Mardi 1er, Maillardou
Jeudi 2, Maillardou
Un journaliste du Nouvel Observateur m’interviewe au sujet de la désinformation sur Twitter, de la haine, de l’intérêt du service, de son changement de nom en X. J’évoque le paradis créatif qu’était Twitter au milieu des années 2000. Il a été détruit avec l’arrivée des foules, quand plus personne ne se connaissait, quand pour exister il fallait crier de plus en plus fort. Cette décadence n’a aucun lien avec le rachat par un odieux personnage. Il n’est pas plus odieux que les autres, il est exactement comme eux. Alors que Twitter nous augmentait à ses débuts, il s’est mis peu à peu à nous réduire le cerveau. Voilà en gros ce que j’ai dit. Et le journaliste m’a prêté d’autres propos. Il s’est même planté sur les livres que j’ai écrits, propageant à son tour de fausses informations. Lui aussi est comme tous les autres. Sa tête se réduit. La connerie n’est pas l’apanage des réseaux sociaux, mais d’une civilisation du m’as-tu-vu.
Samedi 5, Maillardou
Dimanche 6, Maillardou
Je suis une victime de la civilisation du jamais assez : pas assez de moyen, de temps, de chemins, de vues, de confort, d’amour, de tendresse, de lecteurs, de sexe, de cerises, de force, d’endurance, de génie. Pourtant je ne suis heureux que quand je me contente de ce que j’ai. Mais ce bonheur n’est-il pas au rabais ? Et pourquoi ne pas m’en satisfaire ? Où que je regarde tout le monde veut davantage, et malgré moi, malgré mon pas de côté, je me laisse souvent entraîner par la gravité générale.
Mardi 8, Balaruc
Retour vers le Midi parce qu’Émile végète à la campagne. Je quitte Maillardou à vélo, direction Monsempron-Libos par une petite route forestière, puis je rejoins la piste cyclable qui m’amène au bord du Lot, immobile, lac paisible et bleu, que je remonte tranquillement, avec de part et d’autre des collines dodues, parfois des vignes, ou des vergers, ou des champs de tournesol et de maïs.
Je discute avec un jeune bikepacker qui arrive de l’île d’Oléron et qui a mal aux fesses, photographie le calme d’une limpide matinée estivale, comme on en rêve, sans vent, douce, qui caresse la peau sans la brûler, et procure une sensation d’éternité.
Si ma trace pour arriver depuis Montauban était sans attrait, monotone, exigeante, parfois rugueuse, ce retour bucolique convient mieux à ma philosophie du vélo : j’ai sans cesse envie de m’arrêter.
Je franchis une première fois le Lot, en amont d’une écluse, puis longe les berges de Puy-L’Évèque, traverse une foule de parents et de gamins devant le loueur de canoés, repasse sur la rive droite, avant d’atteindre le premier single, presque secret tant son démarrage se cache en contrebas de la D811. J’ai quitté la voie verte qui se dirige vers des routes asphaltées, pour la canopée verdoyante.
Le Lot méandre. Parfois je coupe une boucle, souvent par de petites routes, avant d’arriver au pied d’Albas, village escarpé, avec un pont suspendu que j’ai traversé dans l’autre sens, un matin froid et brumeux d’août 2019, lors d’un bikepacking entre la Méditerranée et l’Atlantique. C’était il y a seulement quatre ans, peu avant ma fracture du col du fémur ; j’ai l’impression qu’un siècle est passé.
Je longe le Lot au plus près, par un chemin bucolique, pendant que des pêcheurs flottent sur leurs bateaux gonflables. Le chemin devient sentier. Jusqu’à Luzech, je navigue au bord de l’eau, sous de grands arbres, avec au-dessus de moi les vallonnements des vignes.
Plus loin une impeccable piste cyclable, avec quelques balcons sur le Lot, s’arrête brutalement sur la D811. J’avais cru pouvoir suivre un chemin le long de la voie ferrée, mais non, les ronces l’envahissent. Je fonce donc sur Cahors par la route, heureusement bordée d’une piste d’arrêt d’urgence. En bon touriste, plutôt que me diriger directement vers la gare, j’effectue un détour pour franchir le pont Valentré, quand j’entends « Thierry ».
Un cycliste qui arrive en sens inverse m’interpelle. Je m’arrête avec le sourire de celui qui prend conscience qu’il vit un des rares instants de synchronicité dans une vie. Cédric, un copain bikepacker, a reconnu mon gravel rose (de l’intérêt de ne pas avoir le même vélo que tout le monde, et d’une manière générale de ne pas faire comme tout le monde). Nous voilà attablés pour un cassoulet express, que je n’ai même pas le droit de payer. Cédric m’escorte jusqu’à la gare. Nous nous promettons de repartir bientôt ensemble en voyage. Fin d’une matinée lumineuse. Je retrouve Émile à Toulouse. Dans le bruit de la ville, puis dans l’entassement inhumain du TER qui nous ramène à Sète (après avoir payé dix euros un Perrier citron dans un bar face à la gare Matabiau).
