J’ai eu l’idée saugrenue d’initier mon copain Philippe au bikepacking en l’entraînant sur la trace vierge de ma nouvelle i727, encore à l’état de prototype. En trois jours, nous avons expérimenté une chaleur poisseuse, un orage monstre, une nuit tempétueuse, de longs kilomètres de poussage dans la caillasse, avec pour récompense des moments lumineux dans des paysages grandioses.

L’i727 est en cours de construction. Je raconte notre périple pour ouvrir mon atelier de création de traces, donner des envies de voyage, voire recruter des testeurs pour fignoler cette aventure. Si vous aspirez à un tour bikepacking plus tranquille dans l’Hérault, commencez par le 727 (tranquille, façon de parler).

L’idée du i727 est de poursuivre l’exploration de l’Hérault, en creusant son ventre, plutôt que sa peau comme avec le 727. Tout en roulant, je n’ai cessé de me dire que mon département était inépuisable. Son investigation à vélo s’impose à moi comme l’impératif du connais-toi toi-même.

i727
i727

Lundi 21 juin

À 6 h nous quittons Balaruc, par un agréable 21°C, esquivons des kilomètres de singles que nous connaissons trop bien, avant d’entrer en territoire inconnu après Pézenas, limite ouest de nos investigations habituelles à VTT.

La ville est une pure merveille, avec ses cafés, ses restaurants, ses placettes. Nous petit-déjeunons sur le coup de 8 h avant de nous diriger plein ouest entre les vignes. D’habitude nous explorons peu ce secteur agraire, car les singles y sont rares, voire inexistants, mais par chemins et petites routes agréables nous déambulons de coteau en coteau.

En même temps que la température s’élève, de beaux villages ponctuent notre pérégrination, d’autres étant toujours visibles de part et d’autre de notre sinusoïde. Après avoir franchi la Thongue, un affluent de l’Hérault, nous fouinons dans les ruelles d’Abeilhan, découvrons une placette avec un café agréable, mais il est tôt pour nous arrêter de nouveau.

Abeilhan
Abeilhan

Après Coulobres, nous traversons les coteaux du Haut-Libron, apercevons au nord Puissalicon, avec au sommet du pech un impressionnant château du XIIe siècle. Nous résistons à la tentation d’explorer le village, traversons le Libron par un gué, avant de nous diriger vers Puimisson pour boire un verre sur une terrasse ombragée par des acacias.

J’avais tracé ce secteur à l’aide de l’automate de Komoot, puis je l’avais ajusté sur carte et nous l’ajustons encore, anticipant les points de vues et explorant des variantes, et souvent rebroussons chemin, car nous finissons dans des impasses. Nous découvrons un Hérault tout en douceur et rondeur, bien loin de la caillasse des garrigues et aussi de la suractivité touristique. Nous pédalons en mode bucolique, dans une ambiance d’antan, la vie au ralenti en prévision de la sieste. Sur la terrasse, les clients discutent de table en table et nous nous retrouvons mêlés à la conversation comme si nous étions des habitués.

Souvent, en bikepacking, on nous fait bon accueil, comme si notre voyage créait des envies. J’entends penser « j’aimerais être à leur place » ou « j’ai toujours rêvé de le faire ». Nous le faisons, ce n’est pas bien compliqué. Nous ne sommes pas partis de chez nous depuis cinq heures que nous avons tordu le cou au quotidien et à son temps à l’écoulement ultrarapide. Nous avons pénétré dans le continuum existentiel où chaque minute fabrique des souvenirs inoubliables. Nul besoin de prendre sa voiture, un train ou un avion pour se téléporter ailleurs.

Nous avons quitté la trace, attirés par une belle piste qui nous conduit à Murviel-lès-Béziers. Lundi oblige, la boulangerie étant fermée, nous contentons d’acheter quelques cacahouètes dans une épicerie, puis, après un détour par la circulade, nous empruntons le sentier des Pigeonniers qui nous fait plonger vers l’Orb, non sans fausses routes et demi-tours.

