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Je veux la paix, dit le vaccin, mais je fais la guerre

Extrait d’un passage de Vaincre les épidémies. Entrée du journal de Didier Pittet au 4 mai 2020.


Emmanuel Macron et Angela Merkel annoncent que leurs pays participent ensemble à hauteur de 1 milliard d’euros à une levée de fonds pour financer la recherche de vaccins ou de traitements. Est-ce un pas vers l’économie de paix ? Est-ce un pas de plus quand le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, appelle à ce que le traitement soit accessible pour tous ?

Pour atteindre cet objectif d’universalité, une seule solution : rendre public ce traitement, le mettre en open source, le verser au compte des biens communs de l’humanité. Comme je l’ai observé avec les formulations hydroalcooliques, l’ouverture fait taire les suspicions. Par exemple, on ne peut pas accuser un vaccin de contenir une substance cancérigène si sa formulation est publique. Un vaccin s’adresse à tous, il doit être adopté à grande échelle pour créer une immunité collective. On doit donc avoir confiance en lui, et la seule façon de construire cette confiance est d’ouvrir les portes de la maison, d’autoriser tout le monde à la visiter en disant : « Regardez, je n’ai rien à cacher. » Un vaccin doit donc avoir un coût minimal, mais aussi être transparent.

Une fois un vaccin adopté, il accroît la santé d’une population, donc son bien-être, donc la pacifie. Un vaccin est un vecteur de paix. S’il devient un enjeu économique, donc d’une bataille commerciale, il entretient une ambiguïté délétère, autrement dit une dissonance cognitive : « Je veux la paix, mais je fais la guerre. » Pour être acceptés, les traitements à vocation communautaires devraient être libres de droits et en open source. On ne peut pas prêcher la paix et la prédation en même temps.

Il y a un gros bug dans le système philosophique libéral. Prétendre que l’économie est centrale revient à dire que l’argent est le nerf de la guerre et donc qu’il y a des vainqueurs et des perdants. Nous autres chercheurs le vivons au quotidien : mes travaux, qui ne promettent aucun autre bénéfice que sauver des vies, environ 8 millions par an, ont été nettement moins financés que d’autres, moins prometteurs en termes de santé globale. Ensemble, le sida, la malaria et la tuberculose causent moins de 3 millions de morts par an et bénéficient de milliards de dollars d’investissements. Autre exemple : de nombreux projets contre le cancer récoltent des millions, parce que les traitements contre le cancer sont ensuite commercialisés à des prix exorbitants. Si demain un chercheur entrevoit un moyen de soigner le cancer pour presque rien, il aura du mal à être financé.

Prioriser l’économie, c’est donner une direction qui ne parle qu’à un petit nombre, avec l’illusion que tous en profiteront. La métaphore du ruissellement est trompeuse et s’avère pour le moins imparfaite. Le problème est profond. Quand on priorise l’économie, on priorise le moyen et non le but. On fabrique une société privée de sens. Alors que si on priorise la santé, on s’adresse aux gens, on œuvre explicitement pour leur bien-être, et tout le reste découle de cet objectif premier.

Pour être en bonne santé, il faut s’alimenter correctement, ce qui implique une politique agricole responsable, il faut vivre dans une biosphère elle-même en bonne santé, ce qui implique une responsabilité écologique… Ainsi de suite, les pièces du puzzle se mettent en place, commandées par une idée directrice signifiante pour chacun de nous et capable de faire monter tout le monde dans le bateau, car notre santé est notre bien le plus précieux.

Quand Trump postule qu’il ne peut y avoir de société prospère sans ordre ni loi, je lui réponds qu’il ne peut y avoir de société prospère sans citoyens en bonne santé. L’ordre vient de lui-même quand la santé est là.


Me semble qu’il est important de méditer ce lien entre les vaccins, à vocation pacificatrice, et la méthode guerrière qui sous-tend leur commercialisation. Et si telle était l’origine inconsciente du mouvement antivax ?