Lundi 1er, Balaruc

À vélo
À vélo

Samedi 6, Balaruc

À vélo
À vélo

Lundi 8, Balaruc

Le bureau
Le bureau

Mardi 9, Balaruc

Tension, tripes nouées, pas la moindre envie de manger. Alors je pédale avec les copains dans la lumière. Je m’oublie en remettant à jour mon appli de Géolecture, car un projet en vue, si rémunéré comme je l’ai demandé. Mais quel enfer, tout à reprendre, tout à changer. Le code a sur moi une vertu obsédante à nulle autre pareille. Je m’attarde à ne pas regarder l’avenir.


Je publie mon journal de mai, abrégé, tronqué, et je me dis que je dois reprendre cet exercice, au moins une photo par jour même si mon cœur est loin de l’écriture.


Quand ma vie tourne autour de mon intimité il me devient impossible d’en parler publiquement.

Soir
Soir

Mercredi 10, Balaruc

Je ne dors plus depuis que je code.


Passage chez ma coiffeuse qui me ratiboise ma tignasse einsteinienne. Qui suis-je ? Je me préfère les cheveux courts, parce que je me sens plus léger. Mais avec les cheveux longs je joue mon rôle d’artiste. Mon statut social oscille au fil des mois de repousse.


Grand mistral, alors nous roulons sur les contreforts de la Gardiole, puis dans les bois, avec le sourire, le pur bonheur de sentir le monde se dérouler au-dessous de nous. Un plaisir premier, vierge.

Jeudi 11, Balaruc

Il pleut
Il pleut

Samedi 13, Balaruc

Je détiens un petit secret d’État qui ne sera révélé que dans quelques jours. Ça me fait sourire.

Soir
Soir

Dimanche 14, Balaruc

Sortie vélo, sans jambes dès le départ, et souffrance durant 90 kilomètres, les copains me laissant sur place à la moindre côte, conséquence de trop peu de sommeil, et de trop de code.


Je retrouve des copains auteur à Puéchabon, recoupant sur le trajet des routes parcourues plus tôt à vélo, retrouvant une belle table dans la mi-ombre face aux derniers contreforts verdoyants de la Serrane.

À vélo
À vélo

Lundi 15, Balaruc

Mon épaule va mieux, alors grand bricolage avec les enfants. On réaménage l’entrée pour installer deux écrans, deux consoles, pour qu’ils puisent jouer côte à côte. Un beau travail d’équipe, sans énervement.

Mardi 16, Balaruc

Bricolage non-stop. Nous ne sommes pas mécontents du résultat. De l’intérêt des travaux manuels dont on juge tout de suite du résultat.

Mercredi 17, Balaruc

Sortie vélo dans une lumière ébouriffante. J’aime ces longues soirées d’été quand nous finissons par rêver d’une simple canette désaltérante au bord de la plage, quand les blés ondulent sous les coups du mistral et que l’étang se drape d’un bleu intense. Nous sommes arrêtés au bord de la plage quand je reconnais sous ses lunettes de soleil le philosophe local. Il nous parle des différents bonheurs et je lui dis que je jouis du territoire, que je l’enlace avec passion tout au long de l’année, sous ses différentes couleurs, avec une préférence certaine pour ces moments interminables de juin-juillet.

Samedi 20, Balaruc

Bikepacking
Bikepacking

Dimanche 21, Balaruc

Hier, vers quatorze heures, Patrick me téléphone. Tu sais qu’on fait un bivouac ce soir ? Je ne sais rien du tout. Départ vers dix-sept heures Rue du Vélo à Montpellier. Je ne lui promets rien. Je suis vanné à force de peu dormir. Je m’allonge, essaie de faire la sieste, puis sur le coup de trois heures je me décide. Je prépare mon matériel de bikepacking, charge mon vélo dans la Kangou et fonce à Montpellier. Nous quittons bientôt la ville, puis montons dans l’arrière-pays balayé par un mistral brûlant. Vers vingt et une heures, nous arrivons au lac de Boissière, où nous campons. Quelques autres campeurs, au loin une fête, qui ne se prolongera pas tard dans la nuit. Ciel limpide. Quand je m’éveille par intermittence, je devine l’ombre du vélo appuyé à un sapin, derrière lui la Grande Ourse tourne sa casserole jusqu’à ce que pointent les premières lueurs de l’aube. Retour vers le sud, par des chemins connus, d’autres plus mystérieux. J’aime être dehors. Faire l’amour avec le territoire.

