Mardi 1er, Balaruc

J’ai lu des journaux d’artiste pour apprendre à créer avec eux. Désormais, je les lis pour me sentir moins seul et partager les mêmes joies et doutes. Virginia Woolf, au sujet d’un ami : « Il se débat en ce moment avec un roman de lui dont il manipule les touches, mais dont il ne tire pour l’instant que des dissonances. »


Dans ma nouvelle La femme qui semait des livres, on suit une femme qui descend dans le Midi, par le regard de ceux qui la croisent, sans jamais entrer en elle. Je repense souvent à ce mécanisme narratif, proche de celui de One Minute, mais à peine esquissé.

Je pourrais écrire la dernière journée d’un condamné à mort. On sait qu’il sera exécuté dans quelques heures, mais le sera-t-il vraiment, emportera-t-il son secret avec lui ? Le mécanisme narratif pourrait reposer sur une tension, un suspens, avec un compte à rebours. Le condamné comme métaphore d’une civilisation en prise avec le réchauffement climatique ?

Le condamné a toujours nié les crimes dont on l’accuse, on le soupçonne d’avoir des secrets, on ne comprend pas pourquoi il désire les emporter dans la tombe. On vit sa dernière journée par le regard de ceux, nombreux, qui interagissent avec lui : sa mère qui lui rend visite et qu’on lui arrache trop vite, puis son fils, puis une à une ses anciennes amantes, puis des hommes et des femmes mystérieux qui viennent jusqu’à lui pour lui arracher son secret, d’autres qui lui promettent de le sauver s’il parle, peu à peu une vérité qui se fait jour au fil des visites, des politiques, des militaires, des milliardaires, des admiratrices, il y a un monde sur le point de basculer, on a peur du condamné, pourquoi il ne s’enfuit pas alors qu’il le pourrait sans doute, il attend quoi ? Pourquoi un tueur tente de l’abattre avant l’heure fatidique ?

Lui, il ne fait rien, il sait comment se sauver, mais il ne fait rien, comme nous avec le réchauffement climatique. Tisser la métaphore jusqu’à plus soif.


Réaction à la newsletter de Philippe Castelneau. Je suis une telle éponge que si j’écoute de la musique en écrivant, j’écris cette musique. Je n’écoute même plus de musique, parce que je ne peux pas faire autre chose quand j’en écoute, et comme j’ai toujours un truc à faire, je n’en écoute plus. Parfois ça me manque, parce que j’en ai beaucoup écouté. Même lire influence ce que je vais écrire. Alors je lis souvent des choses très différentes de celles que j’écris, pour éviter les contaminations. Mais pourquoi pas, la contamination peut s’avérer positive, je n’y échappe pas de toute façon.

Mercredi 2, Balaruc

À quarante-deux ans, Jules Renard parle comme si sa vie était terminée (il ne lui restait que quatre ans à vivre), il n’avait plus d’envie, ne lisait que des livres déjà lus. « Je ne vis plus réellement. Je me fais l’effet d’un reflet d’homme dans l’eau. » J’en ai cinquante-huit et je déborde au contraire d’envies, de désirs, de curiosité. J’ai toujours la sensation que le grand texte est devant et non derrière. J’ai mes moments d’abattement, parce que le monde ne se plie pas à ma volonté, mais tous les matins je l’attaque au marteau piqueur, et cet après-midi avec à la bétonnière pour renforcer un mur dans le jardin.


Jules Renard reconnaît s’éteindre peu à peu comme mon père quelques années avant sa mort, comme si déjà le corps envoyait des signaux, pas assez clairs pour être conscients, mais qui apparaissent a posteriori pour les archéologues. Je devine les mêmes signaux dans l’époque, la même déprime, il nous faut réagir, il me faut écrire pour réagir.

Mistral
Mistral

Jeudi 3, Balaruc

Jules Renard : « Le métier des lettres est tout de même le seul où l’on puisse, sans ridicule, ne pas gagner d’argent. » Rien de nouveau.


Sortie vélo printanière, quelques amandiers déjà couverts de fleurs.

Soir
Soir

Samedi 5, Balaruc

Je termine de renforcer le mur de l’étang et nous plantons des figuiers de barbarie. Dos cassé, mais heureux.

Le mur
Le mur
Soir
Soir

Dimanche 6, Balaruc

Soir
Soir
Soir
Soir

Mardi 8, Balaruc

Soir
Soir

Mercredi 9, Balaruc

Je passe la journée à écrire le compte rendu de deux jours de bikepacking sur la côte Vermeille, aussi à corriger notre trace, ce qui me procure presque autant de plaisir que de la pédaler, autant de plaisir qu’écrire, parce que j’écris dans une langue nouvelle et éphémère puisqu’elle dépend d’une topologie changeante.