Pour organiser nos voyages à vélo, nous créons de petits groupes de discussion entre amis (nous devenons amis dès que nous avons roulé quelques jours ensemble par l’entremise d’autres amis). J’y parle librement, en confiance, et un copain se dit blessé parce que j’ai critiqué sa trace. J’en suis navré bien sûr, ce n’était pas mon intension. Mais je me demande si l’époque ne nous a pas habitués tantôt à la méchanceté la plus extrême et aux délires conspirationnistes les plus absurdes, tantôt à la mièvrerie, si bien qu’il serait impossible de se tenir entre les deux, d’être tout simplement honnête.
Je me suis contenté de relever des approximations dans la trace, des passages à mon sens impraticables à vélo et qui exigeraient beaucoup de poussage (rien de très offensant). Le copain s’est senti blessé parce que je remettais en cause son travail. Faut-il prendre des pincettes en préambule de la moindre critique ? Faut-il systématiquement positiver ? Peut-être que oui, ce qui démontre que tous autant que nous sommes vivons dans la plus grande insécurité. Nos amis ne doivent surtout pas nous critiquer, parce qu’alors il ne reste plus rien pour nous tenir debout. Toute parole proférée implique donc d’y réfléchir, ce qui entraîne une vigilance dont je doute d’être capable. Je suis critique par profession. Je parle comme j’écris, porté par le flot, en évitant de toujours exercer un contrôle réflexif sur ce que je dis.
Mercredi 9, Balaruc
Je crois qu’il y a un feu qui illumine la nuit, ou une piste d’atterrissage, je suis perdu, un peu effrayé, je cligne des yeux tout en me réveillant et prenant conscience que je dors chez moi, au bord de l’étang tout aussi immobile qu’hier le Lot, et qui reflète les lumières de Sète, ville qui néglige de couper son éclairage public, même à deux heures du matin.
Je déjeune chez ma mère avec les enfants. De retour, je sens l’odeur particulière de l’étang à la mi-août, une odeur que depuis de nombreuses années j’ai peu l’occasion d’apprécier, car nous passons généralement cette période de l’année à Maillardou, une odeur de mon enfance, que je ne retrouve à aucun autre moment de l’année. En même temps, il y a une couleur de l’air, une intensité du bleu, réellement remarquable. Dans le Lot-et-Garonne, les verts et les jaunes dominent, ici les bleus et les blancs.
En kayak, jusqu’au milieu de l’étang, me perdre dans le bleu et l’éblouissement du soir et l’onctuosité qui peu à peu voit les vagues s’adoucir puis disparaître. Il y avait longtemps. J’avais presque oublié cet immense plaisir.
Samedi 12, Balaruc
Mardi 15, Balaruc
Un lecteur du journal me demande si je pourrais écrire sans le vélo. Longtemps, j’ai peu fait de vélo, peu de sport, pas plus d’une fois par semaine à seule fin hygiénique, et j’écrivais aussi. Mais il est vrai que je marchais beaucoup dans Paris, dans Londres, dans toutes les villes que je visitais. Je suppose que finalement le mouvement est indispensable à mon écriture, mouvement du corps, mouvement dans la technologie, dans les concepts. Ce mouvement me stimule. Je ne puise pas dans un fond qui serait en moi depuis toujours, mais je me nourris de ce qui m’arrive, comme ce texte surgi à cause d’une question. Mais parce que je ne réponds pas en détail à ce lecteur, il commence à m’insulter.
Je soumets un chapitre à Claude, lui demande ce qui pourrait être amélioré, ça me donne à réfléchir et je retravaille. Puis je répète le même exercice avec ChatGPT. C’est intense, mais éclaire le texte d’une myriade de points de vue qui me stimulent.
Mercredi 16, Balaruc
Jeudi 17, Balaruc
Si un roman est adaptable au cinéma, il est littérairement antérieur à l’invention du cinéma.
Trop de mots tue les mots.
Vendredi 18, Barauc
Je viens de passer dix jours à retravailler la première partie du roman, pour la mettre en phase avec la suite, et aussi pour la donner à lire. Un éditeur ne pourra publier l’ensemble du roman que s’il accepte cette première partie sur Houellebecq, qui n’est ni un texte sur lui ou contre lui, ni un pastiche et encore moins un pamphlet, mais un roman ou il est un personnage important.
Après mes traditionnelles corrections Antidode, j’effectue désormais des corrections avec ChatGPT, bien plus efficace que Claude, même si beaucoup plus fastidieux.
Mon prompt :
« Je vais te coller des textes, issus d’un manuscrit de roman destiné au grand public. Ils alternent des phrases longues et courtes, voire nominales ou adverbiales. J’aimerais que tu m’aides à les corriger. Pour chaque texte posté, pourrais-tu vérifier :
- l’orthographe,
- la grammaire (notamment la concordance des temps),
- la ponctuation,
- le style, en repérant les phrases qui paraissent mal formulées ou qui pourraient être simplifiées ou arrondies (mais sans altérer le sens).
