Samedi 2, Paris
Dimanche 3, Paris
Le journal n’est pas une obligation. Jamais je ne me suis dit « écris tous les jours », mais a posteriori je regrette souvent de ne pas avoir écrit tous les jours. C’est comme si j’avais laissé passer des moments sans les vivre.
Je suis assis sur un banc du square Christiane Desroches-Noblecourt. Je ne sais foutrement pas qui c’est. Je suis à une encablure de l’internat où Tim s’installe sans entrain, avant cette seconde année de prépa au lycée Janson de Sailly.
Il me transfère son angoisse avec une facilité déconcertante. C’est comme si nous étions connectés. Mon ventre se noue en même temps que le sien. Je n’ai pas l’impression que ce soit plus facile que l’année dernière. L’inconnu est remplacé par la connaissance des difficultés à venir.
Le journal exige la liberté de saisir des incongruités, et je suis bien trop préoccupé par mon roman et par Tim pour ne pas être obsessionnel. Je regarde les Parisiens, sans trop les voir, sinon pour ne pas envier leur vie.
La ville est riche, surprenante, diverse, j’aime la traverser de part en part, mais la vie ici me devient de plus en plus étrangère. Après cinq jours, j’étouffe. C’est à hurler. Je me suis trop habitué aux horizons lointains.
Lundi 4, Paris
Parfois, j’ai tant de prompts en tête, tous susceptibles d’ouvrir de multiples pistes, que je frôle l’overdose cognitive. C’est comme avoir trop d’idées en même temps. J’aime cette sensation, qui me ramène à mon état mental de mes 25 ans (quand j’étais au sommet de ma puissance cérébrale). Grâce aux IA, je fais un bond de 35 ans en arrière.
Mardi 5, TGV
Souvent, avant d’écrire une scène dont je n’ai qu’une vague idée, je demande à ChatGPT de l’écrire. C’est tellement mauvais que ça me dit ce qu’il ne faut surtout pas faire. Par exemple, je lui dis « l’atmosphère est électrique dans la librairie » et au lieu d’essayer de rendre une atmosphère électrique, ChatGPT me dit « l’atmosphère est électrique ». Les consignes doivent être d’une précision extrême pour aboutir à un résultat potentiellement utile. Hier, je regardais une vidéo sur les superprompts pour Claude. Écrire de tels prompts est plus exigeant qu’écrire le texte susceptible d’être généré. Ça finit par ne plus avoir beaucoup de sens.
Mes prompts préférés : réécrire une phrase en ajoutant de l’humour, de la psychologie, du cynisme…, prolonger une phrase, détailler une description, trouver des répliques, analyser un texte pour voir ce qui pourrait être amélioré… ChatGPT n’écrit pas à ma place, mais joue le jeu d’un éditeur infatigable.
Je suis dans le TGV pour Sète, pendant qu’Isa est dans le TGV pour Paris. Nous nous croisons quelque part en Bourgogne, à 250 km/h. C’est ahurissant d’une certaine façon.
Mercredi 6, Balaruc
Je demande à ChatGPT de me réécrire un article dans le style du Monde des livres, il vire tous les concepts difficiles. Je lui demande pourquoi. Iel me répond que c’est comme ça dans la presse.
Vendredi 8, Fontjoncouse
Train tôt ce matin pour Carcassonne. Je grimpe par la route au pic de Nore, avant de redescendre par la forêt. Après des pistes, j’emprunte le single VTT sur la crête. Bruyères violettes, vues vertigineuses. Je finis par porter le vélo, traverser des ronciers, avant de retrouver des voies plus civilisées. Je rejoins la plaine de l’Aude à Trèbes. Après un bout de canal du Midi, je grimpe au sommet du signal d’Alaric, montagne à la silhouette familière puisque je la vois au loin flotter au-dessus de l’étang depuis mes fenêtres par temps clair. Mais je n’y étais jamais monté. L’escalade devient vite pénible, je finis à pied dans une draille désagréable. La récompense m’attend au sommet. Vue à couper le souffle : Montagne Noire, plaine de l’Aude, Corbières, Pyrénées… Belle descente. Je termine ma journée après Fontjoncouse, au col de Vente-Farine. Je déroule mon bivy sous les pins, au profit d’un replat. J’adore dormir dehors, sans tente, face au grand ciel. Je laisse la nuit m’envelopper. Le moindre frémissement m’intrigue. Un oiseau au loin. Je m’oublie sûr d’être à ma place. J’ai fréquenté les palaces dans ma jeunesse. Je ne les regrette pas. J’y serais même malheureux, désormais.
