Mercredi 1er, Balaruc

L’année commence dans la clarté avec l’impératif d’explorer cette transparence.

Thau
Thau
Sète
Sète
Marseillan
Marseillan
Phare des Onglous
Phare des Onglous
Phare des Onglous
Phare des Onglous
Un final en beauté
Un final en beauté
Un final en beauté
Un final en beauté
Un final en beauté
Un final en beauté

Jeudi 2, Balaruc

Dans le premier texte D’un certain Lucas, Cortázar compare son héros à une hydre dont il tente de couper les têtes une à une, mais qui toujours repoussent. Merveilleuse métaphore de la condition humaine. Ébloui, je préfère passer à un autre texte, la non moins éblouissante Route de San Giovanni de Calvino, puissante impression géographique, les mots me téléportent dans les lieux de l’enfance de Calvino et me projettent dans ma propre enfance.

Vendredi 3, Balaruc

Un envahisseur
Un envahisseur

Dimanche 5, Balaruc

Temps sublime. Je manque une grande boucle gravel à cause d’un problème mécanique. Alors je m’en vais marcher en garrigue, impression d’être avec Calvino, sur un chemin parallèle au sien. Sa Route de San Giovanni préfigure la trace, c’est un méticuleux récit de pérégrination comme j’aime les vivre pour les écrire. En nous racontant son chemin, Calvino nous donne envie de le suivre comme Stevenson dans les Cévennes. Balayant l’horizon je découvre les Pyrénées, le Ventoux et le Haut-Languedoc.

Pyrénées
Pyrénées
En Gardiole
En Gardiole
En Gardiole
En Gardiole
Frontignan
Frontignan
Fin de balade
Fin de balade
Fin de balade
Fin de balade

Mercredi 8, Maguelone

À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo

Jeudi 9, Balaruc

Je me suis mis à lire le Stevenson dans les Cévennes. Il parle de son ânesse comme nous de nos vélos : « Un chemin difficultueux affole le cheval, bref c’est un allié exigeant et incertain qui ajoute cent complications aux embarras du voyageur. Ce qu’il me fallait c’était un être peu coûteux, point encombrant, endurci, d’un tempérament calme et placide. Toutes ces conditions requises désignaient un baudet. » Et il donne un conseil fort juste à tout randonneur qu’il soit à pied ou à vélo : « J’avais résolu, sinon de camper dehors, du moins d’avoir à ma disposition les moyens de le faire. Rien n’est, en effet, plus fastidieux pour un type débonnaire, que la nécessité d’atteindre un refuge dès que vient la brune. Au surplus, l’hospitalité d’une auberge de village n’est point toujours une infaillible recommandation à qui chemine péniblement à pied. »

Lundu 13, La Grande-Motte

Canal du Rhône à Sète
Canal du Rhône à Sète
Canal du Rhône à Sète
Canal du Rhône à Sète
Canal de Lunel
Canal de Lunel
Lunel
Lunel

Mardi 14, Balaruc

Depuis une semaine, je me suis mis à écrire un roman, soixante mille signes, sortis comme ça, le début de quelque chose d’inattendu et dont la direction m’est inconnue. Un texte lancé par une phrase et dont tout le reste a découlé, la forme et le sujet. Alors reste plus de temps pour la rêverie dans le journal.


J’envoie mon texte à Pierre, je veux son avis, c’est comme si un autre l’avait écrit et que je l’avais trouvé. Je n’ai pas eu le temps d’y penser, de le rêver, il s’impose presque trop vite.

Soir
Soir
Soir
Soir

Mercredi 15, Balaruc

Parfois les gens croient que je suis de marbre, alors que je tremble à la moindre secousse, surtout quand sur le Net on me traite d’imbécile, qu’on tente de me ridiculiser. La sagesse serait de fuir les espaces nocifs, mais j’y reste parce que j’y rencontre des gens admirables, c’est le prix à payer.


Je lis un article qui me fait délirer au sujet d’une rencontre OVNI par l’US Navy en 2004. Pour moi, c’est clair : les Américains se fabriquent des OVNIS pour eux-mêmes. La preuve : ils n’ont pas le temps de voir un truc, qu’un des leurs arrive pour effacer leurs enregistrements. On a le scénario d’une série. Deux services gouvernementaux opposés, l’un cherchant à révéler une découverte que l’autre veut garder secrète — gente un nouveau missile.


