Samedi 1er, Balaruc
Je me demande si l’enseignement du français, cette façon d’interpréter les textes, n’est pas tout simplement héritière de l’interprétation des textes religieux, plutôt vagues, et desquels, génération après génération, on cherche à extraire ce qu’on veut bien entendre. Alors je comprends le dégoût de Tim, chez qui la préparation du Bac de français provoque des nausées, comme à moi-même jadis, et comme tout athée ne peut qu’en éprouver par cette approche religieuse de la littérature.
Chateaubriand : « Des auteurs modernes français de ma date, je suis quasi le seul dont la vie ressemble à ses ouvrages […] » Plus les années passent, plus je tends vers cette doctrine. J’apprécie les fictions délirantes, mais déteste celles qui se veulent réalistes, le roman noir en général, alors que les auteurs ignorent tout de ce dont ils parlent.
« Mais à compter du règne de François Ier, nos écrivains ont été des hommes isolés dont les talents pouvaient être l’expression de l’esprit, non des faits de leur époque. » Si une œuvre n’enferme pas son époque en ce qu’elle diffère des autres et des invariants comme les phénomènes de mode, elle a peu de chance de survivre.
Dimanche 2, Cap d’Agde
Lundi 3, Balaruc
One Minute sortira en novembre chez Push Éditions, dans un coffret de quatre tomes. Le travail de relecture ne fait que commencer. Heureux de pouvoir enfin boucler mon texte le plus électrisant.
Je me présente le soir au centre de vaccination et réussis à recevoir un fond de tube, mais découvre que les jeunes trichent pour être vaccinés les premiers. J’écris aussitôt un article, mais tout le monde semble blasé, comme si la perte éthique était un état de fait irrémédiable, le même constaté en Alexandrie ou à Rome lors de la décadence. J’en suis malade.
Mardi 4, Villeveyrac
Jeudi 6, Balaruc
À la radio, j’attrape une auteur qui s’en prend à la collapsologie avec brio. Elle montre comment les collapsologues prédisent la chute de notre civilisation sans jamais vouloir donner de date, usant de tout évènement planétaire comme signe avant-coureur de leur théorie, mais repoussant toujours l’échéance, car toute prévision précise, donc scientifique, serait réfutée par le temps. Quand les collapsologues parlent du covid comme un prélude à l’effondrement, ils n’envisagent pas que la mise au point de vaccins en un temps record pourrait être tout aussi bien vue comme le début d’un nouvel âge d’or pour la médecine.
L’auteur démonte les théories de Jared Diamond, qui détache des bouts d’humanité de leur ensemble pour nous décrire leur destin tragique, oubliant le tableau général souvent en contradiction avec ses théories, trop structuralistes, pour s’appliquer à la vie.
La collapsologie n’est ni plus ni moins qu’une fake news, qui en partage tous les traits, à commencer par les bases réelles, puis les prévisions invérifiables, encore moins réfutables par quiconque vivant aujourd’hui. Nous tenons une sorte de religion contemporaine, avec des adeptes innombrables, et des gourous dont les bibles se vendent par millions.
Je ne comprends même pas comment on peut adhérer à de telles théories, ce qui revient à nier notre génie inventif. Mais je dois admettre que les escrocs ont le génie d’inventer des machinations géniales. Ils ont même le pouvoir de dresser contre eux des adversaires véhéments, les détournant ainsi de tâches plus nobles qui pourraient plus efficacement bénéficier au bien commun. Le collapsologue voudrait infecter nos esprits pour que se réalise sa prophétie, alors que s’il croyait à ses prévisions il se battrait pour en éviter la survenue et sauver sa peau.
Vendredi 7, Balaruc
Je lis des choses étranges au sujet des vaccins, de la part de certains amis, à qui l’épidémie covid a fait perdre tout semblant de rationalité. Que proposez-vous sinon un vaccin pour résoudre une épidémie ? Pour celle-ci ou toute autre bien plus létale qui pourrait survenir ? Vous en faites une affaire politique comme si les politiques étaient responsables de l’épidémie (et même si certains l’étaient, dans un pays, cela n’engagerait en rien ceux des autres pays). Vous avez critiqué le confinement, vous critiquez la vaccination, que proposez-vous ? Que doucement nous tendions vers une immunité collective naturelle ? Êtes-vous bio au point de refuser la vaccination ? Moi, pas. Je ne crache pas devant une innovation qui peut améliorer ma santé et celle de la population en général, même si je déplore le maintien des brevets, et voit d’un bon œil la proposition américaine de les lever, même si c’est bien trop tard à mon goût. Vous devriez depuis le début militer pour l’open source, mais vous combattez l’idée même de vaccin, non pour des raisons sanitaires, mais pour d’obscures raisons politiques, dont j’ai du mal à comprendre la logique. Un principe de précaution ? La peur que le remède soit pire que le mal ? Ou plutôt n’êtes-vous pas contre parce qu’opposition est votre fonds de commerce ?