Jeudi 10, Balaruc

Super riches et super cons pourrait être le titre d’un roman à la One Minute où se succéderaient des portraits de riches aux comportements écologiquement aberrants. Il me suffirait de m’inspirer de faits réels. Dénoncer notre impuissance, sans besoin de théoriser.


Un journaliste m’appelle pour parler de bikepacking. Quand je lui dis qu’il est en train d’écrire un article sur le cyclotourisme, je le sens sur ses gardes, quand je lui dis qu’il peut bien écrire ce qu’il veut et que je m’en fiche, il se vexe, quand je lui dis de s’intéresser à l’histoire et qu’il me répond que c’est un point de vue, je l’envoie gentiment bouler.

Vendredi 11, Balaruc

Saint-Pargoire
Saint-Pargoire

Samedi 12, Balaruc

J’ai toujours rêvé éveillé, dans les brumes du réveil, conscient, mais fou, alors j’imagine des embranchements à ma vie où il m’arriverait des choses qui ne m’arrivent jamais. Souvent qu’un de mes textes attire l’attention par la plus grande des surprises. Ce carnet par exemple, ou un manuscrit traînant, ou même un de mes livres déjà publié et passé aux oubliettes. Ces rêves avaient du sens dans ma jeunesse, aujourd’hui ils frôlent le delirium, mais je m’y glisse avec délectation, joue à y croire, puis finis par y croire jusqu’à ce que la réalité me rattrape. Je reste le même malgré les années, à rêver et à critiquer, puis à être affecté par les critiques.


Avec Tim, nous passons un moment à la fac de science de Montpellier pour les journées portes ouvertes. La fac a beaucoup changé depuis mon époque, elle s’est densifiée, mais certains bâtiments subsistent, notamment les beaux déambulatoires en béton. L’ambiance m’est apparue assez semblable, de même que celle du quartier. Nous sommes passés devant le studio où j’habitais. Tout à l’identique, sauf la complexité de l’orientation post-bac. À force de vouloir proposer des chaussures à tous les pieds, il devient impossible de se chausser. Trop d’options et pas assez d’enseignements généralistes pour que les jeunes se décident un peu plus tard dans leur vie. Tim n’a pas encore dix-sept ans et il doit décider de son avenir. S’il n’est pas pris en prépa math-physique, il devra choisir, et ce sera presque à coup sûr trop tôt pour lui. Nous découvrons des parcours où on fait en trois ou quatre ans moins qu’ailleurs en deux. Notre société est devenue plus inégalitaire que jamais.

Mardi 15, Balaruc

Tim avait une belle idée pour le grand oral du bac : pourquoi des nombres aussi abstraits que les complexes se retrouvent en physique. Il comptait expliquer comment on a découvert les complexes, pour résoudre des équations du troisième degré, et puis montrer qu’ils sont utiles dès qu’il y a des ondes et indispensables à la mécanique quantique. Réponse de sa prof : ce n’est pas au programme. Je suis ébranlé par la façon dont on tire les enfants vers le bas. À la place, il devra expliquer comment le caramel se forme ou comment les geckos s’accrochent aux murs.

Mercredi 16, Balaruc

Jules Renard : « Il faut vivre pour écrire, et non pas écrire pour vivre. » Déjà, je n’aime pas l’injonction généralisant. D’autre part, j’écris autant pour vivre que je vis pour écrire. Écrire pour vivre, c’est un peu comme travailler pour vivre, et alors l’écriture peut être considérée comme un travail. On peut bien sûr entendre que vivre permet ensuite d’écrire, d’avoir quelque chose à dire, je ne vais pas m’opposer à cette approche, moi qui raconte souvent mes expériences. Mais écrire m’exalte aussi, me procure des expériences propres, du plaisir à la rage, et alors j’écris pour les vivre.

Depuis quelques semaines, je travaille deux textes en parallèle. Dans le premier au sujet du changement climatique, je vis pour écrire, dans l’autre au sujet de mon père, j’écris pour vivre. L’un finira bien par m’embrocher. Mais il n’y a que dans celui sur mon père que je ne vois pas le temps passer. Immergé dans l’aventure d’écrire. Je ne crois pas qu’une approche soit supérieure à l’autre, mais elles mènent à des textes différents.

