Samedi 1er, des Corbières à Leucate

Réveil
Réveil
Corbières
Corbières
Corbières
Corbières
Leucate
Leucate
La Franqui
La Franqui
La Franqui
La Franqui

Dimanche 2, Balaruc

Je n’ose pas penser, je n’ose pas faire comme si de rien n’était, j’enchaîne des actions quasi automatiques, et quand les béances la réalité me rattrapent, encore mal comprises, effrayantes parce que neuves et inattendues, même si leur possibilité est là, depuis toujours, mais être face à elles est une autre affaire, avec mon cerveau qui part en boucle, multiplie les scénarios indésirables, que je chasse comme de quelconques pensées impromptues surgies au milieu de mes méditations insomniaques.


Avant de lancer un Genlog, je me demande ce qui en sortira. Cette fois encore, la nouvelle n’est pas terrible, mais avec un peu d’huile de coude ça ferait une petite histoire sans prétention. Les IA peuvent produire de la petite littérature de gare. La prochaine fois, je modifierai l’algo pour qu’il choisisse un genre, un style, une modalité narrative… sinon, parce que je lis des articles scientifiques, il se cantonne à la SF.

Je publie le texte sur Facebook. Une commentatrice écrit : « En somme : tout ça pour ça ! » Je lui réponds, « Un petit pas pour une IA, un grand pas pour nos successeurs. » C’est drôle comment la plupart des gens sont incapables d’analyser la dynamique qui se joue. Ils ne voient pas que le texte d’aujourd’hui est bien meilleur que ceux de l’année dernière. Les productions humaines et artificielles s’apprêtent à ce confondre. Une nouvelle époque commence. Peut-être qu’il ne vaut mieux pas le savoir pour ne pas prendre peur.

Lundi 3, Balaruc

Soir
Soir
Soir
Soir

Mardi 4, Balaruc

Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Fabrègues
Fabrègues

Jeudi 6, Narbonne-Agde

La Clape
La Clape
La Clape
La Clape
La Clape
La Clape
La Clape
La Clape
Vendre
Vendre

Dimanche 9, Balaruc

Impossible d’écrire. J’accumule des petits gestes. Pour une fois, je me mets au service des autres. Je découvre la tension de ne pas avoir de temps pour moi, sinon pour quelques sorties vélo sans lesquelles je deviendrais dingue. J’en suis désorienté. L’envie de créer n’est pas loin, comme souvent pour les artistes qui travaillent à côté de leur art. J’aimerais avoir plus de choses à dire, ou même analyser ma situation, mais j’en suis incapable.

Lundi 10, Balaruc

Dans un effort de nourrir ce journal, que je dois cultiver comme un jardin, avec régularité sinon sous le soleil il s’assèche, je commence une note qui se termine en article. J’ai perdu l’habitude de réagir aux évènements politiques? Je les regarde avec découragement, persuadé que ceux qui se dressent pour gouverner aux autres manquent cruellement de sagesse. Alors quand ils prétendent détenir des réponses, je ne suis pas loin de penser qu’ils sont dingues.

Mardi 11, Balaruc

Je vois surgir des arguments politiques effrayants, auxquels je n’ai plus la patience de répondre, comme « Si 40 % des Français votent pour l’extrême droite, c’est qu’ils ne peuvent pas être tous totalement cons ». À quoi il faudrait juxtaposer quelques références historiques, bien sûr l’arrivée d’Hitler au pouvoir suite à une élection, mais surtout rappeler que, dès la Grèce antique, le peuple a poussé Athènes dans une guerre absurde pour conquérir la Sicile en 415-413 av. J.-C, terminée par un désastre, avec la perte de la flotte et de nombreux soldats, affaiblissant la cité dans la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.). La voie de la majorité n’est jamais synonyme de sagesse, parce que la majorité plus que les minorités peut être manipulée par la propagande à grande échelle. Aussi rappeler les mots de Camus : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

Au passage, impossible de retrouver l’origine de ce texte cité des milliers de fois sur le web, mais jamais sourcé, si bien que je me demande si Camus l’a réellement écrit. Nous sommes entrés dans une réalité floue qui autorise les approximations littéraires et politiques. On s’arrange avec les faits, on les tord, et se contorsionne pour finir par accepter l’inacceptable.