Samedi 8, Balaruc
Chateaubriand évoque l’accablement du souvenir, qui nous submerge au point de nous laisser chancelants. « J’ai été obligé de m’arrêter : mon cœur battait au point de repousser la table sur laquelle j’écris. » J’ai souvent suffoqué sous le coup de cette vague, peut-être de plus en plus fréquente avec les années, parce des frustrations et des regrets l’accompagnent.
J’écris peu, victime de migraines ophtalmiques. J’ai besoin de reprendre des séances d’orthoptie. Mes yeux ne veulent plus des écrans et ne s’accoutument qu’aux grands espaces.
Lundi 9, Balaruc
Je comprends pourquoi Chateaubriand est revenu à plusieurs reprises sur ses mémoires, parce que les souvenirs ne se commandent pas, bien que l’écriture les réveille, et parce que la distance est nécessaire pour écrire les années proches, alors que d’autres années les recouvrent et nous apportent un peu de recul et de lucidité.
Good Will Hunting, longtemps qu’un film ne m’avait pas autant emporté, récit de la naissance du génie, sur lequel je tombe après un article racontant comment le jeune le George Dantzig, arrive en retard en cours de math, voit au tableau deux énoncés, croit qu’il s’agit du sujet d’un devoir maison, passe plusieurs jours avant de trouver la solution, remet enfin sa copie à son professeur qui tombe des nues. Il ne s’agissait pas d’un devoir, mais de deux exemples de problèmes non résolus. La question : Dantzig les aurait-il résolus s’il avait connu leur difficulté ?
Mercredi 11, Balaruc
Jeudi 12, Balaruc
Nous pédalons par chez nous, plongeons par un côté inhabituel sur un village et il nous apparaît extraordinaire. Le territoire n’en finit pas de se déplier. Quand je crois le connaître, il me surprend encore. C’est une histoire d’amour.
Jeudi 13, Balaruc
Chateaubriand maudit son génie. « Plus semblable au reste des hommes, j’eusse été plus heureux : celui qui, sans m’ôter l’esprit, fût parvenu à tuer ce qu’on appelle mon talent, m’aurait traité en ami. »
Chateaubriand ne théorise pas la mémoire involontaire comme Proust, mais en fait sa méthode pour écrire ses mémoires. « Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. À l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. » Et il se remet à écrire après trois ans d’interruption, durant lesquelles l’Empire s’est effondré.
Un chemin n’a pas changé au pied du Pioch. J’ai toujours peur de l’emprunter, sa métamorphose pourrait tirer un trait sur mon enfance.
Samedi 15, Balaruc
Je suis dans une foule, je reconnais un copain, d’autres gens que je ne connais que de nom, plus ou moins célèbres. Je fais une remarque, on rigole. Je ne sais pas pourquoi je reviens, on me prévient de rester dans mon coin. La troisième fois, un gars me traite d’imbécile et menace de me casser la gueule. Je m’en vais sans broncher, si furieux intérieurement que je m’éveille, terrassé par l’humiliation. Je fais souvent ce rêve, je peux l’interpréter de deux façons. Il renvoie à une humiliation de mon enfance que je ne cesse de revivre, mais sans réussir à la dater, ou je me sens humilié par mon statut dans la littérature. J’ai honte et tremble comme un enfant. Je me lève avec le souvenir d’une blessure.
Dimanche 16, Balaruc
Tim bloque sur un problème de maths. Je trouve le même résultat que lui, mais vois qu’il est faux. Une dérivée un peu compliquée. J’utilise un outil en ligne qui me donne la bonne réponse, tout en m’expliquant la méthode de calcul et prends conscience qu’on devrait expliquer aux étudiants à faire des maths augmentées par la machine comme il existe des échecs augmentés. Ça n’a plus de sens de se limiter à une simple calculette.
