Parce que je tente de montrer qu’une décision du gouvernement français n’est pas mauvaise, le choix du confinement, je serais un macroniste intégriste, ce qui justifie que des nuées d’insultes me tombent dessus, alors que je ne revendique que le droit de rester debout, de juger sur faits, souvent chiffres à l’appui. En vérité, je ne tente que de défendre les soignants et mes nombreux amis médecins.
J’ai essayé d’expliquer pourquoi le confinement était la seule stratégie possible, en revenant sur l’évolution de nos connaissances au fil des derniers mois, mais on m’oppose ce que nous savons aujourd’hui à ce que nous ne savions pas hier, ou même ce que nous ne faisons que soupçonner aujourd’hui. Je suis dépité, désemparé. Chez beaucoup d’entre nous, la colère a pris le dessus sur la raison, et j’ai peur que cette émotion dévastatrice n’enfle encore davantage.
Tout en défendant le confinement, j’ai milité pour une autre forme de confinement comme chez nos voisins suisses, allemands, belges ou presque voisins portugais, tous adoptant des confinements reposant avant tout sur la responsabilisation, donc moins lourds, moins policiers, et qui de fait seront mieux respectés dans la durée, car moins contraignants, et aussi plus faciles à lever.
Depuis le premier jour, je pointe les anomalies, les erreurs, les bévues, les dérives, je suis plus critique qu’autre chose, mais il me suffit de ne pas désapprouver un point, pour que les vautours s’abattent sur moi, comme si « contre un jour, on devait être contre toujours ». Désolé, je n’appartiens à aucun parti, aucun syndicat, je ne dépends d’aucune institution étatique pour vivre, je n’ai rien à gagner dans cette affaire, sinon l’espoir que nous ne sombrions pas dans le fascisme, un régime qui se nourrit de la bêtise, de l’aveuglement, des idées à l’emporte-pièce, un régime dont je n’ai jamais autant senti la puissance potentielle qu’en ce moment, et paradoxalement pas seulement chez les gens étiquetés d’extrême droite. Le mal est plus répandu que je ne l’avais imaginé, beaucoup de gens étant prêts à défendre une sortie de crise pour le moins meurtrière, ce qui me démontre, comme l’Histoire du XXe siècle nous l’a enseigné, que les extrêmes politiques se rejoignent dans leur goût pour la violence.
Heureusement, j’entends des voix modérées qui me font le plus grand bien, j’en ai désespérément besoin. Répondant à un sénateur français inquiet de la stratégie suisse, Antonio Hodgers, Président du Conseil d’État du canton de Genève, résume la différence entre la stratégie suisse et française :
Tandis que le chef des armées Macron déclame que la France est en guerre et donne une dimension martiale à la gestion de la crise, le Conseil fédéral suisse insiste sur la responsabilité individuelle et préfère la métaphore sportive du marathon. (…) Le modèle français a voulu un confinement complet de la population consistant en l’interdiction de sortir de chez soi, sauf pour des motifs d’exception. La Suisse a considéré que la seule manière de ralentir la diffusion du virus est la compréhension par chacun.e des règles sanitaires. Que l’adhésion de la population est un outil bien plus efficace que toutes les forces de police qui ont d’ailleurs d’autres enjeux à gérer.
J’aimerais être suisse en ce moment. Côté respect des droits humains, la France n’est pas le meilleur pays où vivre la pandémie. Et la maladresse répétée de notre gouvernement, son recours aux mesures liberticides, ne fait que mettre de l’huile sur le feu de la colère.
Mais si l’implémentation du confinement est politique, sa décision a été médicale, du moins je le sais pour la Suisse, parce que j’y ai des amis épidémiologistes influents, et je sais qu’ils ont pesé dans la décision, notamment au regard de la situation italienne. Je pense qu’il s’est passé la même chose en France, ainsi que dans beaucoup d’autres pays. Dans cette histoire, les politiques n’ont fait que suivre les scientifiques, souvent avec du retard à l’allumage.
Pourquoi les médecins ont-il voulu un confinement et souhaitent qu’il se prolonge jusqu’à ce que le nombre quotidien de morts retombe en dessous de son niveau à la veille du confinement ?
- Parce que le coronavirus n’est pas une grippette et met les systèmes de santé à rude épreuve.
- Parce que les soignants eux-mêmes sont au bord du burn-out.
- Parce que nous manquons de lits, de masques, de tests, de médicaments… (et nous ne sommes pas les seuls, c’est vrai aux États-Unis, en Italie, en Espagne… dans tous les pays durement frappés). Il sera temps après la crise de corriger le tir, de réviser en profondeur le mode d’organisation de nos sociétés, bien au-delà de la santé.
- Parce que nous n’avons pas de traitement et qu’il faut gagner du temps. Il semblerait que la chloroquine ne soit pas la panacée.
- Parce que laisser courir le virus provoquerait des centaines de milliers de victimes rien qu’en France.
Je ne cesse de discuter avec mes amis médecins, je lis beaucoup de témoignages poignants, encore un terrible ce matin. Mettez-vous deux secondes à la place des soignants et vous comprendrez mieux pourquoi le confinement était notre dernier recours. Nous devons les soutenir, les encourager, tout faire pour faciliter leur travail.
D’un autre côté, il ne s’agira pas de prolonger le confinement au-delà de la nécessité sanitaire. Certains parlent de juin, de juillet… Non, logiquement fin avril/début mai, les courbes retomberont, la pandémie sera contenue, les hôpitaux se videront des patients Covid et accueilleront à nouveau leurs patients habituels. Nous recommencerons à vivre. Normalement ? Certes non. Les écoles resteront logiquement fermées, les restaurants aussi, où s’ils ouvrent ce sera avec des mesures de distanciation sociales drastiques. Dans les transports en commun, le masque sera obligatoire, ainsi que dans tous les lieux de proximité. Il faudra prendre l’habitude de pratiquer la friction hydro-alcoolique à longueur de journée hors de chez nous. Nous aurons bientôt les détails, tous les pays travaillant à leur stratégie.
J’espère que cette fois notre gouvernement s’inspirera de nos voisins plus habiles que nous dans la gestion de la crise et leur demandera conseil, plutôt que de nous déconfiner en nous fliquant et en ne nous faisant pas confiance.
Je passe habituellement des heures un jour sur deux à crapahuter dans la nature à vélo. Ne croyez pas que j’apprécie le confinement. Je deviens dingue comme vous, encore plus dingue lorsque je croise des policiers municipaux et qu’ils me font la morale, alors qu’ils n’ont aucune idée du début du pourquoi du comment. C’est désagréable de se voir donner des leçons par des incompétents. Je devine ce que ressentent les habitants des dictatures, je le ressens dans mon corps. Voilà la France d’aujourd’hui. Nous vivons un confinement dictatorial, espérons que nous vivrons un déconfinement démocratique.
J’avoue que j’ai quelques doutes. Nos potentats locaux et leurs séides semblent prendre leur pied à nous imposer des mesures débiles. Ça leur manquera par la suite. Ils parleront du confinement comme les collabos du bon temps de la dernière guerre. Je lis dans leur jeu, je vois leurs désirs. Nous nous tenons au bord du gouffre. Le confinement fait rejaillir les côtés les plus sombres de la nature humaine. Quand cette maladie frappe les hommes et les femmes de pouvoir, il y a de quoi s’inquiéter. Quand elle se propage dans toutes les strates de la société, il y a urgence à se ressaisir. Je ne continue à écrire que pour cette raison, que parce que j’ai espoir en nous tous.