L’écriture manuscrite aurait des vertus poétiques, je veux bien l’admettre, mais qui a dit que l’écriture au clavier n’en avait pas, l’écriture manuscrite permettrait de laisser une trace, de marquer son territoire, de fabriquer des archives, et justement n’est-ce pas déplacé en un temps de crise écologique. Avec le numérique, mes textes peuvent s’évanouir du jour au lendemain, tout peut partir en fumée. Je suis recyclable.

Samedi 18, Balaruc

Matin
Matin

Dimanche 19, Balaruc

J’écris un texte qui me dérange, que je n’oserai peut-être pas publier, mais qui s’impose. Je voulais attendre que Pierre me donne son avis et je continue tout de même, puis Pierre m’exprime son malaise. Tout le monde est mal avec ce texte. Pierre, Isa quand je lui en parle, moi-même. Est-ce une raison suffisante pour dire qu’il y a quelque chose ? Je n’en sais rien, je n’y comprends rien. Je me donne encore deux semaines pour plonger dans cette marée noire.

Lundi 20, Balaruc

À vélo, il y a deux catégories de cyclistes, tout au moins parmi ceux qui roulent beaucoup. Certains font la course, ils veulent être les plus forts. Quand ils vieillissent, ils veulent rester les plus forts de leur catégorie d’âge, quitte à être seulement les plus forts de leur région, ou de leur département, ou du leur ville. Ils font le chemin inverse qu’ils ont parcouru durant leur enfance. J’avoue, que ça me fiche la trouille, comme si la vie se résumait à grimper au sommet d’une montagne puis de dévaler de l’autre côté.

Pour moi, l’âge, la ville, le pays n’ont aucun sens. Quand j’écris, je ne cherche pas être le meilleur écrivain de Balaruc, je vise un absolu assez indistinct, mais pas relatif à quelques contraintes liées à mon état civil. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement à vélo. Ma pratique n’est pas liée à la performance, mais à la jouissance. Je cherche à maximiser mon plaisir, ma conscience, l’intensité des moments avec mes copains. La performance est plus théâtrale que sportive, elle se place sur un plan esthétique.


Quelques citations de Stevenson qui raisonnent avec ma pratique du bikepacking. « J’avais cherché une aventure durant ma vie entière, une simple aventure sans passion, telle qu’il en arrive tous les jours et à d’héroïques voyageurs et me trouver ainsi, un beau matin, par hasard, à la corne d’un bois du Gévaudan, ignorant du nord comme du sud, aussi étranger à ce qui m’entourait que le premier homme sur la terre, continent perdu – c’était trouver réalisée une part de mes rêves quotidiens. » À vélo, en voyage, je me sens ainsi souvent comme le premier homme.

« Je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants. »

« La nuit est un temps de mortelle monotonie sous un toit ; en plein air, par contre, elle s’écoule, légère parmi les astres et la rosée et les parfums. Les heures y sont marquées par les changements sur le visage de la nature. Ce qui ressemble à une mort momentanée aux gens qu’étouffent murs et rideaux n’est qu’un sommeil sans pesanteur et vivant pour qui dort en plein champ. »

« À la fin d’une journée éreintante le bruit cruellement répété de l’aboiement d’un chien cause une vive contrariété ; à un trimardeur de mon espèce, voilà qui représente le monde confortable et sédentaire sous son aspect le plus odieux. Il y a quelque chose du clergyman et de l’homme de loi dans cet animal domestique. S’il n’était pas punissable à coups de pierre, l’homme le plus hardi renoncerait à voyager à pied. J’ai beaucoup d’égards pour les chiens dans le cercle de famille, mais sur la route ou dormant sub divo, je les déteste ensemble et les redoute. »

Stevenson voyageait avec une ânesse surchargée. Aujourd’hui, le randonneur peut être plus confortable que lui avec un sac de moins de 6 kg. Je n’ai cessé de penser à cette évolution en le lisant. Plus rien n’est semblable tout en procurant au voyageur des sensations identiques.

Vendredi 24, Balaruc

J’écris, le texte jaillit de lui même, imprévisible, surprenant, dur, violent, comme s’il attendait depuis longtemps que je l’accepte. C’est presque effrayant, je m’y abandonne.

