Lundi 1er, Balaruc
Mardi 2, Balaruc
Je passe mes journées dehors et retrouve mon clavier avec difficulté, avec la peur de ne pas être capable de replonger dans mon autobiographie, aussi en sachant que ces journées qui commencent par l’incertitude sont souvent les plus productives, ce qui me donne le courage de les affronter.
Cet après-midi, j’ai relevé des rochers au bord de l’étang, planté des agaves. Un moment, je me suis dit à quoi bon, aussi bien tout cela sera sous l’eau d’ici quelques décennies, mais j’ai continué de travailler, parce qu’en attendant les racines retiendront la terre et moi j’aurais un beau jardin, et peut-être mes enfants aussi, voire leurs enfants. Jamais je ne travaille que pour moi. Si mes ancêtres n’avaient travaillé que pour eux, nous vivrions dans un monde en ruine.
Mercredi 3, Balaruc
Nouvelle lecture au sujet de la modélisation de l’univers par un réseau neuronal. Si nous ne trouvons aucun phénomène qui ne peut être simulé par un tel réseau est-ce pour autant que l’univers est un réseau neuronal ? Non, plusieurs méthodes peuvent peut-être conduire aux mêmes résultats. Mais j’aime l’idée d’un univers neuronal, peut-être un cerveau parmi une infinité d’autres, tous en train de discuter. Nous n’avons cessé de nous voir de plus de plus minuscules dans l’univers, pourquoi ne pas replacer l’univers dans une étendue plus vaste. Une seule issue à ce jeu de poupée russe : à la fin, la poupée la plus grande est aussi la plus infime, le ying et le yang.
Samedi 6, Balaruc
J’aime le VTT et le gravel parce qu’ils me font quitter la civilisation, communier avec la nature, me débarrasser de toutes les contraintes. Certes, c’est un sport onéreux, mais je n’ai pas envie que tout soit pollué par l’argent, surtout pas le vélo d’aventure. J’aimerais qu’il garde son côté roots, collaboratif, bottum-up, tel qu’initié aux États-Unis et consacré par la Tour Divide, la traversée du pays du nord au sud. Je voudrais que cette discipline échappe au marché, qu’elle soit libre, mais elle aussi devient un business.
Dimanche 7, Balaruc
La fonction souvenir de Facebook me renvoie une photo prise il y a 9 ans. Émile n’a pas encore cinq ans. Il arrive tout juste à la hauteur de la rambarde de mon bureau et regarde l’étang. J’en ai les trippes remuées. Les GAFAM jouent avec ma mémoire. Ils me manipulent, entrent insidieusement dans mon intimité. Je leur ai donné bien trop de droits.
Lundi 8, Balaruc
Mardi 9, Balaruc
Gracq évoque les peintures du jeu de Paume et elles me reviennent en mémoire, non pas distinctes, mais dans leur chaleur vibrante et je prends conscience que depuis trop longtemps je me tiens à distance d’elles, et de toute la peinture, et même de la photographie, encore qu’elle je la fréquente par écran interposé. Elles me manquent, et à choisir, je leur préfère encore les paysages que j’embrasse lors de mes promenades. Hier soir, parti par une douce après-midi courue de nuages soudain plus nombreux, et noirs, avec de la pluie au loin, et un indispensable arc-en-ciel, le soleil rasant sous les nuages pour irradier l’herbe printanière au-delà de mes lunettes photochromiques. Retour sous une giboulée, brève et joyeuse, comme pour dire que nous changions encore une fois de saison.
Gracq est un auteur sérieux, qui oublie de se prendre en dérision, et peut-être cela restera sa faute et son échec, celui de trop avoir cru à ce qu’il aura écrit. Y penser moi-même, toujours glisser un clin d’œil, dire « je pense ça et pourrais penser le contraire », l’important étant de penser et de se mettre en mouvement, d’être dans la dynamique du vivant et non de rechercher le marbre des pierres tombales.
Mercredi 10, Balaruc
J’ai passé hier une journée agréable, bien remplie, sans stress, même avec légèreté, avançant dans mes divers projets, pourtant j’ai dormi tout de travers, agité, dans une hébétude nerveuse et peu reposante, sans raison, sans explication, sinon que peut-être je n’ai pas assez bu. Je me dis toujours que mon alimentation plus que tout dicte mes nuits.
