Motel Valparaiso
Motel Valparaiso

Philippe Castelneau est un copain, pas tant parce que je le croise de temps à autre, que parce que je le lis depuis des années, sa newsletter, son blog, quelques mails que nous échangeons. Nous appartenons à la même galaxie littéraire, à la même famille, peut-être un mouvement, sans manifeste, juste une envie de davantage de vie. Au fil des années, une intimité s’est établie entre nous, de l’ordre de l’artisanat plus que de l’esthétique, peut-être. Nous travaillons dans le même atelier, la même matière brute.

Alors quand Philippe publie un roman, Motel Valparaiso, j’ai envie de le lire, je suis curieux, et je tourne les pages sans relâche. J’en pressens tout de suite la musique et les accents rock’n’roll. Il a dépouillé son écriture, l’a libéré, et ça galope, presque plus vite que son personnage englué dans son impuissance affective et créatrice. Il y a un côté nouvelle vague, nouveau roman, un brin de Modiano dans la musique, de David Lynch, avec la même instabilité dans le réel. Un texte comme un rêve, ancré dans la matière, mais avec l’impression de survoler la vie. Des dialogues brefs, qui suffisent à tout dire.

Un texte non daté, mais qui sonne 1990, la photographie argentique et les chambres noires, aux rythmes de trios guitage-basse-baterie, l’Amérique que j’ai traversée à cette époque, une Amérique d’avant le web, et l’évocation de la Californie en feu ne suffit pas pour me ramener au temps de nos angoisses climatiques, pas davantage que l’incongrue apparition du mot « internet ». Je voulais rester dans le passé, peut-être par nostalgie d’une littérature que j’ai beaucoup aimée, qui m’a poussé à écrire à mon tour.

Le héros de Motel Valparaiso n’échappe pas à ce combat. Cet écrivain s’enlise, s’alcoolise, s’évapore peu à peu, incapable d’écrire le grand livre dont il rêve, et Philippe lui-même accepte cette fatalité, nous offrant un court opuscule, une sorte de mirage que l’on referme comme si on avait rêvé de le lire. Dans Motel Valparaiso, le Vieux résume cette alchimie, ce parti-pris esthétique : « Dans chacun de tes textes, comme je le fais pour chaque photo que je prends, ne remplis pas tout l’espace et garde une place pour Dieu. » Il s’agit d’un Dieu métaphorique, de la dimension imaginaire de l’existence, celle sans limites qui peut nous faire croire qu’une femme sublime nous fait signe, alors que nous traversons une ville inconnue.

Motel Valparaiso m’a touché parce que j’avais trente et un ans, j’étais à Munich, un soir de printemps, je m’apprêtais à traverser une rue déserte quand un bus est passé. À l’arrière, une fille magnifique m’a fait signe et j’ai rêvé qu’elle descendait à l’arrêt suivant pour m’attendre, déjà en train d’imaginer une histoire, que je n’ai jamais vécue, et que Philippe a écrite, parce que nous avons peut-être tous rêvé de la vivre, à un moment ou un autre.

Motel Valparaiso
Motel Valparaiso

Motel Valparaiso, c’est aussi et surtout une ville entre réel et fiction, Cevola, encerclée par le désert du Sonora, une ville qui devient l’amante du narrateur, qui apprend à la déplier, à sans cesse en faire jaillir des détails au fil de ses explorations. Non pas une ville magique, mais une ville fractale, une ville pour toutes les autres, pour nous donner envie de les arpenter, de les photographier, d’y faire des rencontres, et aussi d’y écrire jusqu’à ce que la ville se transforme en cette fille qui nous fait signe.

Voilà qui a éveillé beaucoup de nostalgie en moi, parce que j’ai partagé ces désirs, ces ambitions, parce que j’ai fait des villes des lieux d’expression totale, avant de m’intéresser de plus en plus à ce qui existe entre elles, et d’en sortir. Voilà pourquoi je n’ai pu m’empêcher de situer le récit au début des années 1990, malgré quelques références à aujourd’hui. Je ressemble au Vieux de Philippe, comme lui le désert m’attire, et plus je l’explore, plus j’y trouve de la vie.

Motel Valparaiso est un roman mystique et initiatique. Une sorte d’incantation parcimonieuse. Je l’ai dévoré en deux goulées délictueuses.