Samedi 25, Balaruc

Je lis Le journal américain de Calvino, j’entre dans son intimité, dans les années 1960, j’adore, je suis définitivement un lecteur de journaux et parfois frustré de ne pas accorder plus de temps au mien, surtout quand d’autres projets d’écriture m’occupent, et je vais les empiler dans les semaines qui arrivent. Ce soir, après une intense matinée vélo, une après-midi passée à construire une réplique du Stromboli avec Émile et ses copains, puis un saut à l’épicerie Bio, il ne me reste pas même la force de penser, sinon à mon histoire, imaginant des rebondissements, avec l’envie de les enchaîner par jeu, presque indéfiniment. Écrire une histoire sans fin, comme une série qui s’interromprait brutalement. Être dans le déploiement de la narration, ne pas me préoccuper d’arriver quelque part ou de retomber sur mes pieds, juste avancer, un peu comme dans la vie, sachant qu’il y aura une fin, mais sans qu’il soit nécessaire d’y penser.

Dimanche 26, Balaruc

Phrase extraite d’une réponse mail : « Tu ne me donnes pas trop envie de le lire… suis pas surpris qu’il renonce à la narration sous prétexte de littérarité, alors que l’art le plus exigeant est celui de la narration, un art vénérable qui demande beaucoup de temps avant d’être dominé. » Un auteur qui ne raconte pas brise le contrat avec le lecteur.


Moi qui jadis étais fan des macros, je n’en utilise plus ou sinon pour lancer mes sauvegardes. Alors je joue avec la fonction Raccourci d’iOS. Par exemple, possibilité d’un clic de coller des photos dans une nouvelle note Ulysses, avec un titre généré automatiquement. Pratique pour tenir un journal illustré, ou même pour prendre des notes. D’un autre clic possibilité de publier en ligne. Je réfléchis à cet usage pour mes voyages à vélo.

Lundi 27, Balaruc

Quand j’écris un roman, je ne garde rien pour plus tard, je dis tout ce que je pense pour éviter que le lecteur croie que je le manipule ou devine mes intentions. Dans mon histoire actuelle, qui pourrait titrer Les Silencieux, tous les matins je suis au bord de la falaise, sans savoir ce que je vais écrire, sinon un mince indice, noté la veille en haut d’une nouvelle feuille. Pas d’autres choix que de commencer par me relire et de retrouver la musique.

Brume
Brume

Mardi 28, Balaruc

Je suis toujours stupéfait de voir mes histoires se construire, se dérouler d’elles-mêmes à partir d’une situation de départ, et j’aime les voir se déployer, grandir, comme des enfants sur qui j’ai peu d’influence. Parfois, je suis bloqué, mais je ne lâche pas, je relis, j’essaie des choses, et un chemin apparaît qui me portera un peu plus loin. Écrire est alors un plaisir égal à celui de la randonnée. Dans ces moments, je me fiche du monde de l’édition, du succès, de la reconnaissance, j’écris et la littérature me comble. Mais arrive la fin du texte, le bébé est là, tout chaud et je répugne à le laisser mourir. Alors je commets parfois l’erreur de vouloir le publier.


Me voilà à attendre pour une radio et échographie, pas de la hanche, mais de l’épaule droite, de plus en plus douloureuse depuis le début décembre quand une accélération du métro m’a forcé à me rattraper un peu violemment à une barre. Impression que le corps ne suit plus, qu’il faut sans cesse le ménager davantage, pas simple de s’accepter vieillissant. Espoir quand je roule avec des cyclistes dix ans plus âgés que moi et qu’ils me mènent la vie dure. Espoir quand je vois Jean monter à son train de belles côtes à presque 83 ans. Quand on lui suggère de passer à l’électrique, il nous répond « Pas avant mes cent ans. » Seul problème avec cette stratégie, il roulera bientôt seul, parce qu’il est trop lent pour les jeunes comme pour les ebikers. Le jusqu’au-boutisme n’est pas toujours une bonne idée. Le médecin ne voit rien de suspect, mon mal est subtil et il devrait se résorber de lui-même, en attendant je chante à chaque torsion. Heureusement, je peux écrire et faire du vélo, mais pas tailler les arbres du jardin qui réclament pourtant toute mon attention.