Lundi 17, Balaruc
J’ai dû me résoudre à imprimer les 366 chapitres de One Minutes pour les réorganiser en quatre tomes. J’étais incapable d’y parvenir sur Ulysses, malgré son approche base de données. Je suis obligé d’étaler le manuscrit devant moi, avec des feuilles taguées de post-it, que je peux distribuer en différents tas pour réussir à le voir dans son ensemble. L’écran de mon ordinateur est trop petit, la réorganisation trop fastidieuse. C’est assez ironique, car je ne n’aurais jamais pu écrire ce texte sans un traitement de texte avancé et ne réussis à le boucler qu’en passant par le papier.
Terrible phrase de Chateaubriand : « Je parierais que tel auteur qui lit cette phrase se croit un écrivain de génie, et n’est pourtant qu’un sot. » Quelle audace pour l’écrire, quelle confiance en soi, ou peut-être de savoir qu’on ne sera lu qu’après sa mort.
Mardi 18, Balaruc
Mercredi 19, Balaruc
Il y a des hommes dont la vie est un roman, d’autres qui écrivent des romans, très rares ceux qui réussissent à écrire le roman de leur vie.
Je déteste l’écriture inclusive, même si malgré moi elle m’influence. J’ai tenté d’écrire le paragraphe précédent en utilisant « humains » puis « hommes et femmes », mais ça ne marchait pas.
Lundi 24, Balaruc
De retour à la maison après un nouveau tour de l’Hérault à vélo : autres compagnons de route, autre lumière, autre végétation et c’était comme un nouveau voyage.
Vendredi 28, Balaruc
Sur Facebook, tu dis « A ne marche pas quand on fait X, mais B marche très bien. » On t’explique A marche très bien pour faire Y ou Z, mais quand tu dis que ce n’est pas le sujet, on commence par t’insulter, par te dire que tu ne comprends rien, et quand tu t’énerves on te traite d’intolérant, et surtout d’incompétent, alors que si X marche avec B, et même C et D, et pas avec A, c’est bien que le problème est chez A et nulle part ailleurs. La sagesse comme toujours est de se taire, de ne plus jamais rien dire sur ce réseau, mais quelques centaines de personnes intelligentes liront mon billet et je me satisfais de partager avec elles, parce que le jour où elles-mêmes découvriront quelque chose d’intéressant elles le partageront avec moi.
Le plus extraordinaire : des gens te donnent des leçons, t’accusant d’en donner, alors que je ne fais que partager mes expériences. Par exemple, on me suggère de voyager avec une carte plutôt qu’avec un GPS. Quand je demande comment on fait pour transporter les dizaines de cartes IGN nécessaires au moindre voyage bikepacking, on ne me répond plus, mais après m’avoir pourri au préalable. Est-ce qu’il faut sortir sa carte à chaque embranchement quand on peut regarder son GPS ou son téléphone ?
On t’explique qu’il ne faut utiliser qu’un seul service, alors que pour le boulot que tu fais, c’est impossible. Pour te montrer que tu as tort, on te trace un tour de l’Hérault à vélo en 5 minutes quand tu bosses sur le sujet depuis presque deux ans, en passant des jours et des jours à explorer le terrain, à dénicher les plus beaux passages. C’est un peu comme dire à un écrivain qu’on peut remplir aléatoirement un livre avec des mots en cinq minutes avec un générateur automatique. J’adore la légèreté inconséquente. Les gens devaient être plus modérés à l’époque des duels.
Samedi 29, Balaruc
Chateaubriand : « Aucun monument à Philadelphie, à New York, à Boston, ne pyramide au-dessus de la masse des murs et des toits : l’oeil est attristé de ce niveau. » L’évolution conduit-elle nécessairement à produire des pyramides dans nos villes, un peu comme les termitières pour les thermites ? Les pyramides si agréables pour nos yeux, mais aussi le symbole de l’asservissement de la majorité par quelques-uns. Nous ne serons en démocratie que le jour où nous réussirons à vivre à plat, sans personne au-dessus, sans personne au bord de l’eau. Mais alors quel ennui pour les yeux. Ce serait un monde mort, un monde de fourmis.