Jules Renard en convient : « Si je ne me rectifiais pas en écrivant, je serais vraiment un pauvre homme. » Il écrit donc aussi pour vivre, ou mieux vivre, ou se transformer. Il serait dommage que cette activité, avec le temps que nous lui accordons, ne change rien en nous. J’écris d’ailleurs sur le climat à la recherche d’une réponse, de ma place dans cette histoire terrifiante, à me demander ce que je peux faire, à part vivre à l’économique. Il me semble que mon rôle n’est pas juste de planter des arbres ou de manger bio, mais que je dois agir avec mes compétences, donc écrire.


Jules Renard : « Est-ce que ça va se prolonger longtemps, cette vie-là ? » On est en 1909, un an avant sa mort, il a quarante-cinq ans. Je trouve cette lucidité effrayante. L’athérosclérose qui allait l’emporter affectait peut-être déjà ses états d’âme.

Jeudi 17, Balaruc

Nuages
Nuages
Nuages
Nuages
Nuages
Nuages
Nuages
Nuages
Soir
Soir

Vendredi 18, Balaruc

Soir
Soir

Samedi 19, Balaruc

Virginia Woolf : « C’est une erreur de croire que la littérature peut être prélevée sur le vif. » Perec n’était pas encore né quand elle a donné son point de vue. La littérature du vif n’était pas encore advenue. Montrer que les classiques se sont trompés. Faire notre matière première de ce qu’ils jugeaient inesthétique ou intéressant ou même sacrilège. Rien n’est impossible, nous pouvons tout tenter. Dire « C’est une erreur de… » est une erreur. Même cette dernière phrase est une erreur. Selon elle, Virginia Woolf n’écrit de la littérature que quand elle vit dans son cerveau. Je connais cette expérience, je m’en délecte, et elle me manque si je ne la pratique pas, parce que je suis plus heureux parfois dans mon cerveau que dans le vif du réel, mais lui aussi alors me manque, parce que mon cerveau n’est rien sans mon corps, et j’ai aussi besoin, quand j’écris, de sentir le soleil sur ma peau, le vent dans mes cheveux, d’entendre le bruit des vagues.


Cette semaine, dans le roman sur mon père, j’ai décrit une battue aux sangliers où un promeneur reçoit une balle dans la tête et, aujourd’hui, une jeune femme meurt dans des circonstances identiques.

Dimanche 20, Balaruc

Longue balade à vélo. Nous croisons trois battues aux sangliers. Je ne vois pas comment la cohabitation avec les chasseurs est possible. Je suis pour l’interdiction des fusils à balles, pour l’interdiction de la chasse le week-end et les mercredis quand les enfants n’ont pas école. Les chasseurs de plus en plus minoritaires réussissent à imposer leur loi à la majorité silencieuse, parce que les politiques mangent dans leurs mains.

Lundi 21, Balaruc

Je lis plusieurs romans récents, plutôt qualifiés de littéraires, voire de très littéraires, donc certains avec beaucoup de succès, ce qui en soit n’est pas nécessairement compatible, et je note la même approche, le même survol distant des situations, la même réticence aux dialogues, la même incapacité à descendre dans l’infinitésimal des détails comme ont pu le faire Proust ou Céline, et moi aussi j’adopte cette approche, parce je répugne à plonger, surtout dans la fiction, parce que mes personnages sont des images dans un film plutôt que dans un livre, parce que je ne les veux pas autrement, parce que comme tous mes contemporains j’appartiens à cette culture visuelle, mais sans oser le réalisme visuel du cinéma, ce qui m’impose des dialogues minimalistes, des mouvements de caméra rapides, et sans doute aussi une écriture rapide. Je me suis toujours senti décalé, je suis rattrapé. One Minute est mon roman contemporain, car il pousse la méthode contemporaine au paroxysme, un anti-Proust.

Nous sommes plus adroits pour décrire physiquement des personnages que les faire penser, encore moins parler. Et ceux qui aujourd’hui tentent d’entrer dans les personnages me paraissent toujours factices. Je n’arrive pas à me prendre à leur jeu. J’aime la distance mise en œuvre par le Nouveau Roman, faire confiance à l’intelligence du lecteur, supposer qu’à partir des indices que je lui donne il est capable de réédifier le tout. Mais un lecteur demain en sera-t-il capable ? Notre approche n’est-elle pas condamnée à n’intéresser que nos contemporains ? Ce qui devient un problème pour moi. Je n’ai pas de succès aujourd’hui et me prive d’une chance d’en avoir demain. Alors je me satisfais de mes éclairs de lucidité, fidèle à l’onanisme littéraire.