Que puis-je faire ? Ma façon de considérer la politique est si éloignée de celle qui prévaut que je n’aurais aucune chance de peser dans un jeu dont je réfute les règles — pensées, on dirait, pour conduire aux désastres. Il ne reste que la grande usure du temps pour polir peu à peu les institutions, presque nécessairement dans la douleur des errances. J’ai pour seule arme des mots de peu de portée. Je ne les écris même pas pour aujourd’hui, plutôt pour dire à demain que je n’étais pas aveugle, mais qu’encore une fois je n’ai rien fait, car les forces adverses étaient trop écrasantes.

Mon texte d’hier n’a suscité aucune réaction, sauf quelques approbations amicales. Il a engendré moins de discussion qu’un billet sur le vélo. Je suis obligé d’admettre que ma vision politique est si isolée que même l’exprimer n’a pas beaucoup d’intérêt, surtout que cet exercice ne me fait du bien que sur le moment.

Reste la façon dont mon texte a jailli, en coup de poing, et je me dis que je ne suis jamais aussi bon que quand j’écris de cette façon, tendu, poussé par une nécessité première, et il me manque cette spontanéité dès que je verse dans le romanesque, comme s’il exigeait de moi plus de retenue, ou plutôt comme s’il s’écoulait d’une source plus ténue que celle de la colère. Je n’ai jamais réussi à concilier l’écriture romanesque et l’écriture brute du blog, sans doute parce que je n’ai jamais réussi à rendre romanesque ma propre vie, et faire que les deux formes se confondent — sauf peut-être en écrivant sur mon père.


Si les commentaires désobligeants, ou simplement les contradictions, apparaissaient sur mon blog, chez moi, je serais en quelque sorte obligé de répondre, nécessité que je n’éprouve pas sur les réseaux sociaux. Couper les commentaires sur mon blog était peut-être le dénaturer, me placer au-dessus des lecteurs, plutôt que rester parmi eux.

Mercredi 12, Balaruc

Il y a quelques jours, Anne Bourrel a donné un atelier d’écriture au Jardin méditerranéen, près de chez moi. En commentaire, je lui ai dit « L’endroit que je censure. » On échange un peu. J’explique que ce jardin a défiguré le plus beau coin de garrigue du village. Elle me dit que, d’après les témoignages, l’endroit était un dépotoir avant les travaux de réaménagement. Tous les Balarucois de ma génération bondiraient à cette déclaration, et les plus anciens aussi. Je me demande qui a balancé une connerie pareille, sans doute quelqu’un qui n’a jamais connu le Pioch d’avant. J’ai dit à Anne que j’avais écrit un texte en préambule de la destruction. Je viens de le retrouver, et découvre que j’avais écrit un second texte a posteriori, et seulement quelques jours avant la mort brutale de mon père, et dans ma tête cette double mort me frappe, mort de la filiation par le sang et par le sol.


Aujourd’hui j’ai planté un oranger. Je suis plus satisfait que d’avoir écrit un texte, peut-être même qu’un livre, pourtant je ressens un grand vide, comme si ce projet domestique m’avait privé d’énergie.


J’aime les périodes électorales parce qu’elles sont l’occasion d’un merveilleux étalage de langue de bois.


Je vote écolo quand je peux, un vote désuet, tant l’écologie devrait être consubstantielle de toute action politique. Mais on dirait que beaucoup de gens n’ont pas encore compris que nous’avions à notre disposition une seule planète.