Bikepacking
Bikepacking

Lundi 22, Genève

Route lumineuse à travers les Alpes avec l’envie explorer ces montagnes à vélo, d’autant que j’ai mon gravel avec moi et espère bien en profiter.


En attendant Didier, je récupère des itinéraires autour de chez lui, avec exploration obligatoire du Salève.

Mardi 23, Genève

On revit la crise covid de début février à aujourd’hui, Didier passant son temps à parler sur les médias, et à devenir un personnage public, que les gens reconnaissent dans la rue, d’autant que son portrait avec un masque est placardé dans les transports en commun. À moi de digérer le tout pour boucler au plus vite Adapter pour adopter.

Jeudi, Olivier Véran vient le voir, puis entretien avec Macron, Didier nommé président d’une mission d’audit de la gestion de la crise par le gouvernement français. Il ne fera pas de cadeau. Sa seule récompense, la remise de la Légion d’honneur et la critique des bêtes politiques. C’est moins classe qu’être désigné commander du British Empire. Il ne lui restera plus que le Nobel à récupérer, mais pas cette année, parce qu’aucun dossier de lobbying n’a été déposé, parce que ça marche comme ça, la récompense ne tombe pas du ciel, elle se coopte.

Je marche une heure dans les rues brûlantes, à la recherche de gourdes pour mon vélo, sautant de boutique en boutique, et je ne trouve mon bonheur que dans une boutique absente de Google Map. Il faut désormais penser à son référencement géographique en plus de penser à son référencement web. Ça me déprime.

Mercredi 24, La Fouly

Départ tôt de Genève, train jusqu’à Martigny, d’où nous grimpons vers la Fouly, en amont du col Ferret, étape sur le tour du Mont-Blanc. Didier a passé son enfance à jouer dans ces alpages, y revient pour enregistrer une émission TV, j’en profite pour m’esquiver sur les hauteurs.

Il me suffit de voir la montagne pour éprouver l’indescriptible émotion de vivre, une émotion pure qui surpasse les émotions référencées par les psychologues, une émotion leibnizienne de communion avec le tout. Il ne s’agit pas de joie, mais d’une exaltation, d’une envie, d’un désir d’embrasser ces paysages jusqu’à me les approprier.

En Floride, je me suis senti hors sol, précipité dans une carte postale, emprisonné dans une fiction de carton-pâte. Ici, le réel s’impose avec une force bouleversante. Je suis les lignes des sentiers, les coupes dans les forêts pour ouvrir les prairies, pétillantes de jaune, de blanc, de violets, un éclaboussement floral d’une perfection sublime.

Je photographie les sommets, la vallée, aboutissant à coup sûr à des images archétypales de Suisse. Je finis par dénicher une pelle mécanique au bord d’un ruisseau pour esquisser un décalage, quoique l’orange de l’engin soit lui aussi presque trop parfait.

Je m’en moque, je me sens à ma place dans cette perfection lors d’une journée d’été parfaite. J’aurais aimé avoir plus de temps pour atteindre les sommets, pour apercevoir le Mont-Blanc, pour me faire mal aux jambes, je n’ai que le temps de me ravir d’une beauté trop rare, et que je ne peux que me promettre de revenir goûter, comme d’un tableau caché au fond d’un musée que je sais à sa place, et que je ne retrouve qu’à de trop rares occasions, parce que je ne les provoque pas, ou n’ose pas les saisir, victime d’habitudes bien pratiques.

Peut-être est-ce mon plus gros défaut, accepter la vie telle qu’elle est, ou à l’endroit où je l’ai conduite, sans être capable de la pousser plus loin, sinon sous le coup de contingences sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir.

