Discours du 16 mars 2020
Discours du 16 mars 2020

Françaises, Français, mes chers compatriotes. Je vous dois des explications qui ne sauraient plus attendre. Cette fois, je ne vais pas passer la moitié de mon discours à vous féliciter pour votre abnégation et la seconde moitié à féliciter le personnel hospitalier, les policiers et les policières, les professeurs et les pompiers, les agriculteurs et les agricultrices, les caissiers et caissières… Je suis persuadé que nous avons tous le même objectif : sortir de cette crise au plus vite et avec un coût humain minimal.

J’ai donc décidé de changer de stratégie de communication. À la suite de mes prédécesseurs, j’ai trop longtemps fait mien l’adage du Charles de Gaulle : « N’avouez jamais ! » Comme François Mitterrand, je pensais qu’exprimer des remords ou des regrets suite a une erreur était une erreur encore plus grande. Mais les temps ont changé. À l’époque des fake news, se taire ou édulcorer la vérité, c’est soi-même participer à la désinformation et entretenir les délires complotistes. C’est à brève échéance être découvert, parce que tout se sait toujours plus vite, et que nul ne peut plus prétendre à l’impunité. À partir de ce jour, j’ai donc décidé d’être franc avec vous.

Je n’avais pas pensé qu’une pandémie nous ferait chanceler aussi vite, aussi violemment, ébranlant notre démocratie, révélant l’inconséquence à tous les étages de notre organisme gouvernemental. Nous avons oublié nos principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité, les piétinant sans vergogne au nom de la raison d’État, alors qu’ils devraient en toute circonstance rester notre priorité. Je nous appelle tous à nous ressaisir, notamment les préfets et les maires qui, par excès de zèle, passent des décrets contre-productifs, annonçant des couvre-feux ou interdisant les espaces verts.

Le confinement a pour but de nous tenir les uns à distance des autres, de nous éviter de nous retrouver en trop grand nombre en certains endroits ce qui nous empêcherait de respecter les mesures de distanciation sociale et nous mettrait collectivement en danger. Plus qu’une loi, c’est une exhortation, une nécessité de santé publique. Cela ne signifie pas que vous ne devez plus sortir de chez vous, mais que vous devez limiter vos déplacements. Nous vous demandons de les justifier avant tout dans un but éducatif, pour vous faire prendre conscience que vos sorties ont un caractère exceptionnel.

J’avoue que bien souvent nous avons collectivement oublié de prendre en compte le principe élémentaire du risque/bénéfice. En ne pensant qu’aux bénéfices de certaines mesures, on en oublie les risques qui les accompagnent inévitablement, qui parfois peuvent s’avérer contre-productifs. La peur nous a trop longtemps fait oublier de pondérer nos décisions.

Un exemple. Nous vous avons interdit les sorties récréatives à plus d’un kilomètre de chez vous et pour plus d’une heure à fin de limiter vos chances d’interactions. Je pense qu’il s’agit d’une décision difficile, mais nécessaire. Il était toutefois inutile de suivre l’injonction de la Fédération Française de Cyclisme et d’interdire le vélo récréatif. Cette fédération n’a aucune compétence sanitaire, d’autant moins que depuis des années elle a un discours pour le moins ambigu au sujet du dopage. Je ne vois pas pourquoi on pourrait courir autour de chez soi ou faire de la trottinette et non du vélo. Je ne vois pas en quoi le vélo est plus dangereux que le skateboard. À la suite de nombreux médecins, je crois que le sport est bon pour la santé, hier comme aujourd’hui, et que cesser de faire du sport au moment où un virus nous frappe est une mauvaise idée, justement au moment où nous avons besoin de stimuler nos défenses immunitaires.

Je développe ce point parce qu’il montre comment une dérive se produit et aboutit peu à peu à une réduction des libertés sans fondement, une réduction des libertés pour elle-même. Nous effectuons alors un pas hors de la démocratie, un pas dont je me refuse à porter la responsabilité. Notre but est de lutter contre une pandémie non d’instaurer un État policier et répressif.

Le confinement a entraîné une recrudescence des violences conjugales, les femmes en payent déjà trop durement le prix, et ne croyez pas régler ce problème en prohibant l’alcool, vous ne feriez que compliquer la situation. Pour lutter contre les rassemblements interdits, je vous déconseille d’encourager la délation, de même que je refuse que le gouvernement utilise des données des opérateurs téléphoniques pour traquer vos déplacements. Nous ne vivons pas en dictatures. Nous devons rester fidèles à nos principes. Tous les moyens ne sont pas bons pour atteindre nos fins.

J’exhorte une nouvelle fois les préfets et les maires à plus de modération dans leurs mesures. Limitez-vous à celles déjà difficiles promulguées par le gouvernement. N’ajoutez pas en toute bonne foi votre grain de sable qui n’aura pour effet que d’enrayer une machinerie déjà bien mise à mal. Quand l’un de vous interdit ses espaces verts et autorise la chasse, je commence à m’inquiéter.

Nous devons nous ressaisir. Notre objectif est de minimiser l’incidence de la pandémie, de sauver des vies. Nous ne devons pas profiter de la situation pour libérer nos fantasmes politiques, pour croire que des décisions simplistes pourraient régler des problèmes complexes.

Comme je l’ai annoncé dans mon premier discours de crise, il sera temps une fois le calme revenu de prendre des décisions radicales, de revoir notre modèle de société, mais ce ne sera pas pour aller vers moins d’égalité, de liberté et de fraternité, bien au contraire. Si cette crise nous révèle une chose, c’est que nous sommes endormis sur nos valeurs, les croyants gravés dans le marbre, alors qu’elles doivent sans cesse être revitalisées et démultipliées pour que nous puissions vivre en bonne harmonie dans un monde qui lui n’oublie pas de se transformer.

J’en appelle à la responsabilité de chacun. Respectez la distanciation sociale, appliquez avec rigueur les gestes barrières et c’est ainsi que nous limiterons l’incidence de la pandémie. C’est d’autant plus important que, quand nous ne serons plus confinés, nous devrons perpétuer ces mesures de prévention des infections pour de longues semaines, jusqu’à ce que nous soyons certains que le virus ne circule plus. La bataille ne fait que commencer. Ne nous laissons pas détourner de notre objectif par des décisions parasites sans autre ambition que satisfaire quelques ego aux élans bien peu démocratiques. Le confinement est parti pour durer, nous devons veiller à ce qu’il reste supportable dans le respect de nos valeurs. J’ai confiance en nous tous.

Vive la démocratie, vive les Français.