Après avoir lu et écouté Bruno Latour, je me suis demandé ce que pouvait signifier écologiser le vélo, mais il est aussi possible d’écologiser la littérature comme toute autre activité. Les écrivains se répartiraient en quatre catégories.
L’écrivain moderniste (ou faustien)
Il serait obsédé par la nécessité d’innover, de faire toujours différent, original, plus ci, plus ça, notamment plus provocant, plus ordurier, plus injurieux, plus violent, plus malodorant, plus doucereux, quitte à devenir insipide pour séduire un public toujours plus large, quitte à se montrer littérairement maladroit pour se fondre dans la médiocrité ambiante. Il serait compétitif. Il chercherait à vendre le plus possible, non seulement dans sa langue, mais dans toutes les autres. Il serait global, viserait un statut universel. Il accréditerait la compétition éditoriale en acceptant les prix littéraires. Il voudrait se hisser au-dessus de ses semblables, s’élever, atteindre le firmament. Il n’hésiterait pas à prendre l’avion pour participer à des rencontres et accepterait de siéger derrière une table dans les foires du livre clinquantes avec débauche de promotions et de lumières, pendant que les lecteurs lémuriens défileraient devant lui. Il se comporterait comme n’importe quel homme d’affaires. S’il en avait la possibilité, il voyagerait en jet privé. Il kiffe quand il se retrouve dans des soirées organisées par l’élite politique ou financière. Il emploie tous les outils de la modernité pour poursuivre ses objectifs. Il se moque de savoir si les entreprises qui les lui fournissent sont respectables ou pas. Il est prêt à signer un pacte avec le diable.
L’écrivain local
Il méprise les éditeurs parisiens (souvent parce qu’ils l’ont dédaigné), mais soigne son réseau de proximité. Il connaît tous les libraires autour de chez lui, organise des rencontres, des lectures, anime des ateliers d’écritures, intervient dans les écoles et les lycées. Le journal local le met souvent en avant et ses concitoyens le connaissent. Il s’auto-édite et vend ses bouquins dans les foires du livre autour de chez lui, où il se comporte comme un rabatteur. Il n’a ni besoin de l’aval de ses pairs, ni des critiques. Il est le seul juge de ses écrits. Il a une aversion pour les outils globaux qu’il utilise avec modération et entend en rester à une pratique artisanale de la littérature. Il déteste les blogs, les ebooks, les auteurs numériques. L’impression à la demande lui donne la nausée. Il invoque souvent l’écologie pour cacher sa peur d’affronter le reste du monde. Pour exister, il collabore avec d’autres artistes locaux : des musiciens, des plasticiens, des jardiniers… les uns les autres s’auto-justifiant. Il refuse d’entrevoir que la littérature a toujours entretenu un rapport étroit avec la technologie (pourtant le papier est une technologie comme le livre, l’imprimerie, le stylo…).
L’écrivain trumpien
Cet animal partage les travers des modernes, mais s’enferme dans un monde étriqué qu’il imagine dominé par les conspirationnistes, dont il est le premier à véhiculer les théories foireuses (quand il ne les forge pas lui-même). Il n’hésite pas à défendre des thèses indémontrables ou de remettre en question des théories comme l’origine humaine du réchauffement climatique. C’est avant tout un opportuniste qui se préoccupe de son nombril et de sa notoriété. Il se moque de la vérité, tant qu’il peut attirer l’attention. Quand il flaire un public captif, il le harponne : antivax, antigays, antiféministes… mais rarement les antifascistes, antiféminicides, anticancérigènes… Il fait son beurre des peurs de ses semblables et il les exagère et les cultive, agitant la bannière de la collapsologie. Il trouve toujours des éditeurs pour le publier, parce qu’il est rentable et parce que les réseaux sociaux sont ses meilleurs amis.
L’écrivain terrestre
Il tourne le dos aux trois autres familles, qu’il juge réactionnaires, parce que soient elles nient les problèmes globaux et continuent leur business comme si de rien n’était, soient, par un excès de militantisme, se replient au local dans une forme de décroissance littéraire insoutenable et peu attractive. Dans sa vie, dans son écriture, l’écrivain terrestre accepte la finitude du monde et la nécessité d’entretenir avec lui un rapport de coopération. Pour lui, la domination de la nature par l’homme est une ambition dépassée. De même, il refuse la domination de quelques-uns, qui continueraient à vivre de manière dispendieuse, pendant que les foules seraient soumises à des restrictions. Il entend trouver un équilibre entre le local et le global. Il accepte de se déplacer, mais en limitant au possible son empreinte carbone. Il préfère les rencontres ouvertes avec les lecteurs plutôt que les tribunes où on le fait monter sur une estrade pour l’élever au-dessus du troupeau. Il n’apprécie pas les compétitions, synonymes du toujours plus loin moderniste, et donc ne goûte pas les prix littéraires, qui entendent trier les auteurs, introduire entre eux une gradation arbitraire. Il utilise les services des GAFAM avec modération, puisque ces entreprises malgré leur greenwashing ont pour seule velléité le profit et la croissance à tout prix. Si possible, il utilise des alternatives, peut-être pas moins dispendieuses énergiquement, mais qui lui paraissent plus éthiques. Il n’est pas prêt à tout pour accroître son audience et sa visibilité. Il cultive son chez lui, tout en l’ouvrant le plus possible. Dans ses textes, il se questionne sur « le devenir terrestre ». Il ne met plus en scène des héros musclés et des héroïnes dénudées, mais préfère parler des hommes et des femmes ordinaires, de nous, parce que c’est à nous tous de régler les problèmes du monde, et que si nous attendons la survenue du héros nous risquons d’attendre longtemps. Cette bascule du héros à la foule héroïque implique un changement d’axe de la littérature contemporaine. L’auteur ne peut plus rester dans sa bulle, ni raconter des histoires modernistes ringardes, mais il peut s’interconnecter avec ses lecteurs, créer un réseau avec eux, avec les libraires, les éditeurs, tous les amoureux de la lecture et de l’écriture pour coudre les soubassements d’une nouvelle forme de fraternité et de bienveillance.
PS : Il reste à écrire un guide pratique et éthique de l’écrivain terrestre…