Ce matin, sur le quai de la gare, une femme nous croise, regarde attentivement Didier, puis lui dit « Bonjour docteur ». Je sens les regards qui se posent sur lui, les gens qui le reconnaissent, la pandémie a fait de lui une star, et je n’ai plus de raison d’écrire sur lui, parce que désormais tout le monde aura envie de le faire, pour bénéficier de son aura par retombées collatérales.

En 2012, je suis amouraché de sa cause, parce qu’elle entrait en résonance avec la mienne, et puis nous sommes devenus amis, assez proches pour nous confier nos doutes les plus intimes. Et demain, Olivier Véran vient chercher Didier pour le ramener à Paris où l’attend Macron. Pendant ce temps, je ferai du vélo, et j’y serai plus heureux que si j’étais invité à l’Élysée.

J’ai tout de même le projet d’écrire encore un livre sur Didier, à la première personne, à sa place, en ghostwriter, pour le servir encore une fois, parce que j’ai tout dans la tête, et que pour lui c’est la solution la plus pratique. Nous attendons de voir si un éditeur nous fait une offre, parce que j’en ai assez de prendre tous les risques dans cette histoire.

La Fouly
La Fouly

Jeudi 25, Genève

Écriture le matin, vélo l’après-midi, avec entre les deux une vidéoconférence sur zoom où j’ai parlé déconnexion, lieu bien paradoxal pour parler d’être ailleurs. Pendant ce temps, Didier avec Macron. News aussitôt rendue publique. Parfois je me dis que ce n’est pas une si bonne idée qu’il ait accepté cette mission, les chacals politiques lui tomberont dessus… surtout quand il conclura que la France ne s’en est pas mal sortie, parce c’est la vérité. Les erreurs ont été dans la com, dans l’excès d’autoritarisme, pas dans la réponse sanitaire. Les masques manquaient, mais les masques ne servent pas à grand-chose, moins qu’on a voulu nous le faire croire tout au moins.

À vélo
À vélo

Vendredi 26, Genève

Je travaille d’arrache-pied à Adapt to Adopt, interrogeant Didier sur la gestion de la crise. Le livre prend forme même s’il reste, et restera plus rugueux que Le geste qui sauve, où j’avais une aventure scientifique à raconté. Cette fois, mon récit est risomique, échevelé, bien moins romanesque, même si le coronavirus m’a aidé à dérouler un fil rouge, peut-être trop lié à l’actualité. Repas avec des amis le soir, on décompresse, ça me fait du bien.

Samedi 27, Genève

Je retourne pédaler sur le Salève. Mal aux jambes, pas l’habitude des montées interminables, je me fais dépasser par une fille à vélo de route peu avant le sommet du col des pitons à 1307 mètres. J’aurais dû me tuer pour la suivre avec mon gravel. Descente vertigineuse. Je double les voitures, faisant chauffer mes freins, puis me calme me disant que je suis dingue. Je ne trouve pas le chemin escompté au bord de l’Arve, finis sur une route bondée, rentre vanné.

À vélo
À vélo

Dimanche 28, Genève

Journée pluvieuse et studieuse. On travaille au plan de notre livre en ghostwriter.

Lundi 29, Genève

Dans un coin de Genève, au soleil, dans un parc, sur un banc, c’est l’été, sans que j’en sois conscient, comme si l’été n’existait pour moi qu’au bord de la mer ou en montagne. Je travaille pour ne pas penser, et mon journal ne peut plus que relever des faits anecdotiques. Hier, lisant une biographie d’Emerson, j’ai découvert que la pratique du journal intime serait née grâce aux puritains anglais, chose dont je n’avais jamais entendue parler.


Quand on s’enferme dans le silence, on ne récolte que le silence, c’est particulièrement vrai en ligne, où je n’existe plus depuis presque deux mois après avoir cessé d’y publier.


Je n’aime pas le silence, pas plus que la solitude. Je laisse parfois croire que je peux vivre seul, parce que quand je travaille je suis imperturbable, mais la véritable solitude m’est intolérable.

J’écris
J’écris