D’un bout de phrase, « le grand vent de novembre qui chassait les feuilles par brassées », Gracq me renvoie en automne avec nostalgie alors que nous marchons vers le printemps radieux. Je ne me ferais jamais au pouvoir des mots. Je ne sais pas si j’ai un jour écrit un enchaînement de phrases qui mène à cette levée d’émotion chez un lecteur.
J’aime ma lecture du matin, avant de réveiller les enfants, de les conduire à l’école, de me mettre au travail. Je m’applique à cette gymnastique quand je m’éveille trop tôt, plutôt que de plonger tête baissée dans mes bricolages, les mettant en suspend, pour qu’ils s’impatientent et jaillissent plus vite quand je les mets en branle.
Jeudi 11, Balaruc
Lisant Gracq, des souvenirs de mon enfance remontent, celle d’un monde paysan dont j’ai connu les derniers balbutiements dans le village de mes grands-parents maternels, aux rues inégales, aux maisons noircies de suie. Le seul problème : Gracq écrivait durant mon enfance, évoquant le monde de son enfance. Alors est-ce que mes enfants, en lisant Gracq dans cinquante ans, ou en me lisant, éprouveront le même sentiment ? Est-ce qu’une époque meurt en ce moment même ? Mais quelle époque ?
Je vois les zones pavillonnaires et les centres commerciaux gangréner les terres agricoles, la bétonnisation toujours gagner davantage de terrain, je vois aussi les derniers paysans clôturer avec de plus en plus d’énergie leurs terres pour que nous ne puissions plus les traverser lors de nos promenades, comme si notre passage les usait, je vois les chasseurs sur les dents, car réduit à une minorité archaïque détestée de tous, je vois des villages gris s’embellir de couleurs et de lumières, s’enorgueillir d’ornements urbains aujourd’hui modernes et demain tout aussi datés que les fers forgés art déco, je vois ce qui ne résistera pas au temps, sans deviner ce qui est déjà révolu.
Peut-être que l’évocation des bruits des moteurs à explosion et des odeurs des gaz d’échappement provoquera chez mes enfants les mêmes bouffées de nostalgie que l’évocation des friches où nous construisions des cabanes pour nous inventer une vie d’adulte loin des adultes (je n’éprouve aucune nostalgie en pensant à la puanteur des cigarettes dans les lieux publics). Ils regretteront leur jeu vidéo comme moi le Space Invader ou le Packman, et davantage encore les flippers, seul le baby-foot traversant les générations, et toujours aussi présent par sa place de choix sur la mezzanine de la maison.
Vendredi 12, Balaruc
François Bon dit avoir vendu sept disques durs avec l’ensemble de ses vidéos. Depuis quelque temps, je lis des articles sur la vente aux enchères d’œuvres d’art cryptées, les NFT (Non-fungible token), notamment des images. Pourquoi ne pas générer chaque année une version cryptée de l’ensemble de mon blog, version statique minimaliste, ne nécessitant aucune base de données, pour la vendre aux enchères, pas tant pour faire fortune que pour savoir que mes textes publiés en ligne existent ailleurs que sur mon fragile serveur ? Bien sûr, cela implique un peu de codage, mais l’idée chemine. Avec les copains blogueurs, nous pourrions organiser une vente groupée, en faire un petit événement littéraire à notre sauce.
Pourquoi ne pas créer une image très haute résolution avec tous les titres des articles du blog, et même une seule image, style micro film numérique, avec la totalité du blog à zoomer. Seul bémol, un jpeg ne peut dépasser 65 535 × 65 535 pixels.
Samedi 13, Balaruc
Dimanche 14, Balaruc
Cette semaine un datacenter OVH a brûlé, mettant à terre, voire détruisant, de nombreux sites. Beaucoup de gens s’émeuvent. Cette histoire n’a eu aucun impact sur moi, je ne le mentionne que parce que beaucoup d’autres l’ont fait comme après une prise de conscience, comme si avant cet événement banal ils ignoraient la fragilité de nos données.
J’ai toujours eu une stratégie d’archivage décentralisée, toujours stockée des copies hors site : sur des bandes, puis des disques, désormais sur des clouds différents. Par exemple, toutes les nuits, je sauvegarde la base de données de mon blog sur une DropBox, avec une rotation sur sept jours, et tous les mois la totalité des images et du code sur un GoogleDrive avec une rotation de deux mois. Tout cela est automatique. Il me suffit de vérifier que l’automatisme fonctionne. Il ne faudrait pas que comme à vélo je roule depuis des mois avec une chambre à air vermoulue.
