Lundi 2, Balaruc

Je termine de monter mon nouveau vélo pour le bikepacking. Démangeaisons dans les pattes, envie de partir explorer avec les copains.

Nouveau vélo bikepacking
Nouveau vélo bikepacking

Mardi 3, Balaruc

Dans la boulangerie, ils portent tous des gants, mais ils n’en changent jamais. Comment leur dire que ça ne sert à rien ? Le virus ne pénètre pas par la peau. Ils feraient mieux pratiquer l’hygiène des mains à longueur de journée, de refuser les paiements en liquide, de n’avoir jamais le moindre contact direct ou indirect avec les clients.

Sète au loin
Sète au loin

Mercredi 4, Balaruc

Le mois a commencé, je ne m’en suis pas rendu compte. Je cours après le temps, ne cesse de lire sur le coronavirus, finis par publier un article aujourd’hui. Une infirmière me répond qu’elle se lave les mains avec du savon et qu’elle se porte très bien. C’est tout le problème de la prévention et du contrôle des infections. On ne le fait pas que pour se protéger, mais avant tout pour protéger les autres (c’est aussi le principe de la vaccination). De temps en temps, cette infirmière se lave les mains avec de l’eau et du savon, sans prendre son temps, et entre temps, elle infecte ses patients. Elle va plus loin : elle me dit que personne n’a jamais démontré l’efficacité des solutions hydro-alcoolique, donc que Didier serait un charlatan. Que répondre à l’obscurantisme ?

Jeudi 5, Balaruc

L’OMS relève le taux de mortalité du coronavirus à 3,4 %. C’est absurde. Pour connaître le taux de mortalité, il faut connaître le nombre réel de cas, or nous ne connaissons que les cas identifiés, seulement une fraction de la totalité. Annoncer un tel taux de mortalité, presque celui de la grippe espagnole de 1918-1919, c’est juste irrationnel, à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie pour faire réagir les gouvernements et leur faire prendre des mesures radicales (même Trump n’y croit pas, pour une fois je suis d’accord avec lui).

Vendredi 6, Balaruc

J’écris « publié » à la place de « oublié », une lettre de différence pour passer de la publication à l’oubli. Ce serait beau si la publication empêchait l’oubli.


Je passe devant une boutique récemment rénovée. La patronne que je connais depuis toujours me demande ce que j’en pense, puis elle me dit « Je ne t’approche pas, je suis en quarantaine. » Elle m’apprend qu’elle rentre d’Italie du Nord et qu’elle doit rester confinée. Mais qu’est-ce que tu fais dans ta boutique ?

À vélo, Bellevue
À vélo, Bellevue

Dimanche 8, Balaruc

Pourquoi collectivement avons-nous du mal à prendre en compte les consignes élémentaires d’hygiènes. Est-ce si difficile de ne pas se faire la bise ou de ne pas se serrer la main ? Tout le monde craint le virus, mais individuellement personne n’agit pour lui barrer la route, laissant aux autres cette tâche. Le but n’est pas d’empêcher les gens de vivre, mais de ralentir la pandémie pour que les hôpitaux puissent l’absorber, ce qu’ils ne réussissent plus à faire en Italie, les médecins étant forcés de laisser mourir les malades les plus âgées (personne ne parle encore publiquement de cette horreur, mais le mot passe de médecin en médecin — au point que certains n’ont plus le courage de regarder leurs patients dans les yeux). Quand un système de santé prend une pandémie de plein fouet, il bascule en médecine de guerre : on ne tente de sauver que les plus jeunes et on abandonne les autres.

Randonnée VTT avec les copains
Randonnée VTT avec les copains

Lundi 9, Balaruc

J’attrape par hasard un livre d’Annie Ernaux, L’Occupation, c’est une première avec elle, une musique, une danse, une écriture comme une drogue, toutes les phrases devant aller au bout de leur musique quitte à en dire plus que nécessaire. Je comprends comment on peut être séduit par cette liqueur douce, mais manque la dimension narrative, on reste à la surface, dans un après Duras mal digéré. Alors j’ouvre La transparence des choses de Nabokov est dès la première phrase je trouve ce qui me manque chez Ernaux, le souffle, l’épaisseur, l’immédiate conscience d’une polyphonie vertigineuse, la présence d’une intelligence implacable là où Ernaux voudrait être ma copine lors d’une conversation de café.

