Jeudi 3, Balaruc

Nous avons plongé dans la lumière merveilleuse de septembre. Je la savoure depuis la cuisine où j’aime travailler avec l’eau qui clapote derrière la baie vitrée. Je me suis réveillé à quatre heures ce matin. Incapable de me rendormir, je décide de travailler quand j’entends des voix dehors. Je vais à la fenêtre et découvre quatre ombres joyeuses dans le jardin.

— Qu’est-ce que vous faites là ?

— On cherche un accès à l’étang.

— Mais vous êtes chez moi, vous feriez mieux de partir.

Ils le prennent mal, mais sans méchanceté. Je pense qu’en rentrant du vélo, j’ai laissé ma bécane devant le garage, lui-même grand ouvert. Alors je sors, je découvre trois jeunes d’une vingtaine d’années, l’un transportant un sac de couchage, et une fille avec une guitare.

— Le portail était ouvert. On est rentré. On croyait qu’il n’y avait personne.

Depuis leur dépars, je travaille, déchiré par des douleurs intercostales, non pas à cause de cette visite, mais du stress. Vaincre les épidémies m’empoisonne la vie. J’ai un grand doute quant à mes statistiques, ce qui m’impose de coder pour les vérifier jusqu’à devenir dingue. Et mon jardin est toujours en travaux, avec l’obligation de tout boucler pour le prochain tournage de Candice Renoir. Pas le temps de penser à moi, à ma vie, à la lumière sinon à m’y baigner pendant qu’elle rayonne.

Vendredi 4, Balaruc

L’équipe de Candice Renoir vient en repérage. Ils veulent simuler une inondation du garage. Un des décorateurs arrive avec la barque de mon père que je lui ai donnée parce qu’elle pourrissait dans le jardin. Il lui a redonnée vie.

Christiane : la barque
Christiane : la barque

Lundi 7, Balaruc

Fin de journée à VTT
Fin de journée à VTT

Mardi 8, Balaruc

Le gros œuvre est terminé dans le jardin. Journée passée à approvisionner. J’ai transporté plusieurs tonnes de dalles en ciment.

Le chantier
Le chantier

Jeudi 10, septembre

La terre arrive, cent tonnes, je termine de la déplacer à la pèle et au râteau parce que bob 4 ne peut pas aller partout.

Terrassement
Terrassement

Vendredi 11, septembre

Je travaille dans le jardin jusqu’à la nuit.

Soir
Soir

Samedi 12, Balaruc

Il n’est pas quatre heures du matin, deux heures que je ne dors pas, et soudain il me devient évident que je suis un des premiers hommes, que le temps de l’humanité est au-delà de moi, dans un grand vertige que je ne connaîtrai pas.

J’ai l’esprit brisé par le bouclage de Vaincre les épidémies, le corps non moins brisé par les travaux dans le jardin. Désormais, c’est comme si la maison flottait sur l’eau. Ça en valait la peine.

Pas davantage le temps de penser, sinon à des statistiques sur le covid, qui en disent beaucoup sur les stratégies des pays, des statistiques que les uns et les autres cherchent à faire parler pour justifier leurs théories préconçues. J’espère que je suis capable de garder tête froide, le but de mes jeux avec les chiffres étant de comprendre les humains.

Mardi 15, Avène

Le Larzac, là-bas
Le Larzac, là-bas

Vendredi 18, Villepassans

Frontière Aude-Hérault à VTT
Frontière Aude-Hérault à VTT

Samedi 19, Balaruc

De l’exigence d’écrire sur le covid, d’interroger le présent, de le raconter. C’est ma mission d’écrivain, quitte à tout jeter dans quelques semaines, mais essayer de lire le présent, de le comprendre, de le donner à lire au futur.

Dimanche 20, Balaruc

À force d’écrire le journal de Didier, j’en ai négligé le mien, presque négligé ma vie intérieure. Ce maudit bouquin part à l’imprimerie demain, qu’on n’en parle plus.

L’orage d’hier soir a transformé mon nouveau coin repas en piscine. Je vais devoir creuser, installer un drain, encore du travail pour me casser le dos, mais je prends du plaisir dans la routine physique, à jouer avec la terre. Peut-être est-ce la méditation ultime, et la méditation noble n’aurait été inventée que par des oisifs à la recherche d’un art perdu faute de communion physique avec la nature.

J’ai bien tenté de lire le Journal du dehors d’Annie Ernaux, un journal que je devrais apprécier parce que j’ai écrit sur le même mode durant les années 1990, mais non, ça ne passe pas, je m’ennuie, et je me dis que mon propre journal est aussi ennuyeux, mais il y a le Journal Extime de Michel Tournier, lui, parfait, plus resserré, plus dans l’illumination, tel devrait être un journal, une collection de saillances. Un exercice de vigilance. Saisir les pensées au vol, les images avec quelques photos, les sourires et les souffrances.

En filigrane, ce mois de septembre est tendu vers le week-end prochain où je dois avec les copains faire le tour de l’Hérault à VTT, et maintenant la pluie s’annonce, et cette autre écriture à laquelle je travaille depuis presque un an risque d’être retardée.

Lundi 21, Balaruc

Ma mère m’apprend qu’un de mes très bons copains d’enfance est mort depuis cinq ans. On se croisait quand il revenait au village. Depuis quelque temps, je cherchais à l’apercevoir en passant devant chez lui. Il aura été celui qui a provoqué m’ont plus grand fou rire. C’était à Paris, dans un restaurant, il y a une vingtaine d’années. Je sortais dans la rue pour me calmer, et quand je revenais m’asseoir j’explosais de nouveau.

Mardi 22, Balaruc

Pluie
Pluie

Mercredi 23, Balaruc

Brume
Brume

Jeudi 24, Balaruc

Demain, départ pour le grand tour de l’Hérault bikepacking. Pas de pluie prévue, mais une brutale chute des températures et fort mistral. Ça va décoiffer.


Quelques comptes Twitter anonymes, avec peu d’abonnés, s’en prennent systématiquement à moi quoi que je dise. En ce moment, c’est par rapport à la promotion de l’hygiène des mains, comme si j’avais beaucoup à gagner avec cette histoire alors que je n’ai rien touché ou presque avec Le geste qui sauve et qu’il est peu probable que Vaincre les épidémies remplisse mon frigidaire pour plus de trois ou quatre mois, alors qu’il m’a demandé un travail démesuré. Il y a des naïfs, qui croient encore qu’écrire des livres est un métier lucratif, alors que ce n’est plus qu’un acte de foi.

Dimanche 27, Balaruc

Retour à la maison après trois jours dans la tourmente et le froid. Tour de l’Hérault interrompu après un peu plus de 300 km. Mais quel bonheur ! C’est au-delà du vélo, c’est une façon de vivre, de s’imprégner de la terre et du ciel, des traces écrites dans la pierre et la terre depuis des siècles. Il y a quelque chose de neuf à graver dont Stevenson a été le précurseur.