La réalité me rattrape quand je veux ouvrir les volets de la chambre. Grand vent, je n’arrive pas à les garder ouverts. Voilà que je pense qu’un menuisier doit passer pour les réviser et que je n’ai pas de nouvelle. Ma littérature devrait se donner le droit de ces petites choses qui chagrinent, qui envahissent la tête comme si elles étaient des affaires d’État. Une liste exhaustive de la charge mentale. Il serait amusant de comparer cette charge d’une époque à l’autre.


Vieillir, c’est se sentir vieux, alors que dix ans plus tard, regardant en arrière, on se trouvait jeune. Tant que j’ai de la vitalité, je suis jeune.

Mardi 22, Balaruc

J’écris quand quelque chose me pénètre, ou pour que quelque chose finisse par me pénétrer, qu’une intuition m’illumine. J’aime par-dessus tout cet embrasement du cerveau. J’ai trouvé ma drogue avec l’écriture, ou plutôt avec la pratique artistique en général, car j’éprouvais la même sensation quand je dessinais, je l’éprouve quand je prends certaines de mes photos. Après je diffuse mes textes pour partager l’embrasement qui, tout personnel, a nécessairement du mal à trouver un chemin dans d’autres cerveaux, à moins que, par un hasard mystérieux, ils partagent avec le mien quelques configurations semblables. Un écrivain populaire a le dont d’être sensible à des chemins cérébraux plus universaux.


Virginia Woolf : « À partir du moment où vous spécifiez l’âge, la couleur des cheveux, ect., quelque chose de futile et qui n’a rien à voir avec le sujet entre dans le livre. » Tellement d’accord, tellement fatigué par ces romanciers qui systématiquement se sentent obligé de dresser le portrait d’un personnage avant de commencer à le faire exister, alors que quand nous rencontrons quelqu’un nous le captons dans son ensemble d’abord, dont d’une manière si générale que nous ne pouvons le décrire, puis que très vite un détail nous le caractérise : son allure, son habillement, son regard, son ton… rarement la couleur des cheveux, des yeux, la forme du nez ont quelque chose d’assez peu ordinaire pour être notée. De toute façon, j’aime les personnages en ombre chinoise, quand on veut me faire entrer en eux je n’y crois pas, je me disais ça hier soir en lisant un roman, j’y croyais de moins en moins à toute cette histoire, trop manucurée, trop écrire, trop élaborée et caricaturale, au final.


La possibilité d’une guerre, provoquée par la folie d’un seul homme abandonné en roue libre dans une pente sans plus aucune possibilité de freiner. Il a avancé toutes ses pièces de façon que tout recul soit impossible sinon en entraînant le ridicule. Sorte de pari perdu d’avance. Cet homme est en train d’affirmer son infinie bêtise dans l’Histoire, comme d’autres avant lui, mais d’autres mourront à cause de lui.

Soir
Soir

Mercredi 23, Balaruc

Me garder d’habileté technique, d’enchaîner descriptions, scènes et personnages comme des perles sur un fil juste parce que j’en suis capable, puis, las, refermer le collier, et croire que j’ai un texte achevé. Au contraire, me placer au pied d’un édifice mystérieux, sans porte, infranchissable, néanmoins essayer d’y passer à travers d’en l’espoir de découvrir une beauté encore inconnue. Le soir, la nuit, je lis des textes habiles, artisanaux, parce qu’ils m’ennuient et m’endorment mieux que le ferait un somnifère.

Jeudi 24, Balaruc

Je me réveille et apprends avec tristesse, mais sans surprise que le dictateur russe a lancé l’invasion attendue de son voisin ukrainien. Cet andouille n’a pas compris que notre ennemi commun était le climat. Nous vivons une époque de crises systémiques, avec des psychopathes qui croient que la guerre est la solution à nos malheurs, une façon de détourner l’attention de ce qui fâche. Ou comment entrer dans l’Histoire en y étant méprisé par les générations futures. Que faire ? Nous ne pouvons rester les bras croisés, car demain la Chine s’attaquera à Taiwan et après demain nous nous ferons gangrener de l’intérieur. J’espère que nous découvrirons des ripostes à moindre coup humain, mais je doute, je pense que mes fils ont presque l’âge d’être conscrits. Je ne croyais pas que je vivrais un tel moment de tension géopolitique. La seule solution ne peut venir que des Russes eux-mêmes. Une révolte souvent attendue et qui tarde, de manière inexplicable, ou plutôt parce que nous sommes une horde soumise aux dominants.