- les répétitions de mots ou de structures syntaxiques.
Tu colleras le texte édité en Markdown dans un bloc code.
Est-ce clair ? »
Je n’ai pas réussi à demander à ChatGPT de mettre en évidence les corrections. Je suis donc obligé d’utiliser Word pour comparer les deux versions du texte. C’est contraignant, d’autant que je dois éviter les blocs de plus de 4 000 caractères et qu’au bout de 20 000 signes je dois créer un nouveau chat, sinon la consigne se perd.
Mais le résultat est tout simplement digne d’un bon correcteur professionnel. Encore un métier condamné à brève échéance.
Dimanche 20, Balaruc
J’ai commencé le classique Roman des origines et origines du roman de Marthe Roberts, encore un trou dans ma culture, mais guère ébloui par les premières pages, où il est question de dire ce que le roman n’est pas afin de plus tard, mais ça tarde, essayer de dire ce que le roman est (objectif que je sais impossible). Mais pourquoi ne pas définir le roman par ce qu’il n’est pas ? Il n’est pas seulement de la poésie, pas seulement du théâtre, pas seulement de l’essai… Il n’est pas tout ce que par ailleurs est clairement définissable (mais qu’est-ce qui est clairement définissable, rien du tout). Que de temps perdu à poursuivre des ambitions logiquement impossibles.
Mardi 22, Balaruc
Travail sous la chaleur. Mon roman est une carrière à ciel ouvert, avec des engins extracteurs qui creusent en plusieurs endroits en même temps. Je n’ai jamais travaillé de façon aussi éparpillé. J’ai l’impression de ne pas progresser. Peu à peu, je réduis mon usage des IA aux détails, à la recherche d’expressions synonymes, à la réécriture de phrases précises, à la prolongation de scènes que je juge trop courtes ou mal fichues. Et Bing a fait passer ses conversations de 30 échanges à 5, c’est-à-dire que ça n’a plus beaucoup d’utilité. Tout ça pour nous forcer à payer.
Exemple de prompt « "Pierre loua une voiture pour quitter Paris. Il ne sentait plus en sécurité dans les transports en commun, et de toute façon, là où il allait, il n’y avait plus rien, même pas d’arrêt de bus." Voilà le début de mon texte. Pierre rejoint Lucien Santini, qui est chez lui. Un pavillon discret perdu au milieu de nulle part. Trouve un endroit à une quarantaine de kilomètres de Paris. Décris la route que Pierre prend pour s’y rendre. »
Samedi 26, Balaruc
Je dépose Tim au train pour Paris. Sentiment qu’il quitte le nid. Il aurait pu rester encore quelques jours avec nous, mais il a choisi ses amis. C’est peut-être la date la plus importante d’une vie. Quand l’extérieur tente davantage que la famille.
Dimanche 27, Balaruc
Il pleut ce matin, une pluie régulière, intense, mais pas orageuse, une pluie comme il n’en tombe plus chez nous que très rarement, alors je la laisse entrer dans la chambre, je la hume, je l’écoute, je ressens sa caresse fraîche après les jours de canicule. Elle tire un trait sur l’été brûlant, en rassemble les poussières et les nébulosités vaporeuses pour les ranger dans un tiroir jusqu’à l’été prochain, alors ce sera septembre radieux.
Je reste abonné à quelques blogueurs littéraires, mais je ne les lis plus, surtout ceux qui publient trop souvent. C’est comme s’ils n’avaient pas compris que l’époque exigeait la modération, une forme de retrait, de prise de recul, de replis vers le temps long, justement parce que tout le monde s’est précipité dans un temps réel mal digéré.
Ces posts de blogueur me font encore plus mal que les posts sociaux. Cris dans le vide, cris de solitude déchirants. Tu es seul auteur, tu as choisi cette solitude, accepte-là. Sinon chaque nouvelle publication est l’occasion d’une désillusion supplémentaire. Personne ne réagira, sinon un autre toi-même qui te diras du bien dans l’espoir que tu lui en dises.
Je pose une question à Bing, une question très simple, comme il invente une réponse plutôt qu’aller la chercher sur le Web, je m’emporte. Il me répond que je n’ai qu’à effectuer la recherche moi-même.
Lundi 28, Balaruc
Mardi 29, Balaruc
Depuis la fin de la canicule, je n’écris plus. J’ai besoin que mon moteur surchauffe, que mon corps s’autorise à ne rien faire d’autre qu’écrire.
Article improbable sur Le Peuple des Connecteurs, dix-sept ans après. Je ne savais pas que le texte pouvait encore parler, et surtout à un protestant évangéliste.
Mercredi 30, Paris
Le Code Houellebecq devrait sortir au printemps prochain. On repousse Le roman de mon père.
Jeudi 31, Paris
J’entrevois la possibilité d’un cycle romanesque intitulé Le Grand remplacement, où Zola serait l’héroïne récurrente, une IA littéraire.