Murviel-lès-Béziers
Murviel-lès-Béziers

Le fleuve cascade entre des blocs lissés et des bancs de sable en une invitation à la baignade. Nous hésitons à nous arrêter en terrasse d’une guinguette pour grignoter, mais décidons de pousser plus loin. Nous roulons sous les arbres, avant d’attaquer un single exigeant en même temps qu’il fait de plus en plus chaud : 34°C au compteur. Nous laissons pas mal de forces dans ce secteur et nos ventres commencent à réclamer pitance. Des papillons nous accompagnent, notamment des jaunes vifs avec franges vertes et parfois des tâches orange, sans doute des citrons de Provence. Sensation féérique et joyeuse, l’été chantonne autour de nous.

Depuis l’Orb se succèdent des mamelons plantés de pins entre lesquels poussent des vignes en terrasse. Paysages plus âpres, plus majestueux, plus douloureux pour nos jambes. Nous passons au-dessus puis au-dessous des falaises de Las Costos, puis nous faufilons dans des vallons manucurés, avant de devoir pousser dans quelques singles caillouteux à plus de 12 %. La chaleur devient suffocante. Nous nous arrosons à une fontaine et continuons de ferrailler dans le dur jusqu’à Saint-Chinian où nous arrivons à 14 h, juste à temps pour dévorer deux énormes calzones.

Saint-Chinian
Saint-Chinian

J’avais laissé mon vélo au soleil. Quand nous repartons, le compteur annonce 50°C. Nous quittons la ville en longeant le Venazobre. Le franchissons près d’une cascade où des jeunes se baignent. Un peu plus loin, nous le franchissons à nouveau par une passerelle avec en contrebas une petite plage. Il fait 38°C. Nous décidons de digérer à l’ombre. Philippe se baigne, j’essaie de dormir les pieds dans l’eau, pendant que la brise agite les feuillages au-dessus de moi.

Nous repartons à 16 h. Dès que nous sortons du couvert des arbres, nous apercevons des cumulonimbus montagneux, avec leur tête en champignon prête à exploser. La température s’est effondrée à 25°C. Il tonne au loin et des éclairs nous irradient. Nous grimpons sur un pech et suivons la ligne de crête au-dessus d’Assignan. Quand l’orage nous attrape, nous nous abritons sous la plateforme d’un poste de chasse.

Saint-Chinian
Saint-Chinian

Une fois le soleil revenu, nous entrons dans le parc régional du Haut-Languedoc et nous glissons dans un sous-bois de chênes verts. Un single plonge vers l’improbable église du Trou, avec son cimetière, les vestiges de l’autel, ses fresques en trompe-l’œil. Un endroit où il est possible de bivouaquer, avec frisson garanti. L’église porte bien son nom, car nous devons remonter en poussant, avant de redoubler l’exercice pour franchir une seconde ravine.

Nous nous croyons tirés d’affaire quand nous atteignons Saint-Jean de Minervois. Je modifierais sans doute la trace, parce que le bikepacking doit alterner difficulté et plaisir, et le parcours se transforme peu à peu en raid. Surtout quand le sentier nous amène au bord d’une falaise, au-dessus d’une gorge. Possible peut-être de passer à pied, mais pas à vélo. Nous faisons demi-tour sous les coups de tonnerre. Il commence à pleuvoir, nous enfilons nos impers, j’interprète mal la carte et nous nous retrouvons dans une vigne où nous nous abritons tant bien que mal sous une avancée rocheuse.

Église du trou
Église du trou

Philippe se dit qu’il a la totale pour son initiation. Entre la canicule, les poussages et l’orage. Mais déjà un bel arc-en-ciel nous annonce que nous pouvons partir. Dix mètres après notre abri de fortune, nous découvrons une cabane où nous aurions été au sec. Je constate que par miracle, nous sommes à quelques encablures de la trace. Nous réussissons à la rejoindre. Elle longe la gorge, à quelques centimètres du précipice. Un single griffu nous amène au bas du canyon. Il est déjà près de 19 h et nous devons désormais trouver à manger avant la nuit.