Mercredi 11, Balaruc

Longue balade gravel. Je roule vers l’ouest, toujours plus loin, avec les Pyrénées blanches en ligne de mire. C’est somptueux. Je ne voudrais être nulle part ailleurs, pas même devant mon clavier à écrire. J’ai déjà assez écrit. Un lecteur, je ne sais pas si je dois l’appeler ainsi, suite à la republication d’un vieil article, me demande de le lui résumer en dix lignes parce que justement je tirerais à la ligne. Dire que cet article est déjà le résumé du Geste qui sauve. Si lire vous fatigue, ne lisez plus, et ne m’emmerdez pas. Comme ces chasseurs qui ce matin, alors que la chasse est fermée, faisaient une battue administrative ordonnée par le préfet. Foutage de gueule. S’il y a trop de sangliers, installez des pièges et arrêtez de nous menacer avec vos armes. La chasse ne devrait être autorisée que sur les terrains privés. Là, ils m’ont imposé un détour par une route alors que je voulais passer par un chemin public, en plus balisée VTT par la fédération française de cyclisme. Tout est normal, comme ces avions qui volent à vide pour que les compagnies ne perdent pas leurs lignes au profit d’autres compagnies. Il y a des jours où l’absurdité m’ensevelit, heureusement la lumière est encore plus forte. Elle surpasse les pingreries et les fait oublier. Même à la veille de la fin du monde, elle pourrait encore être sublime.

Les Pyrénées au bout de la route
Les Pyrénées au bout de la route
Les chemins que j'aime
Les chemins que j'aime
Toujours les Pyrénées
Toujours les Pyrénées

Jeudi 12, Balaruc

Je ne suis pas en train d’écrire un livre d’actualité, mais l’actualité s’en mêle. Je n’ai jamais passé autant de temps plongé dans les news. Mon but étant bien sûr de traiter l’affaire sous la perspective de la prévention et du contrôle des infections. Je suis conscient que je perds un temps phénoménal à lire toujours les mêmes informations, avec la certitude d’oublier les plus importantes. Je devrais écrire tout de suite, mais quoi écrire, à part évoquer l’inconscience des gens qui n’arrive pas à prendre les mesures sanitaires avec sérieux. Cette crise suffit à démontrer pourquoi nous n’agirons pas pour le climat.


Le Président déclare : « Nous aurons appris, et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences. » Des mots, rien que des mots ? Si c’est juste pour assurer notre autonomie en masques, ça sera bien triste. Mais on peut rêver une remise en question plus radicale de la mondialisation et de certaines de ses interdépendances inutiles.

Vendredi 13, Balaruc

Dernier jour d’école avant la fermeture jusqu’à nouvel ordre. Sage décision, insuffisante bien sûr. Suis furieux que les élections ne soient pas reportées, parce que le second tour le sera nécessairement. Émile ne va pas à l’école, un peu de fièvre, il tousse, tous les symptômes du coronavirus. Mercredi, je l’ai amené chez la médecin, qui n’a diagnostiqué qu’une trachéite. Gros doutes sur le diagnostic, je crois que j’en sais beaucoup plus qu’elle sur le coronavirus.

Lundi 16, Balaruc

Je vis la crise coronavirus plongé dans les statistiques, vois surgir des réfutations absurdes du gel hydro-alcoolique, cherche des infos en tout sens et suis terrifié par l’incivisme de mes concitoyens. Hier, les élections ont donné lieu à des spectacles déplorables. Une photo de ma mairie a circulé, prise à l’heure des résultats, avec la foule en liesse, des vieux et des enfants entassés. Envie de hurler. Ils ne comprennent vraiment pas. Faudra-t-il attendre que tout le monde soit touché de près par la pandémie pour qu’enfin les comportements changent ou est-ce que le gouvernement va devoir durcir le confinement (ce qui est décrété le soir même).

Mardi 17, Balaruc

Je commence une entrée de ce journal et la transforme en billet de blog. Pourquoi ne pas tenter de revenir à l’ancienne journalisation des publications, le temps de cette crise, non pas pour la savourer, mais pour mieux la digérer. Pendant ce temps, je continue de recevoir des mailings commerciaux comme si de rien n’était, certains invitant à voyager ou à acheter tel ou tel gadget. Chaque fois, je suis un peu plus énervé.


Des traitements apparaissent, piste chloroquine de Raoult à Marseille. La science sauvera nos fesses… Je ne vois pas d’autres solutions pour nos autres problèmes globaux.

Ma garrigue
Ma garrigue

Jeudi 19, Balaruc

Des jours comme ça
Des jours comme ça

Vendredi 20, Balaruc

Je journal d’un écrivain au temps du confinement devrait se résumer à « J’écris ce que je pense, je réagis à ce que je vois, à ce que je lis, je combats les mèmes, je n’ai le temps de rien faire d’autre, j’écris, j’écris… »


Se confiner, se confiner, c’est bien, sauf quand on a des malades à la maison. Isa touchée à son tour. Une toux déchirante. Je serais mieux sur mon vélo à prendre l’air et stimuler mon système immunitaire.