Ma stratégie ne me satisfait pas, elle dépend en grande partie de la pérennité du code de WordPress, en évolution continuelle pour répondre à celle du web, donc nécessitant des mises à jour de mon côté. Quand je perdrai cette envie, ou n’en aurai plus les moyens intellectuels, ou mourrai, que plus personne ne paiera mon domaine et mon serveur, mes textes et mes images s’effaceront, un peu comme si après la mort d’un auteur ses livres s’effaçaient faute du règlement de divers abonnements.
La seule chose à faire est donc de générer une version statique de mon site, du HTML brut, ne nécessitant aucun serveur. J’y pense depuis des années, j’ai essayé des plug-ins, aucun satisfaisant, il faudrait donc que j’en code un pour créer une version portable de mon œuvre numérique, condition nécessaire avant de jouer avec les NFT.
Gracq évoque avec nostalgie les courses à vélo sur piste de demi-fonds très populaires avant la télévision, quand on allait au vélodrome voir les coureurs se battre sur la piste. La technologie change jusqu’aux sports. Quand des drones suiveurs auront des autonomies encore impossibles, les courses d’endurances sur plusieurs jours supplanteront les courses cyclistes en ligne. On suivra chacun des participants, chacun bataillant de son côté, dans des espaces où les équipes TV d’aujourd’hui ne peuvent pas aller pour organiser des directs. Par exemple, les singles de nos garrigues.
Quand je n’ai pas décrit un paysage depuis quelques jours, ou un périple à travers des chemins, quand je n’ai pas versé vers un peu de poésie, je me sens comme le peintre qui ne peindrait plus. Alors, je lève les yeux, ne vois rien à dire, malgré l’eau exceptionnellement basse ce matin, des rochers verdâtres pointant hors de la vase, épines dorsales de quelques sauriens engloutis et vermoulus. Je me dis que cet après-midi j’irais en déterrer quelques-uns pour renforcer le rempart qui sépare le jardin de l’étang, répétant des gestes anciens, ceux qui ont façonné nos garrigues d’alignements titanesques et dont nous découvrons les vestiges sous les chênes verts.
Lundi 15, Balaruc
Certains auteurs, rares, me procurent un étrange sentiment, soulevant en moi une force parallèle à leur propre narration, mélange d’idées et de souvenirs qui s’anime, enfle, et je suis dans l’attente de son apothéose, au bord du volcan dont l’irruption inévitable m’effraye et m’excite. Ces auteurs se situent entre poésie et essai, entre évocation et réflexion, dans l’espace étroit où la littérature se sublime.
D’autres ne font que raconter, que me divertir, et j’aime les lire la nuit, parce qu’ils me rendorment assez vite, faute de stimuler mon imagination, même quand ils jonglent avec les années-lumière. D’autres encore m’informent, restent trop factuels pour qu’un sentiment sans nom s’éveille en moi.
À de rares exceptions, je veux être de la première catégorie, décrire mes émerveillements, non pour provoquer les mêmes, mais pour mettre en branle chez les lecteurs un identique processus mental, faire que se retourne un grand monstre dans son sommeil, peut-être ouvre un œil.
Mardi 16, Balaruc
Quand j’écris mon journal le matin, il ne peut être le récit de la journée passée, parce qu’une nuit déjà la recouvre, ni l’anticipation de la journée à venir, puisqu’elle devrait se dérouler sans surprise, sinon des éclats de lumière.
Gracq dit être de plus en plus sensible à la lumière en vieillissant. « J’admets mal d’avoir à fermer les yeux un jour sur tout cela. » Alors, moi aussi, j’avale goulûment les verdures électriques du printemps au soleil couchant, quand comme hier soir, finalement j’y reviens, à vélo avec les copains, nous roulions au sommet d’une petite falaise, entre les violettes et les feuilles naissantes des azeroliers, les nuages bousculés par le mistral troués de radiations fluorescentes, les champs en contrebas traversés de vagues vertes et jaunes.
Mercredi 17, Balaruc
Les eaux déjà basses avant le mistral se sont retirées, relevant devant la maison une gencive béante de chicos recouverts d’une bave violine. J’ai passé hier l’après-midi à remonté les dernières pierres le long du mur, renonçant à déraciner celles dressées plus au large, de peur d’affaiblir le sol et qu’elles cessent de freiner les vagues qui ne manqueront pas bientôt de déferler à nouveau sous mes fenêtres.
