Mardi 4, Balaruc

Défrichage
Défrichage

Mercredi 5, Balaruc

Une fois la haie disparue, l’étang nous saute dessus et c’est comme si jusque là nous n’avions jamais habité au bord de l’eau. Le bleu envahit la maison, la pénètre de part en part. Le coucher de soleil a doré la terrasse jusqu’aux derniers moments. Quand des plaisanciers curieux passent, c’est un peu comme s’ils s’invitaient à notre table, j’accepte cet inconvénient en échange de plus de lumière, je ne vis que pour elle autant que si j’étais peintre ou photographe.

Défrichage terminé
Défrichage terminé

Ma psy me dit que mon problème est de ne pas dire ce que je ressens, de garder tout cela pour moi, et la cause serait mon modèle parental où les mots d’amour étaient rares, voire absents. Quand j’écris aussi je ne dis pas tout, ou plutôt peut-être que j’écris parce que par ailleurs j’éprouve une difficulté de dire.

Vendredi 7, Balaruc

Émile dort sur le toit
Émile dort sur le toit

J’apprends que Bernard Stiegler est mort. Je ne l’ai jamais rencontré, n’ai jamais goûté ses idées, mais on a arpenté le même champ et c’est comme si tout au bout un grand chêne venait de tomber.


C’est la canicule, mais ce soir je gèle en terrasse et dois même mettre une chemise. Des entrées maritimes, après avoir agréablement nappé Sète, me plongent dans la brume.

Entrées maritimes
Entrées maritimes

Samedi 8, Balaruc

Villeneuve les Maguelone
Villeneuve les Maguelone

Lundi 10, Balaruc

Soir
Soir

Mercredi 12, Balaruc

Toujours le même temps, des entrées maritimes matin et soir, des journées chaudes sans être brûlantes, je n’ai jamais été fan du climat d’août dans mon Midi et j’ai du mal à comprendre pourquoi des gens viennent encore en vacances chez nous alors que la montagne est limpide.

J’en suis à la phase épuisante de Vaincre les épidémies, à traquer les imprécisions, à lisser le texte qui en est au point où il m’écœure.

Nabokov a publié Ada pour son soixante-dixième anniversaire. Je me cherche toujours des objectifs, des perspectives, des sources d’encouragement.

Jeudi 13, Balaruc

Peignage de Vaincre les pandémies terminé. État deux du manuscrit. Lilas va y mettre son nez, encore Didier, moi, Isa, quelques autres personnes, avant que ce soit au tour de l’éditrice. Avec Pierre ce travail est agréable, enrichissant pour le texte, avec d’autres il est castrateur et me déprime, au point parfois de me faire renier mes textes. Je vais tout faire pour éviter d’en arriver là.

Vendredi 14, Balaruc

Sublime journée à crapahuter dans la vallée de la Buèges, un paradis à peine plus d’une heure de chez moi. Je n’aurais pas été surpris si une fée était venue discuter au détour d’un chemin. L’aventure est à la portée de la main.

Samedi 15, Balaruc

Le Journal extime de Michel Tournier se place à la bonne hauteur de vue, le contraire de l’intime, mais avec sa vie en creux, suffisamment présente pour être dans chaque phrase. Son but : se laisser saisir par le monde pour le vivre et le retranscrire. Je ne connais pas de plus beau projet littéraire.

« Littérature et photographie. Ouverture du diaphragme. Plus le diaphragme est fermé, plus la profondeur de champ est grande, c’est-à-dire plus le paysage est net en profondeur. Au contraire un diaphragme ouvert cerne l’objet sur lequel le point est mis et laisse tout le reste dans le flou. Stendhal : 3,5. Balzac : 16. Car les personnages de Balzac nous sont donnés comme inséparables d’un milieu complexe, d’un décor, d’antécédents, etc. (c’est-à-dire avec une grande profondeur de champ impliquant un diaphragme fermé), alors que ceux de Stendhal se détachent nettement sur fond flou, sur néant (sans profondeur de champ, diaphragme ouvert). »

Quel est mon diaphragme ? Encore plus serré que celui de Balzac, au point où les personnages du premier plan s’effacent pour ne laisser que de grands paysages. Je ne cesse de revenir à deux photos prises lors de ma randonnée de vendredi. Voilà ma littérature : une immense horizontalité propice à l’errance.

Vallée de la Buège
Vallée de la Buège

Dimanche 16, Croix-de-Rozon

Voyage abominable par la route jusqu’à Genève. Je remonte jusqu’à Valence avec les Parisiens, puis quand je bifurque vers les Alpes le temps se gâte et j’entre peu à peu dans l’hiver. France Info m’apprend qu’il a fait un temps de chien l’été 1963, l’été de ma naissance, alors qu’Adamo chantait Tombe la neige.

Lundi 17, Croix-de-Rozon

Mon journal n’est ni intime ni extime, je suis dans l’entre d’eux, pouvant parler de moi, quand j’ai un accident de vélo, et d’autres fois pas du tout, parce qu’alors cela reviendrait à m’apitoyer en public.