Ils finiront par nous couper le Net parce que nous utilisons trop de bande passante (comme en Iran). Dites-moi que je fais un cauchemar.


Mais qu’on est con. Pendant qu’on nous interdit de faire du vélo, les Allemands le conseillent. J’apprends que des cyclistes écopent d’amandes, d’autres de garde à vue. Ou quand la France s’effondre.


Les raisons d’exaspération se multiplient à la vitesse de la lumière. Ils (gouvernements, médias…) ne cessent de parler du nombre de cas alors que nous ne le mesurons pas. Nous ne sommes sûrs que du nombre de victimes à l’hôpital.

Samedi 21, Balaruc

Après cinq jours de grosse toux sèche et de rhume abondant, Isa épuisée, sans force. Le diagnostic se confirme. De toute façon, on teste que les mourants en France. Émile va déjà mieux. Reste Tim et moi prêts à recevoir notre charge virale contre laquelle nous n’avons que notre intelligence pour nous protéger et, par chance, une grande maison.


Suis allé faire un footing de 5 km à moins d’un kilomètre de la maison, un petit bois, un tour au port… Un peu mal à la hanche, je n’avais pas couru depuis ma fracture, mais ce soir ça me lance. Que je suis con. Addict à l’exercice physique.


L’affaire Raoult et la chloroquine pour traiter le coronavirus a été considérée comme une fake news, par Le Monde notamment, sans doute parce que cette piste thérapeutique arrivait de Chine. Nous avons encore du mal à intégrer que beaucoup de pays nous sont passés devant en termes de recherche. Il va falloir s’y faire. Cette crise nous révèle que nous ne sommes plus parmi les nations à la pointe.

Dimanche 22, Balaruc

Dans quelque temps, on fera les statistiques. On comparera la morbidité de ces mois de crise avec les années antérieures. Si on ne voit rien de notable, j’en doute pour l’Italie, on applaudira les gouvernements, qui auront évité le pire, ou on les accusera d’en avoir trop fait, parce qu’il rien n’aura différé de d’habitude.

Lundi 23, Balaruc

Tout le monde a le droit de donner son avis, mais quand j’assiste à un emballement mimétique qui n’a plus rien de raisonnable je prends peur. Je pense à la chloroquine dont j’ai poussé la news sur les réseaux dès le premier instant.


Première sortie pour aller faire des courses. Les clients prudents. Les caissières avec masques et des gants. Je prends un instant pour leur expliquer comment les poser sans s’infecter. Les rayons moins bourrés que d’habitude, mais on ne risque pas encore de manquer. Je vais voir ma mère, lui dépose les courses dans le jardin, lui explique qu’elle doit les mettre en quarantaine jusqu’à demain et tout de suite se laver les mains. Elle me dit qu’elle veut aller faire ses courses elle-même. Je suis obligé de monter le ton pour lui dire que ce n’est pas raisonnable. Juste dingue de voir toutes les boulangeries ouvertes. Faut m’expliquer en quoi elles diffèrent des restaurants.

Mercredi 25, Balaruc

Tim 15 ans, c’est une date dans la vie. Puis je vais faire mon cercle à vélo. Dans le petit bois, une nana qui promène son chien m’insulte alors qu’elle m’empêche de prendre le chemin barré par sa laisse démesurément longue.

Avant de me faire insulter
Avant de me faire insulter
Sète
Sète

Jeudi 26, Balaruc

On fait des sondages sur tout, sauf sur le nombre de contaminés. Il suffirait d’entrer chez mille Français pris au hasard, de les tester et on connaîtrait l’état sanitaire de la population, le nombre de cas réels. On pourrait mieux prévoir la suite, sans doute adapter nos stratégies de défense, mais non, on se contente de demander aux Français s’ils apprécient le Président.

Vendredi 27, Balaruc

Raoult publie ses résultats. Tout le monde s’enthousiasme (trop de monde, c’est vraiment louche et éveille ma suspicion). Je prends ma calculatrice. Pour 80 patients un mort, soit une mortalité de 1,25 %, ce qui est vraiment peu si on se refaire à une population de cas hospitalisés. Mais on ne peut encore rien conclure.

Dimanche 29, Balaruc

Pas envie d’écrire un billet ce matin, j’ai sans doute trop écrit depuis le début de la crise, je dois me concentrer sur mon livre, profiter du confinement pour le boucler, pour rester dans l’actualité, pour la saisir en direct, parce que dans quelques semaines nous serons déjà en train de réécrire l’histoire. Hier, sur Facebook, certains internautes ont pris mon discours rêvé du Président pour un discours réel. J’ai ri amer.