Je me suis assis sur le banc de fer adossé au garage, endroit choisi par mon père pour boire une bière sans alcool les matins d’été. Le vent me passait sous le nez, n’abandonnant derrière lui qu’un chaud soleil. J’ai passé un long moment à nettoyer un pneu du liquide anticrevaison qui obstruait son intérieur, décollant une à une des peaux de latex avec une patience paysanne. Le temps s’était arrêté, j’aurais pu tout aussi bien écosser des pois cassés.
Jeudi 18, Balaruc
Vendredi 19, Balaruc
Je termine Lettrines 2 de Gracq, dégusté à petites lampées tous les matins, parce ce texte sinon écœure par son goût excessif, par ses descriptions parfois mécaniques, poétiques pour être poétiques, qui en finissent par s’apparenter à un un procédé répétable à l’infini, jeu d’atelier d’écriture, et que n’importe quel auteur avec un peu d’expérience peut s’approprier. Un bon exercice, Gracq nous ayant offert quelques nouveaux outils expressifs à dominer à tout prix. Il peut être sublime, d’autres fois il s’enferme dans son système, décrivant parce qu’il le faut, parce que telle est devenue sa méthode géographique. Il en oublie son œil, le pourquoi il regarde, aime ou déteste. Il tend trop souvent vers la description mathématique et définitive, à la recherche d’une vérité absolue imbécile, surtout à la fin de son texte, dont l’achèvement était nécessaire pour cause d’un épuisement évident.
C’est bien sûr une œuvre capitale de notre histoire littéraire, une des plus importantes du XXe siècle, mais qui en quelque sorte ne peut avoir de suite, parce qu’elle est arrivée au bout d’elle-même, nous criant de ne pas prendre exemple et de ne pas chercher à imiter, ce que j’ai parfois du mal à ne pas faire, parce qu’il y a la tentation de décrire pour le seul plaisir d’entendre claquer les mots, « les mouchoirs de verdures ». Pourquoi pas, mais alors ne pas me pencher sur les atlas, ne pas comme Gracq semble le faire rechercher des noms de lieux a posteriori ou de plantes ou d’animaux pour provoquer un exotisme fatigant, et qui finit par me faire voir l’auteur au travail, tout barbouillé de suie dans la mine qu’il creuse jusqu’à ce qu’elle menace de s’écrouler sur lui.
Samedi 20, Balaruc
L’horreur du débarquement me traverse parfois. Je me vois armé sur ma chaloupe sachant que la mort m’attend sur la plage. Comment des hommes ont-ils pu imaginer une stratégie aussi meurtrière ? Après avoir accepté l’idée de guerre, ils étaient prêts à tout. Si j’avais dû libérer la France, j’aurais choisi la résistance généralisée. Parachuter partout des hommes plutôt que les amasser sur un front.
Je passe cent fois devant un sentier sans jamais le prendre, parce que je sens qu’il me ramènera trop vite à la maison, et par une route que je n’aime pas forcément. Cette après-midi, un copain fatigué veut abréger ses souffrances, et nous fait prendre le sentier, assez pierreux au début, puis qui s’adoucit le long d’anciens murets découpant des cultures oubliées, puis passe sous une voie de chemin de fer désaffectée. Il nous jette sur une route, nous la coupons droit et un étrange sentiment monte en moi, un trouble mémoriel. Je n’ai jamais emprunté cette route à vélo, pourtant je la connais, d’il y a très longtemps, de mon enfance. Mon grand-père avait là une vigne. J’ai l’image d’une scène de vendange, une camionnette chargée de comportes, un gars debout sur le plateau arrière.
Dimanche 21, Balaruc
Des lecteurs attendent la suite de mon autobiographie littéraire comme d’un thriller, mais je ne pourrais l’écrire que quand j’aurais vécu les chapitres ultérieurs. Des lecteurs qui ne sauraient rien de moi pourraient croire que ce livre est un roman, que tous les textes évoqués n’ont jamais été écrits, que toutes les théories résumées ne sont que des fantasmes. Après tout, quelle différence ?