Samedi 9, Balaruc
Belle virée littorale, avec découverte de nouveaux secteurs. J’arrive peu après midi à Narbonne pour reprendre le train. Je m’installe en terrasse du self et, dix minutes avant le départ, me dirige vers le quai. Mais là, le TER est bondé comme un métro aux heures de pointe un jour de grève. Impossible d’y grimper avec un vélo. Un bus est affrété, mais il ne prend pas les vélos. Et les contrôleurs sont incapables de dire si deux heures plus tard il y aura de la place pour les vélos dans le prochain TER.
Nous sommes déjà six cyclistes sur le quai. Nous râlons. Mobilité douce. Réchauffement climatique. Des mots, que des mots. Le monde court à sa perte avec une désinvolture radicale. La SNCF dirigée par des ignares. Je finis par décider de rentrer à la pédale. Je m’en serais bien passé. J’ajoute aux 75 km du matin, plus de 85 km. J’arrive vers 19h à la maison.
Mardi 12, Balaruc
Je termine une première continuité du Code Houellebecq, je ne peux même pas dire un premier jet. J’avais le projet initial d’écrire quatre parties, mais Pierre m’a demandé de viser 300 000 signes. Je n’ai gardé que deux parties et je suis presque à 400 000 signes. Avoir beaucoup de matière en réserve, pour des tomes ultérieurs, est une première pour moi. C’est une façon de densifier la narration, d’ébouriffer le récit.
J’expérimente avec AutoGPT, disons avec sa version Professor Synapse, il s’agit d’un assistant qui, pour atteindre des objectifs complexes, les découpe en étapes et pose des questions tout au long du process. Je réussis à créer une représentation graphique de mon parcours gravel g727 en quelques minutes. Au passage, je découvre qu’en activant le plugin Advanced Data Analysis, on peut uploader des fichiers à ChatGPT. Je m’empresse de lui charger l’intégralité de mon roman et lui demande un résumé. Il ne parvient qu’à résumer la première page et finit par me demander ce que je veux voir dans le résumé. Parfois, j’éclate de rire devant ChatGPT (et parfois je deviens dingue).
Mercredi 13, Balaruc
J’uploade le début de ma seconde partie de roman et ChatGPT a du mal à le résumer, sans faire des contresens monumentaux.
Jeudi 14, Balaruc
Vendredi 15, Balaruc
Quand je demande à ChatGPT d’être littéraire, iel génère un texte ampoulé. Cela en dit long sur la notion commune de ce qu’est la littérature : un texte avec des guirlandes qui clignotent de partout.
Samedi 16, Balaruc
J’apprends tellement de trucs sur l’usage des LLM que ma technique s’améliore à une vitesse étourdissante. Je suis frustré de ne pas partager mon expérience. Il me faudrait enregistrer des vidéos. Pour plus tard, après le roman. Peut-être. Mais ce n’est pas mon truc. Faudra qu’on m’invite à animer des séminaires.
Mercredi 20, Balaruc
Fin du retravail de la première continuité du Code Houellebecq. Tout relire une fois, puis laisser reposer. Puis essayer de triturer le texte avec les IA, voir ce qu’elles en disent, ce qu’elles proposent. Bon, j’ai déjà 100 000 signes de plus que l’objectif de Pierre. Je ne sais même pas comment le texte pourrait perdre autant de signes sans être dénaturé. Pour une fois, il me serait plus facile de lui ajouter 200 000 signes que d’en enlever.
Jeudi 21, Balaruc
Je demande à Claude de me dire ce que je pourrais améliorer, l’IA me suggère de nombreux ajouts comme développer les personnages secondaires, puis elle me conseille de couper les passages les plus essentiels. Il vaut mieux rester lucide dans ces moments.
Je tente une autre approche. Je lui demande de trouver des passages redondants. Elle en trouve, sauf que je ne les ai jamais écrits. Elle a pourtant le texte complet sous les yeux. On avance sur des œufs avec ces technologies.
Samedi 23, Grande Motte
Mercredi 27, Narbonne Plage
Jeudi 28, Balaruc
Hier, je rentre de cinq jours de bikepacking sous une lumière éblouissante, et pas plus tôt posé, un rhume se déclenche. Je suis dans le cirage.
Vendredi 29, Balaruc
James Frey défend la même position que moi sur l’usage des IA en littérature. « J’utilise l’intelligence artificielle parce que je veux écrire le meilleur livre possible. » J’ajoute : parce que je veux écrire ce que je n’écrirai pas sans elle. Je veux qu’elle m’aide à me surprendre. Il est temps que je relise une dernière fois le manuscrit en intégrant les remarques d’Isa.
Pierre m’annonce que les projets de littérature IA bourgeonnent de partout, ce qui le stresse pour mon propre texte. Mais je n’ai pas écrit avec une IA, j’ai écrit sur elle, sur ce qu’elle change à la littérature pour dire métaphoriquement ce qu’elle change en dehors.
Samedi 30, Balaruc
Après avoir relu Le Code Houellebecq une dernière fois, je l’envoie à Pierre.