Je ne déteste pas l’asphalte, quoi que, mais je déteste les voitures. Je fais du vélo pour les fuir, leur bruit, leur vitesse, leurs pollutions, tout ce qu’elles représentent. Je fais du vélo pour vivre une philosophie opposée (pas de compétition, pas de quête de performance, je poursuis une qualité existentielle).
Je suis un vététiste heureux, mais quand j’ai vu apparaître les gravels, je me suis souvenu du dynamisme du vélo de course de mon adolescence, et me suis dit que je pouvais retrouver cette légèreté tout en roulant hors asphalte. J’ai donc acheté un Diverge en 2018 pour arpenter les digues de Floride, puis les DFCI de mes garrigues. Pendant trois ans, nous avons vécu une belle histoire d’amour : ce que je perdais en confort par rapport au VTT, je le gagnais en rayon d’action, tout en éprouvant des sensations différentes (et me faisant de nouveaux copains).
J’ai exploré mon territoire avec un nouveau regard, cherchant de nouvelles voies, renonçant à d’autres. Ce jeu m’a passionné. J’ai largement étendu mon domaine de pédalage, parfois rentrant un peu fracassé de mes sorties. Comme mon Diverge était limité à des pneus de 42 mm, j’ai commencé à songer à en changer pour un gravel capable de rouler avec du 50 mm, question d’augmenter le confort.
Le Diverge est loin d’être le plus souple des gravels, mais reste qu’en descente j’ai souvent vu les pilotes de Diverge à l’avant, parce que son système de suspension fait des miracles. Quoi qu’il en soit, si j’aimais la légèreté et la vivacité de mon gravel, source d’un réel plaisir, je goûtais moins sa façon de maltraiter mon corps dans les chemins cabossés. Bien sûr, j’aurais pu me contenter des pistes les plus roulantes, mais dans le Midi il est difficile d’éviter les secteurs punitifs, surtout lors des longues sorties. J’ai ainsi décidé de vendre le Diverge, profitant de la pénurie de vélo du printemps 2021 afin d’en obtenir un bon prix pour une bécane de trois ans qui a mangé pas loin de 20 000 km.
À ce moment de l’année, j’enchaînais les voyages bikepacking et roulais à VTT. Je n’étais pas pressé de me choisir un nouveau gravel, d’autant que la pénurie se prolongeait. Mais au début de l’été, le plaisir du gravel m’a manqué, surtout pour les sorties en solo, quand j’ai moins envie de m’aventurer dans des chemins difficiles et techniques. J’ai alors commencé à regarder ce que le marché me proposait.
J’ai écarté le nouveau Diverge, mieux suspendu, mais limité au 48 mm. Au fil de mes recherches, j’ai vu deux tendances se dégager :
- Des gravels avec gros pneus, pouvant ressembler à des monsters cross.
- Des gravels suspendus, avec souvent une fourche avant hydraulique.
Tout cela n’était pas pour me déplaire, surtout quand j’ai repéré le Canyon Grizl. Il remplissait toutes les cases de mon cahier des charges jusqu’au moment où j’ai vu qu’il pesait 9,5 kg. J’ai un peu tiqué, c’est le poids de mon semi-rigide de bikepacking lorsque j’y monte des roues carbone légères. Si pour être confortable un gravel devait être aussi lourd que mon VTT, ça n’avait pas beaucoup de sens (même si le poids n’est pas le critère déterminant pour juger d’un vélo).
J’ai donc décidé de me donner le temps de la réflexion. En attendant, j’ai monté sur mon semi-rigide des pneus Teravail Cannonball de 42 mm. J’ai tout de suite retrouvé presque tous les plaisirs du gravel, avec le confort en plus. Je me suis alors demandé si le gravel, ce n’était pas avant tout une question de pneumatique (et de beaucoup de marketing). Certes les bases de mon VTT sont plus grandes, le vélo un poil moins dynamique, un poil moins aérodynamique, mais je ne suis vraiment pas loin du gravel côté sensations, surtout que sur mes VTT je monte toujours des innerbars qui m’offrent la même position que les cocotes sur un cintre moustache (où je descends rarement en bas parce que ça me casse le dos).
Depuis, je roule gravel avec mon semi-rigide, sans que mes copains me trouvent trop lent (et ceux qui sont beaucoup plus rapides que moi l’étaient déjà quand j’avais mon Diverge). J’ai même beaucoup plus de latitude, car je peux m’aventurer dans des secteurs davantage VTT, tout en roulant avec plus de fluidité sur les pistes et l’asphalte. J’ai en quelque sorte provisoirement réuni les meilleurs des deux mondes, sans me ruiner. Et puis, j’avoue que je préfère de loin un cintre plat à un moustache (je ne suis pas le seul).
Ma solution ne conviendra pas aux gravellistes qui viennent de la route, qui n’ont jamais aimé le VTT, qui restent sur les secteurs roulants ou les sentiers tendres des sous-bois, sans trop de pierres ou de racines. En revanche, elle est un bon compromis pour les vététistes. Monter des pneus gravel sur un semi-rigide le rapproche du gravel. D’ailleurs, sur les courses d’endurance comme la Tour Divide, plutôt gravel, les concurrents les plus rapides roulent presque tous avec des VTT.
Voici ce que déclare Lael Wilcox : « Nearly the entire ride would be considered gravel with fairly smooth dirt roads, and it is totally passable on a gravel bike with 38 or 42 mm tires. However, no one has ever won the race or established a time record on a gravel bike. I believe this to be the case because over such a long distance, you just get too beat-up. I’d select at least a 2” (50 mm) tire for comfort, preferably a 2.2” (55 mm). This translates into more comfort for all contact points and joints (hands, feet, butt, shoulders, wrists, knees, back, neck, etc). Larger volume tires also enable me to rest and recover more on the descents, as I don’t have to actively control the bike as much. »
Je vois un autre avantage mon approche semi-rigide+pneus gravel : une forme de sobriété qui n’est pas pour me déplaire. Il me suffit de deux jeux de roues pour éprouver des sensations différentes et varier les plaisirs avec un seul et même vélo. À l’avenir, je m’attacherai à cette sobriété. Si je repars sur un gravel, j’achèterai un cadre nu, sur lequel je monterai mes roues VTT au standard boost. Par exemple, un Salsa Cutthroat. L’idée : avoir plusieurs jeux de routes, toutes avec la même K7 pour simplifier la maintenance, me donner de la polyvalence, réduire l’investissement. Installer tantôt une fourche hydraulique, tantôt une fourche rigide. Mais à la vitesse où évoluent les standards, les meilleures idées ont la vie courte. Pour le moment, mon gravel de prédilection est mon VTT semi-rigide.