Plutôt que de suivre la trace, nous coupons droit vers La Caunette, puis Minerve, village pittoresque perché sur une île dans les gorges de la Cesse. Tout est fermé, pas de quoi nous ravitailler. Nous finissons dans le seul restaurant ouvert, un gastronomique, le Relais de Chantovent où nous sommes magnifiquement accueillis pendant que nos vélos se reposent dans le garage de l’établissement. Nous nous faisons même préparer des sandwiches pour le lendemain matin. Vers 21 h, nous quittons Minerve pour grimper sur le causse. Nous tardons avant de trouver une surface dépourvue de cailloux où camper, sans réussir à nous abriter du vent du nord qui souffle en rafales. La nuit s’annonce agitée. Je m’endors alors qu’il se met à pleuvoir.

La Caunette
La Caunette

Mardi 22 juin

Sous les bourrasques, la toile de ma tente me gifle le visage. Une sardine a dû céder. Je me contente de me retourner et de me rendormir. Le ciel est limpide, la lune éblouissante. Le vent ne calme qu’au levé du jour. Quand je veux manger un de mes sandwiches, rangé dans mon sac de cadre, je découvre qu’il grouille de fourmis. Je les éjecte une à une avant de l’engloutir. Voilà une raison de plus en faveur du sac de cadre totalement étanche. Philippe connaît la même mésaventure avec son sac de guidon Apidura, sans doute mal fermé aux extrémités.

Levé du jour
Levé du jour

Quand nous nous remettons en route peu avant 7 h 30, il ne fait que 15°C. Nous suivons le tracé sud de la GTH, grande traversée de l’Hérault. Une piste caillouteuse, guère agréable, nous amène dans ses secteurs encore plus cassants. Un sous-bois ou une rare vue dégagée ne réussissent pas à nous réjouir. Il nous faut deux heures pour parcourir 11 km et atteindre les hauteurs de Vélieux. Nous passons le plus clair de notre temps à pousser. La situation ne s’améliore que bien plus loin, après le col de Lalo. Je vais devoir explorer le coin pour trouver une trace plus agréable. En prime, pas de fontaine, pas de commerce, pas même de village. Nous arpentons durant des heures un désert de caillasses qui nous coupent en deux, avec parfois il est vraie de belles perspectives de pure nature.

Après Lacan
Après Lacan

Une fois dans les forêts de conifères, la trace redevient sublime. Nous nous shootons aux vapeurs de résine, passant devant des monticules d’arbres fraîchement abattus. Il était temps. Je prends conscience que je m’étale dans mon récit quand j’ai éprouvé des émotions positives, comme si elles laissaient en moi plus de souvenirs. Les moments difficiles étant vite effacés, parce que d’une certaine façon ils font partie du vélo. Mais il existe des difficultés positives, qui conduisent à un point de vue, une source, un village, elles valent la peine, alors que d’autres ne paraissent avoir aucun autre sens que l’effort pour l’effort, philosophie que je goûte peu.

Serre de la Tourelle
Serre de la Tourelle

Au sommet de la serre de la Tourelle, à 700 m d’altitude, après seulement 36 km parcourus en cinq heures, nous décidons de quitter la GTH et de piquer vers la vallée, sinon nous n’avons aucune chance de trouver de quoi manger et boire avant longtemps. Le Haut Languedoc se révèle dans toute sa splendeur bleutée, qui me fait penser au sud des Appalaches, les Smokies Mountains. Plusieurs essences de sapins alternent leurs verts plus ou moins intenses créant des frisures à la surface des monts.

La descente s’effectue par un GR défoncé, puis à travers les ronces, enfin nous rejoignons une belle piste qui nous amène à Saint-Ètienne-d’Albagan. Là nous embranchons sur la PassaPaïs, que je voulais éviter pour l’i727, l’ancienne voie ferrée étant un classique dans l’Hérault, surtout dans ce secteur, avec une succession d’ouvrages d’art. Quand nous atteignons Olargues, nous nous installons avec joie en terrasse d’un troquet. Je comprends que l’i727 descendra ici avant de remonter vers les sommets sauvages.

