui lui vends du gravel, d’autant mieux que depuis mon départ je suis frustré de rouler seul et de ne pas partager ma joie. Je fais l’éloge de nos chemins innombrables. Et lui qui me parle d’un certain Thierry Crouzet qui écrit sur le vélo. On rigole. Je repars encore plus souriant d’autant que mon compteur indique vingt-deux degrés.
J’atteins Montagnac, puis rejoins le Sentier vignes et collines, que certains diraient plus VTT que gravel, mais il n’est pas long et en monté ça passe. Il me jette au-dessus d’Aumes par une petite route éblouissante. Après le village, je retrouve des pinèdes et des singles, au détour de l’un je croise un cueilleur de poireaux, puis tout de suite après une vigne truffée de diplotaxis erucoides.
À l’approche de Castelnau-de-Guers, je m’arrête pour une photo et voilà que mon vélo reste seul debout. J’entre en suite dans les terres rouges, jouant dans un dédale de chemins pour VTT et gravel où il est facile de tourner en rond durant des heures. Je choisis la voie express qui me ramène inéluctablement vers l’étang de Thau et Sète qui pointe de nouveau le sommet de son mont Saint Clair. Il ne me reste plus qu’à me laisser glisser jusqu’à chez moi, d’autant mieux qu’un petit mistral me pousse.