Centre vaccination Sète
Centre vaccination Sète

Vaccins : un conflit de génération ?

Le 29 avril, à 10 h, il y a 4 jours, j’ai accompagné ma mère âgée de 82 ans recevoir son rappel de vaccin Pfizer, au centre de vaccination de Sète. Pendant que nous attendions, elle m’a dit « ils n’ont pas tous plus de 75 ans ».

En effet, beaucoup de jeunes entraient les uns après les autres dans le centre de vaccination. Pour la plupart, ils étaient même beaucoup plus jeunes que moi, approchant des 58 ans. Ma mère était furieuse, son premier rendez-vous de mi-janvier ayant été annulé au dernier moment, et elle avait dû attendre le 1er avril pour sa première injection, après des dizaines d’appels infructueux.

Mais nous étions rassurés, cette fois elle serait protégée, du moins nous l’espérions. Quand elle est ressortie, elle m’a dit qu’un pompier lui avait expliqué que le soir il restait toujours quelques doses de Pfizer ou Moderna et qu’il suffisait de se présenter pour être vacciné. J’ai posé la question à un ami médecin, qui m’a confirmé cette heureuse possibilité.

Ce soir donc, à 17 h 35, Isa et moi arrivons dans l’espoir de profiter d’un fond de flacon. Nous sommes une dizaine de personnes à attendre, bientôt une vingtaine. Certains passent devant tout le monde, discutent, parlementent. Mais on est où ? Au marché ? Un préposé met de l’ordre dans le chaos grandissant en expliquant que les doses restantes seraient distribuées par ordre de priorité. Du coup, tout le monde attend sagement.

Mais je commence à fulminer. Les dernières personnes avec rendez-vous, et donc qui nous passent devant, ont pour la plupart moins de 40 ans. J’entends que la jeunesse ne dispense pas des facteurs de comorbidité, mais le défilé auquel j’assiste éveille mes suspicions. Ça sent la magouille, les passe-droits. Le plus beau reste à venir.

À 18 heures, le centre ferme officiellement ses portes. Nous attendons toujours de voir s’il reste des doses. Un préposé finit par sortir et annonce uniquement deux disponibilités. Il demande si des personnes ont des causes de comorbidité. Personne. Des plus de 60 ans ? Personne. De 59 ? Non. De 58 ? Non. De 57 ? Nous sommes deux, une femme et moi. Nous serons donc les heureux élus du soir.

Quand je donne ma carte vitale, mon numéro de téléphone et autres informations, je demande pourquoi autant de jeunes obtiennent des rendez-vous. On m’explique qu’ils déclarent sur Doctolib avoir des causes de comorbidité. Comme le personnel n’a pas le droit de consulter leur dossier médical, ils se font vacciner, passant devant des personnes prioritaires. Pour le dire autrement, par égoïsme, ils condamnent peut-être à mort leurs aînés. Le personnel me confirme qu’il y a tricherie dans la plupart des cas.

La vaccination n’est qu’une formalité. Je reçois une injection de Pfizer, puis patiente les quinze minutes réglementaires, tout en commençant à écrire cet article. Voilà que débarque un troisième miraculé. Il doit avoir tout au plus 25 ans. Quand je sors, Isa qui l’a vu entrer m’explique qu’il a forcé le passage, expliquant qu’il avait à tout prix besoin d’une dose, parce qu’il s’occupait de personnes immunodéprimées.

Je mets ma main à couper que ce n’était pas le cas. Le gamin était fringué comme une star de la TV, c’est presque un uniforme à Sète. Une arrogance sans faille, peur de rien. Parce que s’il était vraiment prioritaire, travaillant dans le monde médical, il aurait eu en toute orthodoxie son rendez-vous.

Nous sommes rentrés effondrés. Isa ne cessait de répéter « Il ne fait pas bon vieillir dans ce monde. » Dans quelle société les jeunes écrasent-ils ainsi leurs aînés ? Dans quelle société ils ne respectent plus l’équité ? Ai-je assisté à Sète à un microphénomène ou est-il généralisé ? Les jeunes sont-ils prêts à tuer pour pouvoir danser cet été ? L’égoïsme serait-il donc en train de nous gangréner à ce point ?

Je suppose que l’astuce de la comorbidité est déjà une affaire publique sur les réseaux sociaux et qu’elle m’a échappé jusque là. Je n’en reste pas moins révolté, avec un goût amer dans la bouche.

Je dois être trop naïf, je tombe des nues. Un ami me dit : « Je suis étonné que tu sois étonné. » Oui, j’avais l’espoir de vivre dans un monde moins pourri.


Les premiers commentateurs de cet article justifient la tricherie, comme quoi les plus âgés auraient massacré la planète, n’auraient rien fait pour éviter le désastre, et qu’il faudrait en quelque sorte les punir pour leur inconscience politique… En étant soit même inconscient ? C’est bien ça le projet politique ? J’ai du mal à comprendre.

Des jeunes reconnaissent tricher, parce qu’ils s’estiment à risque dans leur profession, oubliant que des personnes plus âgées effectuent le même travail qu’eux, sans être encore vaccinées, ou que d’autres professions sont encore plus à risque.

Vaccinés
Vaccinés

Enfin, au vu des chiffres, d’autres disent que la tricherie est limitée. Je répète que jusqu’à il y a quelques jours la vaccination était réservée aux plus de 55 ans, à quelques exceptions près, et que seules de rares causes de comorbidité ouvraient la vaccination aux plus jeunes. Au 3 mai, selon les statistiques, je découvre que 2,1 millions de personnes de moins de 50 ans ont reçu une injection. Toutes ont-elles des causes de comorbidité ? Et comment ont-elles fait pour être vaccinées aussi tôt ? Des profs, des soignants ? Mais les profs eux-mêmes n’avaient pas encore le droit d’être vaccinés.

Est-ce qu’il y a autant de personnes de moins de 50 ans avec des causes de comorbidité ouverte à vaccination ? Pire, est-ce qu’il y a près de 500 000 jeunes entre 18 et 29 avec des causes de comorbidité, soit près de 5 % de celle classe d’âge. Sont-ils prof ou personnel de santé ou souffrant de comorbidité ?

Pour tout dire, personnellement, je n’ai jamais été pour la vaccination des plus vieux en premier, préférant la méthode qui aurait consisté à vacciner d’abord les hub sociaux, les personnes avec le plus d’interactions sociales. Il a été démontré qu’elle aurait été beaucoup plus efficace pour stopper l’épidémie. Aucun gouvernement n’a choisi cette stratégie, sans doute trop intelligente. Alors fallait-il désobéir ? Et laisser sur le tapis ceux qui ne le faisaient pas ? En tant que société, à un moment donné, on doit respecter des règles communes. Et si on ne veut pas les respecter, on doit militer contre, clairement dénoncer, clairement s’opposer. Mais nous n’assistons pas du tout à un mouvement politique en faveur d’une autre forme de vaccination, plutôt à un chacun pour soi.

Je n’ai pas écrit cet article pour parler de la vaccination, mais pour décrire l’état de notre société, dont la vaccination ne fait que révéler une forme de déliquescence souterraine, ou peut-être, et plus sûrement, que la révéler telle qu’elle a toujours été. Je ne crois pas que le monde soit pire aujourd’hui qu’hier, je pense plutôt le contraire. Reste des bugs, qu’il est important de mettre à jour.


Cet article n’a jamais eu pour but de dénoncer l’utilisation des fonds de flacon, très bienvenue, j’en ai d’ailleurs profité comme je le raconte, mais une forme d’incivisme que la vaccination a mis en évidence à mes yeux naïfs.