Nous poursuivons la PassaPaïs jusqu’à Bédarieux, ancienne ville industrielle sans grand charme, où nous goûtons, avant de nous diriger vers le lac du Salagou par des pistes de plus en plus rouges. Nous avons changé de planète. Nous avons beau connaître les abords du lac, nous n’en sommes pas moins stupéfaits, d’autant que le soleil moins oblique ne tue ni les couleurs ni les reliefs.

Nous mangeons à la guinguette au bord de l’eau, profitant d’un concert pour la fête de la musique, puis attaquons le magnifique single qui fait le tour du lac, une succession de montagnes russes à passer en vélocité. Nous nous éloignons des derniers promeneurs pour finir par monter notre camp sur une plagette au bord de l’eau. Des oiseaux s’époumonent. Par chance, ces diurnes se taisent à la tombée de la nuit, qui s’annonce moins mouvementée que la précédente, même si de temps à autre une rafale souffle sur le lac, bientôt irisé par la pleine lune.

Vers le Salagou
Vers le Salagou

Mercredi 23 juin

Le dernier jour d’un périple, même aussi bref que le nôtre, a toujours un goût différent, comme si les contraintes du quotidien déjà se réimposaient. Nous nous contentons de figues sèches pour notre petit déjeuner et repartons en appuyant plus fort sur les pédales, toujours sur le single du bord du lac. Philippe dit qu’il y a un air de Croatie et comme la justification de commencer par voyager autour de chez soi, avant de chercher l’exotisme plus loin.

Salagou
Salagou

Une fois au-dessus du barrage, au moment de tourner le dos au lac, nous apercevons au nord-est le mont Saint-Baudille, extrémité sud-ouest du massif de la Séranne, dernier escarpement du causse du Larzac. Non sans angoisse, Philippe se demande comment nous allons grimper là haut à VTT. Je ne peux le rassurer. J’ai oublié si j’ai tracé l’itinéraire sur carte ou l’ai téléchargé.

Une fois au pied du mont, une belle DFCI nous promène sous les sapins et les papillons blancs, qui nous entourent en nuées neigeuses, dans des pourcentages frôlant souvent les 15 %. J’ai l’impression de pédaler dans un rêve jusqu’à ce que Philippe identifie les papillons comme des pyrales du buis, un parasite importé en Europe au début des années 2000.

Vers le mont Saint-Baudille
Vers le mont Saint-Baudille

Tantôt se déroule sous nos yeux le piémont du Larzac, vallée verdoyante, tantôt les garrigues qui meurent à l’approche de la mer. Nous grimpons sans relâche, ne rejoignant la route qu’à 2 km du col du Vent. Elle nous conduit au sommet, à 848 m, qui sera le point culminant du i727. La suite aurait pu être qu’une partie de plaisir, mais j’ai voulu prendre un raccourci pour nous ramener chez nous. Il nous a occis. Un single caillouteux à souhait, bloquant sans cesse nos roues avant, exigeant de longs portages. Une descente plus dure que la montée.

Nous finissons par rejoindre la civilisation. Nous déjeunons à Montpeyroux, avant de laisser la suite du i727 pour plus tard. Je demande à Google de nous ramener à bon port, choisissant l’option vélo. Heureusement que nous ne sommes pas avec des routes, il nous fait couper à travers les vignes, parfois nous jette dans des impasses, puis nous fait monter un DFCI que je connais bien, avec des pourcentages déchirants, voulant sans cesse nous faire bifurquer à travers le maquis.

Après cette dernière ascension, nous n’avons plus qu’à glisser jusqu’à chez nous, pas mal entamés par ces trois journées d’exploration. Sans doute à partir d’août, je retournerai sur le terrain pour corriger les secteurs à problème. J’espère tenir une première version du i727 à l’automne.

Pic Saint Lou
Pic Saint Lou