Je relis mon journal de mars, je n’y sens guère la crise, il faudrait que j’insère chacun de mes vingt billets à sa date pour en rendre la dynamique.


Mon corps réagit au manque d’activité physique en me faisant mal partout. Le confinement ne lui fait pas du bien. J’ai toujours cette sensation de passer à côté de ce qui nous arrive. Ma vie finalement est la même que d’habitude, avec les longues sorties à vélo en moins. Et la suspension des prochaines échéances : rencontres littéraires annulées, voyage bikepacking plus qu’hypothétique, l’avenir entre parenthèse. Pour le reste, j’écris et voilà.


Isa tousse toujours. Peut-être que Tim et moi passons à travers parce que nous sommes porteurs sains. Je vois mal comment nous avons réussi à éviter l’infection en vivant ensemble, même si Isa passe le plus clair de son temps dans le studio du jardin.


Depuis début février, grâce Didier et d’autres copains médecins, j’ai vécu avec quelques jours d’avance, parfois jusqu’à deux semaines d’avances, par rapport à la vague médiatique. Je savais depuis longtemps pour les masques, pour les tests, pour le drame italien, je connaissais Raoult et ses travaux et aussi son caractère explosif. Je me souviens d’un tchat avec Didier tard le soir le 28 février, noté dans ma chronologie de la pandémie. Il est en visioconférence avec l’OMS, les ministres de la Santé européens ou leurs sbires, je ne sais pas trop. Il ronge son frein, alors il discute avec moi. Il me dit qu’il a conseillé à l’Italie de se confiner, mesure qui ne sera prise que le 9 mars, dix jours plus tard, dix jours trop tard. Au fil des jours, au fur et à mesure que la vague approchait, mon avance s’est réduite, elle n’a plus aucun sens désormais, nous sommes tous sous l’eau.


Une statistique étrange me frappe. Aujourd’hui, la France a le plus grand nombre de cas en réanimation. Est-ce parce que nous tenons en vie plus longtemps nos malades, donc que nous les soignons mieux, ou faut-il s’attendre à une hécatombe ? Ou tout simplement est-ce que ces chiffres ne signifient rien, mesurés selon des critères différents d’un pays à l’autre. Comme s’il n’était pas évident que la Chine nous a menti sur son nombre de morts ? Mensonge au début de la crise, pendant la crise et après la crise, rien d’autre à attendre d’une dictature.


Ce soir, la courbe des décès s’arrondit et semble indiquer que nous approchons le pic de la pandémie en France. Tous les indices de progression en chute libre. C’est enfin une bonne nouvelle et personne n’en parle. Il faudra attendre les déclarations officielles ou l’avis des experts pour que les médias se mouillent.

Lundi 30, Balaruc

Un ami journaliste suite à mon annonce d’un arrondissement de la courbe me demande pourquoi je fais courir cette rumeur. Je lui dis me contenter de lire les données publiques. Lui : « Mais si le gouvernement ne l’a pas dit, c’est que ce n’est pas le cas. » Ben voyons, faisons aveuglément confiance à notre gouvernement qui depuis le début de cette histoire nous raconte des craques (au sujet des masques, des tests, du nombre de victimes…).


Je vais à la pharmacie acheter du dentifrice pour nous et pour ma mère. Par mégarde, je passe sous le nez d’un client. Pour la première fois depuis un mois, je n’ai pas respecté la distanciation sociale. Je m’en trouve tout chamboulé.


Malheureusement ce soir, le nombre de victimes repart à la hausse, mais l’évolution des autres indices reste encourageante. Je suis optimiste. À force de me plonger dans les chiffres, j’ai l’illusion de deviner leur avenir. Je n’arrive pas à me faire à l’idée d’un massacre. Peut-être dix mille morts dans les hôpitaux, auxquels il faudra ajouter les victimes non encore dénombrées. Les spéculateurs entretiennent-ils la même intimité avec les statistiques boursières ?

Mardi 31, Balaruc

Il est temps pour moi d’en revenir à ce journal, de cesser de réagir au jour le jour à notre statut de confiné, j’ai dit ce que j’avais à dire et il ne reste plus qu’à le vivre pour le meilleur et pour le pire. Je vais aussi en revenir à ma distanciation habituelle avec les news parce que cet opium finira par me rendre improductif. Il est onze heures et je n’ai pas encore commencé à bosser sur mon livre. Je peux déjà résumer ma journée avant de la vivre. C’est assez flippant.