Mardi 18, Croix-de-Rozon

Petite boucle gravel entre campagne et ville. Je descends vers le Rhône, tentant désespérément de dénicher des chemins. Trop de trafic, d’autoroutes, et puis je me retrouve sur des pistes cyclables, une autre forme d’autoroute en secteur urbain. Je ne les apprécie pas beaucoup. Je n’aime pas plus rouler à côté des voitures que parmi elles.

Le Jura
Le Jura

Mercredi 19, Croix-de-Rozon

J’expérimente le vélo taff. Je pars de chez Didier par la campagne, longe le pied du Salève, puis dévale vers Genève et me jette dans le trafic avec une certaine jubilation. La ville ensoleillée devient terrain de jeu, même si les voitures ne font pas de cadeau. Je m’arrête pour un premier rendez-vous, mon vélo avec moi jusqu’à la réception luxueuse du plus gros cabinet d’avocats suisse. Je laisse le vélo au garage à côté de montures luxueuses que personne n’a pris la peine de cadenasser. Deux heures plus tard, je file à nouveau vers le pied de la vieille ville, puis franchis le Rhône, passe devant la gare et grimpe vers chez mon amie Genneviève chez qui je déjeune, où je rencontre Gunter Pauli en coup de vent. Je repars, suivant la trace GPS, croise des routes que je connais ou pas du tout, franchis de nouveau le Rhône par un pont en surplomb avant de remonter vers chez Didier où j’arrive en sueur après un beau sprint, car il m’est difficile de flâner au milieu du trafic. Un peu plus tard, je repars pour un dernier rendez-vous et j’en profite pour repérer quelques traces gravel.

Dimanche 23, Croix-de-Rozon

Salève
Salève

Mercredi 26, Balaruc

Tendu jusqu’à la ligne finish, jusqu’à ce que le livre parte ce matin chez Hugo Doc pour passer entre les mains de Léa mon éditrice avec qui je n’ai encore jamais travaillé. Affaissement après des semaines de boulot quasi non-stop, des horaires d’écriture que je n’avais jamais connus, pas le temps de penser à autre chose, à me regarder moi-même dans le blanc des yeux. Plus qu’à prendre le vélo et partir au bord des étangs pour respirer la lumière limpide de fin août, qui signe le début de ma saison préférée. Envie de la savourer, de la déguster à la petite cuillère, tant l’année dernière j’en ai été privée par ma fracture du col du fémur.

Je sais que je vais me sentir comme une merde, le temps de retrouver de la force. J’ai beau connaître cette plongée en post-partum, je n’ai pas appris à la gérer, sinon en attaquant au plus vite dans un autre texte. Vaincre est un journal, ma forme, mais factuel, scientifique, politique, alors revenir à la littérature, sans que cela signifie quoi que ce soit, puisqu’écrire reste écrire. Je ne me pose plus de question de genre. Je prends les choses comme elles viennent, d’instinct leur laissant trouver d’elle-même leur forme.

Il y a ce roman d’amour repoussé depuis un an, toujours là, parce que je sais que je dois en passer par lui. Une amie m’a dit qu’il était temps pour moi d’écrire un autoportrait, parce qu’elle sentait que j’en avais besoin et qu’en même temps j’étais assez mature désormais pour cet exercice. J’ai déjà esquissé dans un coin, peut-être y revenir, peut-être me revivre pour mieux me vivre.


Ne plus penser à des piles ou à des batteries, mais à de mini réacteurs nucléaires, construits à partir des déchets radioactifs, et capables d’alimenter nos appareils pour des milliers d’années. Cette technologie en serait au stade du prototype. J’ai appris à ne pas trop m’enthousiasmer des annonces des industriels, mais elles ont souvent le don de me faire rêver à un futur agréable.


Je pars à vélo, décider à me lancer dans une longue boucle d’étang en étang. Il est prêt de 19 heures quand je suis au plus loin de mon périple et je prends le train pour rentrer à la maison, ce qui me donne l’idée de me préparer des itinéraires vélo+train.

Jeudi 27, Balaruc

J’ai toujours pensé que la conscience était un process et non une chose, mais ce matin un article m’éclaire d’une façon nouvelle.

My favourite trick to illustrate the notion of consciousness as a process is to replace the word ‘consciousness’ with ‘evolution’ – and see if the question still makes sense. For example, the question What is consciousness for? becomes What is evolution for? Scientifically speaking, of course, we know that evolution is not for anything. It doesn’t perform a function or have reasons for doing what it does – it’s an unfolding process that can be understood only on its own terms. Since we are all the product of evolution, the same would seem to hold for consciousness and the self.


Il y a un an je me pétais le col du fémur. J’ai bien récupéré, mais mon corps ne sera plus jamais le même.