Pour donner une sensation de rouge, très fréquent chez Virginia Woolf, ne pas hésiter à répéter le mot, une voiture rouge, des fleurs rouges, un feu rouge. Ne pas les juxtaposer, mais toutes les deux ou trois phrases réintroduire du rouge, et même d’autres couleurs pour qu’il contraste. Écrire, c’est peindre. Le soleil se lève sur l’étang rougeoyant. Même pas. Une journée grise commence, après la limpidité éblouissante d’hier. Nous étions à vélo entre vignes et garrigues peu avant midi. Nous nous sommes arrêtés pour discuter avec un vigneron, parce qu’il avait mis le feu à un fossé au bord de sa vigne. J’ai voulu avoir une explication. « C’est pour nettoyer le faussé, pour que l’eau de pluie puisse s’écouler et ne pas déborder dans la vigne pour la rincer. » Nous nous émerveillons du paysage, avec les vignes de terre rouges, les squelettes des ceps marron, et les champs parés de leur vert le plus vif. Il nous dit qu’il habite plus haut, que de chez lui il domine la cascade des collines jusqu’à l’étang et à la mer. Un des plus beaux endroits de la région, méconnu pour notre plus grand plaisir. Nous évoquons un de ses collègues qui refuse que nous traversions ses terres. Commentaire sans appel : « Un grand con, égoïste. En plus il est conseillé municipal. On est bien dirigé. » Pour comprendre où se trouvent les terres du grincheux, j’évoque la pute qui tapine dans un cabriolet jaune au bord de la 113. « Faites attention, c’est un travelo. »

Vendredi 25, Balaruc

Virginia Woolf : « Écrire est le véritable plaisir, être lu n’est qu’un plaisir superficiel. » Écrire a un effet neurologique sur moi. En quoi pratiquer l’écriture créative dans la matinée a des conséquences pour la nuit suivante ? Un effet déstressant ? Je ne peux que constater que quelque chose en moi se transforme pour 24h. Où est-ce que cette écriture épuise le cerveau ?


Je passe la journée à m’occuper de l’avenir de Tim dans un monde qui paraît ne plus avoir d’avenir.


L’art paraît dérisoire, mais que reste-t-il d’autres pour défendre la liberté ? Les armes m’ont toujours fait horreur, et ceux qui les aiment davantage.

Dimanche 27, Balaruc

Bouzigues
Bouzigues
Villeveyrac
Villeveyrac

Lundi 28, Balaruc

Je lis beaucoup d’articles d’analyse sur la crise en Ukraine, peut-être parce que j’en trouve pas mal qui parlent de la folie du dictateur russe. Nous ne devrions plus utiliser son nom, comme pour déjà l’effacer de l’histoire. Je pense à la guerre nucléaire, que je le crois capable de déclencher, pour ne pas mourir seul, en véritable psychopathe. À savoir si autour de lui il subsiste un peu de raison pour s’opposer à sa déraison. Je déteste le modèle pyramidal parce qu’il met trop de pouvoir dans les mains de quelques-uns, au risque que leurs pathologies n’affectent les sains d’esprit qui ne poursuivent pas le pouvoir.


Vendredi 26 février 1926, Virginia traverse Russel Square et la lune se lève, la même que sur la Perse et le reste du monde. J’ai souvent traversé Russel Square quand je vivais à Londres, situé entre chez moi et SOHO où travaillait Isa, mais je ne lisais pas Virginia alors que je vivais près de chez elle. J’éprouve le regret d’une rencontre impossible, le regret d’avoir été mal dans les lieux étrangers où j’ai vécu, toujours avec le désir d’être chez moi, et j’éprouve du regret maintenant que je suis à ma place. J’aurais essayé. Il n’y a guère qu’à Paris que j’ai fini par m’adapter, non sans mal, peut-être aussi à Seattle, parce qu’il y avait la mer et la montagne.


Virginia évoque Russel Square comme un endroit cardinal, et on pourrait imaginer un immense jardin, alors qu’il s’agit d’un modeste carré qui se traverse en trois minutes. Elle en faisait le tour pour prendre l’air pendant que Rejent’s Park ne me suffisait pas et que je grimpais sur les hauteurs de Hampstead Heath pour retrouver mon souffle, quand la perspective commençait à porter au loin sur la skyline de la City. Je n’ai jamais écrit sur Londres où j’ai vécu quatre ans, peut-être parce que j’en partais aussi souvent que possible, peut-être parce que j’étais dans Ératosthène, tout ce temps dans un livre que presque personne n’a lu.


J’effectue souvent des recherches quand j’écris un roman, pour fixer un mot, une image. J’imagine une galerie d’art sétoise dans une ancienne cave où on fabriquait des filets. Je tombe sur la photo d’une aiguille en plastique telle que mon père les utilisait. Et toute mon enfance me revient. Une aiguille pour ramender. Je n’avais jamais entendu le mot. Je n’ai jamais entendu mes parents l’utiliser.

56 sunsets
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