Lundi 22, Balaruc
Nul n’est prophète en son pays. J’ai eu l’occasion de parler de mes textes dans beaucoup de villes, mais jamais dans mon village natal. Aujourd’hui, je reçois un message de l’association de promotion du livre et de la lecture en Occitanie qui annonce que huit auteurs écriront sur les huit villes thermales de ma région. Balaruc, bien sûr. Mais ce n’est pas moi. Ça me blesse, j’avoue.
Mercredi 24, Balaruc
Pierre me dit qu’il a dévoré mon autobiographie. « Mais je te connais. » Il se demande si mon texte peut intéresser des lecteurs qui ne me connaissent pas. Interrogation naturelle pour un éditeur. On se donne de temps pour réfléchir.
Sur Facebook, un gars commente mon dernier article, disant un peu n’importe quoi. « Tu l’as lu ? » « Je n’ai pas que ça à faire. » Mais poster des commentaires débiles, oui. Si ces comportements étaient isolés, je ne m’inquiéterais pas. Ils révèlent notre besoin de nous exprimer quitte à déblatérer sur ce dont nous n’avons aucune idée, en général en supposant les autres plus cons que soit. Moins on connaît quelque chose, plus on croit le comprendre. C’est l’effet Dunning-Kruger. Inversement, mieux on connaît un domaine, plus on sait son ignorance.
Jeudi 25, Balaruc
Petite boucle à vélo autour de l’étang, pour faire tourner encore un peu les jambes en préparion du grand tour de l’Hérault dans une semaine. Quand j’arrive dans le secteur de Bellevue, traverse une zone souvent inondée et encore très boueuse, je vois là une voiture enlisée, avec un jeune gars désespéré qui me dit que son GPS lui a dit de passer par là.
Vendredi 26, Balaruc
Je dors affreusement mal, m’endormant tôt, me réveillant souvent à trois heures du matin, incapable de me rendormir, ou de parfois le faire, mais avec la sensation ne de ne pas le faire, n’en prenant conscience qu’au réveil parce que je comprends que j’ai rêvé.
Samedi 27, Balaruc
Lundi 28, Balaruc
Quand je reprendrais mon autobiographie, parce qu’il me faudra le faire, je parlerais de la maison de mes grands-parents maternels de Poussan, un village encore arriéré quand j’étais gamin, avec des rues défoncées, et les vignes qui cognaient aux ruelles moyenâgeuses. Les coqs me réveillaient le matin, la lumière y était plus calme qu’au bord de l’étang, plus chaude en été, et je partais vers un jardin improbable perché au-delà de l’église et du cimetière. Ce lieu a polarisé ma créativité, et j’en ai négligé la puissance.
Mardi 30, Balaruc
Gracq évoque les conversations parisiennes. « J’ai parfois été mortifié de m’apercevoir que quand j’essaie d’intervenir ou de placer une remarque dans une conversation générale (…) on ne m’écoute pas et on passe. Avec le temps, j’ai cessé de m’en formaliser et j’écoute les autres, sans réussir à trouver ce qu’ils disent de tellement surprenant. » Voilà un autre point commun entre lui et moi. J’en arrive à croire que je suis transparent, que je n’existe pas, jusqu’à éprouver un peu de rage et de détestation pour les gens capables de maintenir le brouhaha social dont je suis exclu. J’éprouve souvent ce sentiment lors des salons littéraires où les plus médiocres des écrivains se donnent en spectacle.
Mercredi 31, Balaruc
Depuis que j’ai bouclé le premier jet de mon autobiographie, je dors misérablement. Je comprends pourquoi : quand je n’écris pas, il me reste trop de bouillonnements dans la tête. L’écriture a sur moi un pouvoir apaisant.
Nouveau confinement national décidé ce soir, brutalement, de but en blanc, alors qu’il aurait suffi de fixer un seuil d’occupation des lits en réanimation pour déclencher cette mesure, ce qui nous aurait permis de l’anticiper et de mieux organiser nos vies. Notre gouvernement paternaliste ne prend pas cette peine, il nous impose sa volonté avec autorité, nous démontrant son incapacité à prévoir même le prévisible. Jusqu’au bout il a cru à une espèce de miracle français, comme si le virus aurait pu nous épargner pour les beaux yeux de notre Président. Nous sommes toujours gouvernés par des idéalistes et l’idéaliste a toujours un côté dangereusement mystique. Au nom de l’idéal de Nation, il envoie les gamins se faire tuer à la guerre.