Quand trop de lecteurs disent qu’un texte est bouleversant et merveilleusement écrit, je n’ai même pas envie d’y jeter un œil, parce qu’un texte merveilleux est discret, son style se dérobe, voire dérange, déplaît, bouscule, il va de même pour son effet émotionnel, il est ambigu, parfois irritant, à coup sûr déstabilisant. Il joue de l’agréable autant que du désagréable, on a tantôt envie d’aimer l’auteur, tantôt de le baffer. Un grand texte est grand comme le monde, avec autant de nuances que lui. Peut-être suis-je simplement jaloux que mes textes ne soient jamais encensés sans nuances.

Samedi 29, Balaruc

Depuis janvier, je suis covid, je pense covid, j’ai même peut-être attrapé le covid dès février, j’ai écrit deux bouquins sur le sujet, j’ai discuté avec les meilleurs épidémiologistes mondiaux, j’ai passé deux semaines en immersion dans un hôpital universitaire, j’ai lu des montagnes d’articles scientifiques et je ne sais pas grand-chose sur cette épidémie.

Mais je suis ébranlé par les conversations sociales, par le génie des internautes à trouver eux-mêmes des explications à tous les phénomènes qu’ils observent, se croyant persuadés qu’ils ont la bonne explication. La pensée magique se donne à voir au grand jour. C’est assez merveilleux.

J’ai l’impression d’observer mes contemporains penser comme s’ils étaient sous tomographie par émission de positons. Je vois les faits décousus se présenter à eux et leur cerveau les connecter, les ordonner, leur donner en un instant une logique aussi inébranlable que si elle était la vue d’une plaine où broutent des mammouths.

Par exemple, hier j’ai répété que les mains étaient le principal facteur de propagation des épidémies, et des dizaines de personnes ont tenté de me démontrer par des arguments apparemment irréfutables que j’avais tors, afin de soutenir une autre théorie, que le covid ne pouvait que se transmettre par aérosol et donc que le port du masque généralisé était une bonne mesure.

L’extraordinaire est la capacité à se persuader soit même d’une idée à laquelle on croit déjà et de tout lui rattacher quitte à tordre les évidences, ou à refuser de les voir, et se fermer à tout questionnement. Au cours des discussions, j’ai vu à l’œuvre le refus de la méthode scientifique, j’ai vu des certitudes effrayantes, là où le doute systématique devrait s’imposer, au minimum.

En 1847, on s’est déjà moqué de Semmelweis quand il a expliqué que les mains des accoucheurs tuaient les parturientes. Et des gens refusent encore d’admettre les conséquences de cette découverte. Je crois que ça dérange de se savoir le vecteur d’un virus, alors on aimerait qu’il circule presque malgré nous, que ce ne soit pas de notre faute, qu’on puisse se disculper. J’ai vu à l’œuvre cette logique du « ce n’est pas ma faute », j’ai surtout vu que nous étions doués d’une inventivité rocambolesque. Plutôt que d’aller chercher des évidences, nous élaborons par nous-mêmes, persuadés que nous valons bien tous les autres humains qui ont pu penser avant nous.

Comment nous en sortir collectivement si l’irrationalité est aussi répandue, si la méthode scientifique est autant incomprise ? Surtout, je prends conscience qu’il est quasi impossible de discuter avec ceux qui sont convaincus de leur propre théorie élaborée après trois lectures incomplètes dans un coin étroit de leur cerveau. De fait, il y a autant de théories que d’internautes. Ce serait une bonne chose si ces théories s’affrontaient, se challengeaient, certaines étant écartées dans un processus sélectif. Mais non, rien de tel, les théories une fois formulées se figent et ne bougent plus. Les gens tiennent mordicus qu’il y a des mammouths dans la plaine.

Pour revenir à l’exemple de l’hygiène des mains, les scientifiques ne cessent de douter, de mettre en place de nouvelles expériences, mais sur le net, tout cela est balayé d’un revers. On m’a même dit que Didier Pittet était biaisé parce que c’était un spécialiste de l’hygiène des mains. Mais qu’est-ce qu’un tel spécialiste ? Quelqu’un qui commence par douter, qui jamais n’affirme ce qu’il n’a pas vu dans ses études après qu’elles aient été répétées partout dans le monde, et qui ne cesse de chercher là où il aurait pu se tromper. Des biaisés accusent leurs adversaires scientifiques d’être biaisés. C’est le biais ultime.

Si cette façon de penser restait confinée aux comptoirs des cafés numériques, ce serait sans gravité, mais elle est généralisée, au point où elle affecte aussi nos politiques, qui ne décident pas autrement, sans recourir à une méthode qui les empêcherait de se persuader en un instant qu’il y a des mammouths dans la plaine et qu’il faut lancer immédiatement la chasse.

J’aime me faire peur de bon matin.

Dimanche 30, Balaruc

Alors que je suis en pleine correction de Vaincre les épidémies, mon serveur se fait attaquer et mon blog est en carafe. Il y avait des années que je n’avais plus de problèmes. Je vais devoir replonger dans les logs, parfois j’ai envie de débrancher le tout, aller vers une solution technique minimaliste.