Hier, Isa me parlait d’un auteur qui, partant du postulat que nous possédions un libre arbitre, en déduisait que nous pouvions nous échapper des déterminismes mammifériens, comme la course au pouvoir, qui se traduit par la volonté de croissance et d’accumulation. Dans mes essais, j’ai moi-même postulé le libre arbitre, à des fin collectives, avant de comprendre que c’était une erreur. Si tant est que nous ayons à titre individuel un libre arbitre, rien n’implique que collectivement nous en possédions un. Les faits tendent à prouver le contraire, comme l’existence de lois sociales d’invariance opérantes chez nous comme chez de nombreuses espèces. Avec les avions, nous nous échappons à la gravitation, mais nous avons beaucoup plus de mal collectivement à nous défaire de notre connerie.

Jeudi 13, Balaruc

Face à moi-même ce matin. Devant mon clavier, à regarder mon blog, mes derniers textes, mes derniers codes, mes dernières traces cartographiques, replonger ou rejoindre les copains pour pédaler avec eux ? Une heure s’évapore, et je ne trouve pas mieux qu’en dire le passage.

Par moments la vie me descend dans la gorge, puis dans le ventre et s’y enroule jusqu’à la paralysie. Des moments d’incertitude maximale où le futur s’efface, où des gestes qui avaient du sens paraissent dérisoires et à la place desquels rien de signifiant ne s’impose, à part un vague espoir de renouveau.

Au-dessus de mon écriture plane les IA, qui dans leur médiocrité créative disent la médiocrité de la plupart de nos créations, finalement que des recréations, fruit d’un artisanat maîtrisé.

Samedi 14, Balaruc

Je découvre une image frappante sur les réseaux. Un loup, debout sur ses pattes arrière devant un pupitre avec micro, parle à un troupeau de moutons : « Une fois élu, je serai végétarien ! » J’aime ces illustrations qui vont droit au but. Il me faut quelques secondes pour recréer une illustration comparable avec ChatGPT. Je peux devenir illustrateur, pour peu que je dirige mon cerveau vers ce champ de créativité. L’émergence des IA nous ouvre toutes les portes.

Loup politicien
Loup politicien

Lundi 17, Balaruc

Dans le corps transformé en terrain de douleurs, la maladie et les médications s’affrontent sans considération.

Mardi 18, Balaruc

Hier soir, peu avant minuit, bruit tonitruant dans le ciel. Je crois que c’est Patrick qui passe me faire un coucou avec son hélico, mais non, trois silhouettes noires volent au-dessus de l’étang, tout feu éteint. Isa finit par découvrir qu’il y a des essais militaires. Un instant nous avons pensé attentat, accident nucléaire, début de la troisième guerre mondiale. Le vacarme a duré longtemps, épuisant.


Du danger de postuler. Exemple : « La croissance économique est incompatible avec l’écologie. La décroissance est une nécessité. » C’est toujours manquer d’imagination que professer de telles choses. Imaginons un monde d’artistes, de créations immatérielles, voire de pure poésie, où nous échangerions des mots, en ferions commerce. Un marché poétique pourrait prospérer, être en croissance, sans pour autant que les écosystèmes en pâtissent. Ce n’est pas parce que nos modalités économiques contemporaines sont incompatibles avec l’écologie que les modalités à inventer le seront.

Mercredi 19, Balaruc

Pas eu le temps d’écrire, ou pas voulu le prendre, préférant coder des choses inutiles pour mes aventures à vélo, quand je n’étais pas au service d’Isa et des enfants. Je me suis juré de travailler ce matin, et j’en suis encore à m’esquiver, à relire le journal qui dit toute ma vie et rien en même temps.

Des lecteurs fidèles me disent qu’ils ont l’impression de me connaître intimement. Peut-être que je dis assez de moi pour devenir un sujet expérimental, un prototype de vie, voire un ami, un compagnon, un amant qui s’ignore. J’aimerais alors joindre les gestes aux mots, pouvoir vous étreindre, et c’est presque possible puisque vous me lisez avec seulement quelques jours de différé. Envoyer des mots doux, enroulants, réconfortants. Nous respirons le même air, même celui vicié de la politique où tout le monde rase gratis et promet la lune. Certitude que tout finira par des coups de bâtons douloureux.

