Image par Albrecht Fietz de Pixabay
Image par Albrecht Fietz de Pixabay

Je ne suis pas très optimiste quand les progressistes m’apparaissent comme les ennemis du genre humain. Je pense à de nombreux militants écologistes, à des anticapitalistes, à des réformateurs acharnés, qui se battent depuis des années pour une société meilleure. Je pense à des amis politiques alors que nombre d’entre eux défendent désormais des positions effrayantes.

Quand j’ai annoncé qu’en novembre il y aurait un mort covid en France toutes les cinq minutes, plusieurs d’entre eux m’ont dit que ça ne représenterait pas plus de trois victimes par jour par département, que donc c’était une goutte d’eau, que le confinement n’était qu’une mesure de propagande d’une intelligentsia corrompue.

Je m’adresse à toi qui penses ainsi, à toi qui veux sauver la planète, qui veux préserver les libertés, qui défends les plus démunies. Penses-tu à tes valeurs quand tu dis que trois victimes par-ci par-là pourraient être sacrifiées sans sourciller ? Penses-tu à tes parents ? Ils pourraient être un des trois. Ou à toi-même ? Ou à tes amis ? Ou même à tes enfants qui, quoique jeunes, peuvent aussi développer des formes graves de la maladie et conserver durablement des séquelles ? C’est simple de voir la mort comme une donnée statistique tant qu’elle ne touche pas de près. Il est vrai que le covid n’a pas encore frappé assez fort pour que nous connaissions tous des victimes. Mais faudrait-il en arriver là avant d’agir ?

Tu milites contre le réchauffement climatique depuis des années. Tu es conscient des problèmes lorsqu’ils se développent dans le temps. Je ne comprends pas pourquoi tu es incapable de raisonner de la même manière avec le covid. Tu as vu comme moi les courbes épidémiques, tu as vu que brusquement elles sont parties à la hausse, en France et ailleurs. Un tel phénomène ne s’arrête pas par magie. La progression est si rapide qu’il faut l’interrompre avant la saturation de notre système de santé, et qu’alors non seulement les malades covid en pâtissent avec une surmortalité, mais aussi les malades souffrant d’autres pathologies. Tu vas me dire « Ils ont laissé le système de santé dépérir… ».

Est-ce une raison pour le laisser s’effondrer complètement ? Non. Quand un pont s’effondre, ce n’est pas parce que nous connaissons les responsables que nous ne devons pas soigner les victimes.

Mais sache qu’il n’y avait aucune solution simpliste comme tu le proclames souvent en exigeant davantage de lits d’hôpital ou de personnel soignant. Quand les cas réels doublent en une semaine, doubler nos capacités hospitalières ne nous aurait fait gagner qu’une semaine. On ne se bat pas contre une progression exponentielle en tentant de l’absorber, on cherche à la freiner, à revenir dans ce qui est supportable.

Tu sais que pour le climat il y aura un point de bascule où tout s’accélérera, ou il sera trop tard pour des mesures douces. Face au covid, nous avons franchi une seconde fois le point de bascule. Tu es face à un scénario auquel tu as pensé, mais tu n’y es pas préparé, tu refuses même de l’accepter. Tu n’es pas très différent de tes adversaires politiques, au point d’envisager de laisser des gens mourir alors qu’il est possible de les sauver, au prix de quelques désagréments.

Je crois que nous ne sommes pas du même bord politique, finalement. Pour autant, je ne suis pas d’accord sur les méthodes de notre gouvernement, mais ce désaccord ne m’aveugle pas : l’action est nécessaire. On ne peut pas rester sans rien faire. Tu m’invoques le cas de la Suède. C’est la tarte à la crème qu’aiment balancer tous ceux qui pensent comme toi.

  1. La Suède n’a pas rien fait contre le covid. Il y a eu des restrictions, il est vrai plus légères que chez nous.
  2. Les Suédois comme tous les Scandinaves sont bien plus stricts du côté de l’hygiène que toi. Ils n’oublient pas de se laver les mains à chaque occasion et respectent les gestes barrières. Voilà sans doute pourquoi l’épidémie repart chez eux beaucoup plus lentement. Les Scandinaves ont retenu les leçons que nous n’avons pas retenues, parce que nous avons cru que le port du masque était la panacée, alors qu’il nous a détourné des gestes qui sauvent.
  3. Lors de la première vague, la Suède a malgré tout relevé une des plus fortes mortalités en Europe, de loin supérieure à celle de la France, et surtout jusqu’à dix fois supérieure à celle des autres pays scandinaves.
  4. La Suède comme ses voisins, ou l’Allemagne ou l’Autriche, n’a pas été frappée de plein fouet par la première vague, ce qui explique en grande partie pourquoi sa méthode de gestion de la crise n’a pas été plus catastrophique.

Si nous ne faisons rien, nous fonçons vers la stratégie de l’immunité collective qui implique plus de 400 000 victimes (voir note en fin d’article). C’est l’échéance contre laquelle nous nous battons. On dirait que tu refuses d’envisager ce scénario. Je doute de toi, je doute même de ton engagement pour le climat.

Tu exiges des efforts de la part des autres, de tes ennemis, de ceux qui polluent comme si toi-même étais un saint. Tu vois le monde à travers les boucs-émissaires. Pour toi, il y a des responsables et c’est aux responsables d’agir, mais, toi, jamais tu ne t’estimes responsable de rien. Pourtant le covid, c’est toi, c’est moi, c’est nous tous qui le propageons. Aucun bouc-émissaire ne réglera le problème pour nous. C’est terminer les grands discours vindicatifs. Les coupables, c’est nous. Et c’est à nous d’agir, en respectant les gestes barrières, et si nous l’avions fait, nous n’en serions pas à nous reconfiner, et tu n’en serais pas à exiger un inhumain laisser-faire.

Tu voudrais jouer avec les morts. Tu es à côté de la plaque. Si le covid ne tuait pas, le problème resterait le même. Une maladie qui engorge les hôpitaux et épuise les soignants met en danger tous les malades. Nous confinons pour protéger notre système de santé, nous confinons parce toi comme moi pouvons pour une raison ou une autre nous retrouver à l’hôpital, nous confinons pour sauver notre peau, pour sauver un enfant qu’une simple péritonite pourrait abattre. Ce que tu veux, c’est que tout s’effondre ? C’est ça ? Tu veux courir ce risque ?

Plutôt que déblatérer sur les réseaux sociaux, tu ferais mieux de passer ton temps à éduquer les gens autour de toi à l’hygiène des mains. Au moins, tu lutterais contre l’épidémie, tu ferais tout ce que tu peux pour que nous la contrôlions au plus vite et que nous sortions tout aussi vite du semi-confinement qui ne fait plaisir à personne.

Dans les 30 prochains jours, nous aurons presque deux morts toutes les cinq minutes. Tu crois que ça passera en douceur dans les hôpitaux ?

PS : Avec un R0 de 3 pour le covid, valeur médiane mesurée, il faut que 66 % de la population soit immunisée pour atteindre l’immunité de groupe (à condition qu’elle soit possible, ce dont nous ne sommes pas sûr). Au mieux nous en sommes à 16 % des Français immunisés le 7 novembre 2020 et cela nous a coûté pratiquement 40 000 victimes. Pour arriver à 66 % sans un vaccin, nous devrons encore déplorer 290 000 victimes, en supposant une gestion de la crise en stop and go durant des mois et des mois, car sinon le système de santé s’écroulerait et le taux de mortalité s’envolerait.