Il y a des jours étranges en hiver dans le Midi. Matinée de grisaille, horizon bouché, brouillard mouillé, puis le soleil s’invite et j’improvise une sortie gravel.
Ma curiosité piquée par une trace concoctée par Valérie Rasigade, créatrice du groupe gravelle, animatrice infatigable et traceuse émérite, je m’en vais explorer un no man’s land, une zone humide coincée entre une départementale surchargée et une voie de chemin de fer, ponctuée de ranches, de chevaux en liberté, de clôtures tendues de fils barbelés, de roselières vaseuses.
Je n’ai jamais roulé dans ce cul de basse fosse entre rien et le néant, qui ne connecte aucun de nos terrains de jeu, qui accumule sur ses flancs des campings clinquants avec palmiers plastifiés. Nous évitons même les routes qui l’encadrent, comme si la débilité du lieu rejaillissait sur les conducteurs, les incitant à nous frôler pour nous faire comprendre que nous n’avons rien à faire là.
Mais je désobéis. Avec le soleil de février, tout brille, les prunus en fleur, l’herbe neuve à vif, la terre déjà chaude. Ça commence mal, je me glisse entre deux maisons par un sale chemin, rejoins le bord de la voie ferrée, adossée à des murs au-dessus desquels les propriétaires jettent leurs ordures. Dégoûté, je manque faire demi-tour, quand tout s’éclaircit une fois les habitations dépassées. Il ne reste que le chemin herbeux, un étang où se dandinent des flamants roses, sur le fond des collines. Je découvre une nouvelle perspective sur mon jardin, et me réjouis à l’idée d’y entraîner les copains.
J’essaie tous les chemins, toutes les sentes, je réussis à les connecter, à tracer un zigzag improbable, entortillé sur lui-même. Une piste magnifique s’achève sur un portail en fer après un kilomètre idyllique. Je n’ose le franchir. J’explore encore, enjambe un canal d’irrigation par un pont caché dans les joncs, puis une roubine en jouant à l’équilibriste sur un IPN. Je me retrouve dans un champ d’oliviers, puis pédale jusqu’à épuiser toutes les possibilités.
Je prends conscience que je viens de tourner en rond dans cet espace marécageux du Barnier, où mon père venait chasser quand j’étais enfant, mon père enterré là, tout à côté, sur la butte de l’autre côté de la voie. Je vais le voir. Ça doit lui plaire de me voir à vélo. Il doit bien rire de me sentir heureux dans cet entremonde où la civilisation rechigne à se glisser, les routes mauvaises comme pour tenir à l’écart les curieux.
Je ne dirai plus jamais que je connais tous les chemins autour de chez moi. Plus j’explore, plus le territoire se creuse, poupées russes fractales qui se dépilent sans cesse, une magie provoquée par le gravel, qui rend passionnant des paysages impraticables à vélo de route et guère intéressant à VTT.