Parce que je suis un rêveur, je préfère que les réalistes, même maladroits, restent au pouvoir plutôt que des furieux irresponsables, qui finiraient par m’empêcher de rêver. J’ai besoin de stabilité politique pour que ma propre instabilité s’épanouisse. Je sais que vous partagez ces pensées, plus ou moins, plus ou moins d’accord, ce n’est pas le sujet, mais les mêmes questions vous traversent, et cela rend la lecture du journal d’un contemporain assez particulière.

C’est neuf dans notre histoire cette possibilité de nous synchroniser en temps réel par des mots, des images, des sons, si neufs que nous n’avons pas compris les dangers de la connexion. Parce que vous pouvez vous connecter à moi, mais aussi à des millions de dingues, et les dingues les uns avec les autres jusqu’à la folie collective à l’échelle d’un pays, et même du monde. Nous sommes des connecteurs, mais pas encore un peuple de connecteurs. Nous ne maîtrisons pas encore la force nouvelle qui s’écoule entre nous.


Je m’amuse
Je m’amuse

Un prompt, puis du Photoshop pour ajuster la typographie. Je pourrais perfectionner, créer un style visuel, un style typographique… mais les idées me manquent.

Jeudi 20, Balaruc

Je crois à la nécessité d’un pacte entre un auteur et son lecteur. Dans la chaîne d’édition traditionnelle, il existe à minima un pacte monétaire : le lecteur dit « J’ai payé pour te lire. » Quand je lis un mort, je dis « Je t’admire, tu m’inspires, tu me motives… » Mais quid de la lecture en ligne, quand, comme moi, un auteur diffuse ses textes gratuitement ? Peut-être faut-il à minima considérer les auteurs numériques comme des morts et les célébrer, ou les rétribuer par des likes, des partages, des commentaires. Rester silencieux face à un travail diffusé gratuitement, c’est trahir le pacte tacite entre l’auteur et son lecteur. Parfois certains de mes textes sont beaucoup lus, mais rien ne me revient, et alors que je sois lu ou non ne change rien, et peut-être que c’est mieux ainsi, que je finisse par être indifférent de ce qui se passe du côté des lecteurs.


L’été se refuse toujours à nous, et ne se jette sur nous que par bouffées, comme hier en fin d’après-midi lors de la sortie vélo, et je me dis que je réussirai à me mettre au travail qu’avec les fortes chaleurs.


Petite claque visuelle. Le Pinterest de Marc Veyrat.

Marc Veyrat
Marc Veyrat

Je manque de force, et même d’enthousiasme, pour m’immerger dans une histoire. Je ne vois d’espoir que dans une narration à la One Minute (et aussi parce que je n’ai aucune envie de répéter des procédés romanesques éculés — mais cette forme aussi n’est-elle pas désormais éculée ?).

Pompt : « J’ai deux idées de romans, construits sur le même principe. 1/ Un avion est en train de se crasher apparemment et on passe dans la tête de tous les passagers, un à un par petits chapitres, et peu à peu on commence à comprendre ce qui se passe exactement. 2/ Une rame de métro entre en station quand un drame survient. Des gens courent partout. Le roman se déroule a posteriori et se compose des témoignages juxtaposés de tous les témoins. Sur ce modèle, j’ai déjà écrit One Minute. Pourrais-tu me proposer dix idées de romans qui auraient une structure semblable : composés d’échantillons qui, une fois rassemblés, donnent une vision d’ensemble de la situation — une sorte d’approche pointilliste de la narration ? »

ChatGPT ne me propose rien d’intéressant contrairement à Claude.

Un drame social. Le dernier jour avant la fermeture définitive d’une usine, raconté par les ouvriers et dirigeants. Une fresque humaine qui se dévoile par petites touches. Ce n’est pas un sujet pour moi, mais qui pourrait être puissant.

Suspens. Un car de touristes est pris dans une tempête de neige. Les réflexions des voyageurs, heure par heure, révèlent la montée progressive de l’angoisse. Un huis clos intéressant, qui rappelle l’histoire du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571. Impossible de faire mieux.

