J’écris sur le vélo pour partager, pour dire où j’en suis, pour rencontrer d’autres cyclistes, organiser des évènements, grandir, apprendre, évoluer, me transformer, changer d’avis encore et encore, mais presque à chaque billet, je me heurte à des professeurs de certitudes qui font preuve d’une intransigeance radicale (je sais, derrière un clavier, c’est très facile).
He ! les gars (oui, les gars, car les filles se comportent rarement de cette façon), il ne s’agit que de vélo, là. On n’est pas en train de discuter de l’avenir du monde. On pourrait peut-être descendre de nos grands chevaux. Oui, j’ai volontairement pivoté le cintre de mon gravel vers le haut lors de ma première sortie, mais que ça ne vous empêche pas de rouler avec le vôtre à l’horizontale (comme l’usage le veut - et il faudrait n’avoir jamais regardé une course cycliste à la TV pour ne pas le savoir, ni gamin avoir roulé en club). Il me semble que j’ai le droit de faire autrement que mes idoles de jeunesse, et donc de faire ce que je veux à 59 ans, sans avoir besoin de lire vos litanies péremptoires (d’autant que j’ai plus de 15 000 km à gravel dans les jambes).
J’ai horreur du dogmatisme, de cette croyance qu’il n’y aurait qu’une bonne façon de faire et qui serait valable pour tous, universellement. J’en ai horreur en politique, en art, en philosophie, en éducation, et aussi dans le vélo. Par exemple, il faudrait rouler avec des pédales automatiques. Il faut, il faut, il faut… Tu dois, tu dois, tu dois… Mais pourquoi autant de dictats ? Au nom du rendement, de l’efficacité, de la mode ? Mais qu’est-ce que je m’en fous quand je suis sur mon vélo du moment que je roule mes mille kilomètres/mois hors asphalte avec toujours autant de plaisir. Je pédale pour me sentir libre. Je me contre-fiche de vos théories, parce qu’elles tentent de me contraindre et de m’emprisonner. D’ailleurs, je roule avec des pédales plates. Et jamais je ne vous ai demandé de m’imiter. Si après avoir oublié l’époque des forçats de la route, on en était resté à la certitude que les guidons tordus étaient réservés à l’asphalte, le gravel n’existerait même pas.
Pour moi l’important, c’est d’expliquer mes choix, mes raisons, pourquoi j’ai changé tel ou tel réglage. L’important, c’est l’histoire, comment on passe de A à B, à un moment dans sa vie. C’est important pour moi, et pour chacun de nous. Nous sommes des histoires, nous ne sommes rien d’autre, et nous n’avons rien d’autre à partager, surtout pas des certitudes. Vos choix et vos raisons m’intéressent. Peut-être que j’y découvrirai des enseignements. Mais quand vous me dites ce que je dois faire, j’ai l’impression d’entendre parler des professeurs sclérosés. Je n’ose même pas parler de cette façon autoritaire à mes enfants. Dans ses livres sur la parentalité, la psychothérapeute Isabelle Filliozat n’emploie jamais le verbe « devoir » tout comme l’impératif, tout simplement parce qu’ils sont contre-productifs avec les enfants, mais aussi les adultes.
Mais les professeurs de vélos sont légion, et loin des yeux, loin des corps, et même loin des vélos, ils grimpent sur la chaire que leur offre Facebook pour nous y sermonner de leurs vérités universelles. Votre attitude, votre supériorité supposée, votre arrogance, votre mépris me font mal parce qu’ils traduisent un mal social plus général : « prendre l’autre pour un con » avant même de se demander s’il n’a pas une bonne raison de faire ceci ou cela (alors même qu’il explique ses raisons en long en large en travers).
Ça vous arrive, parfois, de vous demander si l’autre n’a pas un peu réfléchi avant de faire ceci ou cela ? Ça vous arrive, avant de parler de géométrie, de vous demander si le mec en face ne s’y connaît pas un peu en géométrie ? Ça vous arrive avant de conseiller à l’autre de lire s’il ne lit pas beaucoup plus que vous ? Ça vous arrive avant de donner des leçons d’ingénierie de vous demander si l’autre n’est pas ingénieur ? Ça vous arrive de montrer un peu d’empathie et de vous mettre à la place de l’autre pour comprendre ses choix ? Alors plutôt que de dire « Tu t’es trompé, tu as tout faux, tu fais n’importe quoi, tu dois faire ceci et cela », vous pourriez commencer par supposer que l’autre est au minimum votre égal et que, comme vous, il ne laisse rien au hasard, ou tente de ne rien laisser au hasard.
Si un truc cloche selon vous, vous pourriez dire « Pourquoi tu as choisi tel ou tel réglage ? Pourquoi tu as choisi un cadre M et non S ? » On commencerait à discuter, on sortirait nos tableaux Excel remplis de formules trigonométriques, on se donnerait une chance de se comprendre. Mais trop souvent, vous êtes du genre à accélérer pour essayer de distancer vos adversaires, définitivement. Sauf que nous ne faisons pas une course, sinon vers la mort, et je n’ai pas envie de gagner cette course.
Je fais du vélo ni pour être le premier, ni pour avoir raison, ni me prouver quoi que ce soi à moi-même, je fais du vélo pour communier avec mes compagnons de route, avec la nature, avec les paysages, avec la lumière, avec les odeurs et les couleurs. Je fais du vélo pour me sentir vivre et maximiser mon plaisir sur les chemins, et tous les réglages qui peuvent augmenter mon plaisir je les adopte même si les coureurs du tour de France font autrement (ce qui est logique puisque nous n’avons ni les mêmes objectifs ni le même âge).
J’écris sur le vélo pour raconter, non pas donner des leçons de vélo. J’écris sur le vélo parce qu’il est un instrument qui me permet de découvrir le monde, m’aide à établir avec lui une intimité, une proximité de cœur. En fait, je n’écris pas sur le vélo, qui n’est qu’un moyen, comme le clavier un moyen d’aligner ces mots, j’écris sur ce que le vélo me fait découvrir hors du vélo, et dans ce cas présent, des comportements sociaux délétères. J’ai beau m’y être habitué, ne plus perdre le sommeil à cause d’eux, je ne les accepte pas pour ce qu’ils disent de nous. Heureusement, loin de la chaire Facebook et sur les chemins, ces comportements sont plus qu’exceptionnels. Je reste optimiste.
PS1 : Quant à ma relation avec le gravel, elle est ambiguë comme le disent mes différents billets depuis 2018, tantôt élogieux, tantôt critiques, mais jamais dédaigneux et pour cause. Par rapport au VTT, j’apprécie sa dynamique, son plus grand champ d’action, sa capacité à rendre intéressant des chemins inintéressants, donc me faire découvrir de nouveaux paysages, et aussi rencontrer de nouveaux compagnons de route, mais il me meurtrit davantage le corps dès que mon tempérament explorateur m’envoie sur des chemins trop difficiles pour lui. À mon âge, le gravel exige davantage de retenue que le VTT et je ne suis pas d’un tempérament très retenu.PS2 : Peu-être parce que le gravel est une discipline récente aux frontières floues, il déclenche des réactions passionnelles souvent incontrôlées.