Douceur printanière cet après-midi, un jour à fêter quand la météo devient à nouveau clémente pour l’écriture en extérieur. Je sors de chez mon comptable, je vais tenter de tendre vers le minimalisme administratif, je n’en peu plus des factures, de l’URSSAF, des impôts, de la TVA à verser à l’avance, puis remboursée, puis reprise. Ils sont dingues les gens qui pensent ce système, je n’aimerais pas être dans leur tête. D’ailleurs, je n’aimerais être dans la tête de personne d’autre que moi, sinon moi à nouveau jeune, aujourd’hui, avec des défis formidables, mais des perspectives faramineuses : la physique prête à s’écrouler, donc à être réinventée, avec à la prime une montagne de nouvelles applications encore inimaginables, la génétique entrant dans son heure industrielle, l’IA, la robotique, sans doute la découverte de trace de vie extraterrestre. Plus que jamais l’homme se décentrera, plus qu’après Copernic, qu’après Freud… Des villes plus écologiques, plus vertes, plus agréables, des vélos partout, des voyages dans l’espace… Pourquoi être sombre ? J’ai des enfants, oui j’aimerais être à leur place, même s’ils ne rêvent pas encore, s’ils croulent sous les mauvaises nouvelles.

Quand le soleil transperce les nuages, je ferme les yeux, j’ai presque envie de m’allonger sur mon banc comme je le fais si souvent en été, entrant peu à peu en communion avec la ville, avec les voix, les rumeurs, et la vie m’arrive de toute part, je baigne par un flux existentiel. J’ai évoqué cette expérience dans mon roman. Parfois je me dis que mon texte sonne faux, qu’il n’est pas assez profond, qu’en versant vers le thriller il perd sa pesanteur initiale. J’ai cherché à imaginer une femme pédophile, mais je n’y arrive pas, je touche à un inconcevable ou à quelque chose que je n’ai pas envie de concevoir. Après avoir créé une personne abominable, je la sauve peu à peu, je la rachète, parce qu’au fond il n’y a que cela qui m’intéresse, partir du noir pour aller vers la lumière. Ma coupable devient mon héroïne. Je me prends à l’aimer même si elle reste ambiguë.

Mercredi 29, Balaruc

À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo
À vélo

Jeudi 30, Balaruc

J’aurais écrit 170 000 signes des Silencieux en janvier, achevant une première partie qui se tient comme un texte autonome. Pierre ne voudra sans doute pas publier ce roman et s’il me disait oui j’y réfléchirais à deux fois, parce que j’ai un texte plus important à écrire et que je ne peux publier plusieurs romans par ans.

Vendredi 31, Balaruc

Le contentement de l’écriture. Se satisfaire du processus et être vivant. Les lecteurs ne sont pas une nécessité, surtout en un temps où tout le monde a une audience sur le Net. L’artiste doit se placer ailleurs s’il veut jouer son rôle d’ouvreur. Être artiste de sa vie, pour soi et non pour les autres. Alors une balade à vélo est aussi importante qu’une journée passée à écrire.


Plus j’y pense, plus je me dis que je dois arrêter là les Silencieux, la vie des personnages continuera et il est inutile de la raconter. Je pourrais donner des détails auxquels j’ai pensés, mais j’ai envie de m’en tenir à la stratégie de l’iceberg d’Hemingway, ne révéler qu’une infime partie de ce que je sais, comme si je me gardais la possibilité d’écrire une suite.


Lu chez Calvino dans Ermite à Paris. « Je suis plus libre dans mes rapports avec les écrivains du passé et je me laisse aller à des enthousiasmes sans réserve. » Idem. Il me semble que certains auteurs ont trop d’admirations affichées pour leurs contemporains, ce qui les empêche eux-mêmes de l’être.

« C’est New York, quelque chose qui n’est ni tout à fait l’Amérique ni tout à fait l’Europe, qui vous communique une charge d’énergie extraordinaire, que l’on appréhende tout de suite et que l’on possède comme si l’on y avait vécu depuis toujours. » À chacune de mes visites, j’ai eu l’impression d’être immédiatement adopté par cette ville.

« Random House obtient un grand succès avec un auteur qui signe Doctor Seuss, spécialisé dans les livres pour enfants de 5-6 ans, écrits en utilisant 300 mots maximum. » Voilà que mon projet d’Appauvrissement n’est pas neuf.

« On comprend que l’Amérique est un pays qui à 95 % manque totalement de beauté, de souffle et d’individualité, en somme un pays d’une platitude sans issue. » Je ne dirais pas ça de toute l’Amérique, mais à coup sûr d’une bonne partie de la Floride du Sud.

Turner
Turner
Turner
Turner
Turner
Turner