Jeunesse. La première journée dans une nouvelle école, racontée par des élèves de la même classe. Leurs regards croisés font émerger les dynamiques de groupe. Pas pour moi encore, mais intéressant.

Thriller. Lors d’un mariage, la mariée disparaît mystérieusement. Les invités livrent tour à tour leur version, laissant entrevoir une réalité plus complexe qu’il n’y paraît. Ça me plaît. J’ai besoin de légèreté en ce moment.

Dimanche 23, Balaruc

Sensation de ne plus rien avoir à dire. Peut-être est-ce une bonne chose, peut-être que seulement à ce moment on peut écrire, quand il ne reste plus qu’à raconter.

Mais comment raconter quand on retient son souffle, quand on est dans l’attente, quand on est serviteur des autres, soucieux d’eux plus que de soi-même ? J’ai toujours été un égoïste. Mon écriture a donc été égoïste. Je ne sais pas écrire pour les autres. Je suis en train d’apprendre à servir.


Novote
Novote

Je m’amuse à écrire le témoignage du futur marié après la disparition de sa future épouse.

Lundi 24, Balaruc

Avoir le talent de se taire dans une époque trop bruyante. Ou avoir le courage, ou la sagesse, je ne sais plus trop.

Hier soir, je survole un reportage sur Federer, et ce qui me choque n’est pas tant la médiocrité du film, que le mode de vie des joueurs de tennis professionnels : en total désaccord avec ce que l’époque exige, et même en désaccord avec l’élégance de Federer lui-même quand il était sur les cours. Quelque chose ne va pas chez nous. Même les sobres n’ont qu’une sobriété de façade.

Push, push, push. Difficile de résister à cette tentation d’ajouter du bruit au bruit, de se mettre en retrait, de n’exister que pour ses proches et soi-même. Nos productions ne sont plus que de l’herbe donnée en pâture aux IA. Nous ne produisons plus des contenus pour illuminer nos semblables, mais pour nourrir des monstres qui à leur tour produisent des contenus. Nous croyons exister en nous exprimant, mais nous ne faisons que nous dissoudre dans un océan toujours plus vaste et profond. Se taire, c’est exister.

Je suis noué de ne pas réellement écrire, en même temps il serait bon pour moi de savourer mon silence et de me féliciter de ma discrétion. Il y a eu un bref moment dans l’histoire du monde où les réseaux sociaux nous ont révélé de nouvelles possibilités politiques et artistiques, ce moment est dépassé.

Suis-je aigri ? Il me semble que je cherche plutôt un lieu social apaisé. Peut-être le calme d’un livre, de pages tournées lentement dans une après-midi de canicule. Étrange que je pense à un livre, et même pas électronique. Besoin d’une forme d’intimité. Mais une intimité vraie, celle d’ici même, de la pensée naissante, effleurantes, sans aucun emballage.

Je ne crois plus au romanesque pour se dire et communier, ou seulement au romanesque de nos propres vies. Pas de titre, pas d’accroche, pas de couverture, mais les jours qui passent, et avec eux des états d’âme. Il est temps que j’accepte de n’être qu’un flux, qu’un souffle, que je m’efforce d’être une brise agréable.

Être heureux d’inspirer une fois de plus, heureux d’avoir la force de l’écrire et de le partager. C’est en soi extraordinaire. Je suis capable de ça, vous imaginez ? Et vous aussi. Partager l’être. Un gourou de la communication avait décidé de ne plus utiliser le verbe être pour privilégier les verbes d’action. Je pourrais faire le contraire, ne plus parler que de l’état d’être.

J’ai l’impression de me répéter. J’en ai le droit dans le carnet, lieu de l’ultime liberté. Je me répète parce que ma conscience se déverse avec lenteur, c’est un magma quasi solide qui s’écoule très lentement dans la plaine.

L’important n’est pas d’être original, ou d’attirer l’attention, mais de partager un instant d’être. Une entrée dans le journal c’est comme une énième photographie de l’étang depuis mes fenêtres. Je dis que je suis, que je vois, que je ressens, et je m’ordonne de continuer, encore et encore, parce que sentir cette énergie entrer en moi et me traverser reste l’expérience la plus extraordinaire que je connaisse.


Sensation de me décentrer quand je tente d’écrire un « livre », comme si ma place était dans ce carnet et sur le blog, et nulle part ailleurs, et comme si ailleurs n’avait même aucun sens. Je n’ai pas manqué de passer beaucoup de temps ailleurs ces vingt dernières années, mais presque toujours sans satisfaction, sauf à écrire autour de mon centre ou de celui de quelqu’un d’autre. La fiction que j’aime pourtant, comme divertissement, me laisse insatisfait dès que j’essaie d’en produire, comme si ses exigences me limitaient, alors qu’au contraire elles devraient me stimuler et me pousser à me dépasser. Je ne suis pas romancier, je ne l’ai jamais été.

Je ne vois pas pourquoi je devrais transposer mes pensées, les donner à d’autres, imaginer ce qu’eux pourraient dire. Je préfère m’attacher aux particularités, et celles que je connais le mieux sont les miennes, et par nature elles ne peuvent que paraître incongrues, parce que je ne cherche jamais des traits qui se retrouveraient chez tous. Je suis un écrivain particulariste, plutôt qu’un écrivain universalisant.

Malgré tout je vais essayer d’écrire le témoignage de la belle-mère dans mon histoire de mariage, donc de me transposer. Il ne pourra s’agir que d’un jeu. Je ne suis pas sûr d’y trouver à me nourrir. Tenter tout de même. Pour rigoler, pour le plaisir, ne pas prendre l’écriture au sérieux.

Maguelone
Maguelone

Mardi 25, Toulouse

Dans une zone moderne, de verdure et de béton, de trop de béton encore. J’attends que Tim passe son oral, le ventre noué comme je ne l’ai jamais été quand moi-même j’ai dû me retrouver face à un public pour être jugé. Mais quand ça, exactement ? D’une certaine façon, j’ai passé ma vie à esquiver ce genre d’épreuves. Et quand je suis passé à la radio ou à la TV, je n’ai jamais réellement eu le trac, conscient que c’était sans importance, sans conséquence. Mais cette fois, Tim joue gros : l’issue des oraux d’aujourd’hui et des deux jours à venir déterminera son école pour les trois prochaines années, peut-être influencera toute sa vie. Ou pas du tout, peut-être que finalement il fera tout autre chose, comme moi qui ai très vite obliqué vers le journalisme, puis l’écriture.

Mercredi 26, Toulouse

Premières journées de grosse chaleur, et dans la nuit une idée romanesque a surgi, une idée profondément liée à moi même : raconter l’émergence de l’écriture, l’émergence du romanesque, ce qui se passe en-deçà, et qui est aussi proprement romanesque. Le roman du roman, le roman de l’écriture, le roman de l’auteur… Des sujets souvent traités théoriquement, ou métaphoriquement par le Nouveau Roman, mais qu’il me faudrait aborder à ma façon, sans que j’entrevoie comment, sinon que la chaleur, le canapé sur lequel j’ai dormi, le stress accumulé depuis des semaines doivent être dits, parce que les conditions de possibilité du romanesque sont le décor de ce roman, et moi-même le personnage principal. Un roman qui raconterait le merveilleux du roman, de sa simple possibilité.

Toulouse
Toulouse

Jeudi 27, Toulouse

Tim termine ses oraux, et je me suis mis au travail. Impression d’avoir retrouvé ma voix, celle de Mon père ce tueur.

Garonne
Garonne

Dimanche 30, Balaruc

Michael Ende, L’histoire sans fin : « Je voudrais bien savoir, se dit-il, ce qui se passe réellement dans un livre, tant qu’il est fermé. Il n’y a là, bien sûr, que des lettres imprimées sur du papier, et pourtant - il doit bien se passer quelque chose puisque, quand je l’ouvre, une histoire entière est là d’un seul coup. Il y a des personnages, que je ne connais pas encore, et il y a toutes les aventures, tous les exploits et les combats possibles - parfois surviennent des tempêtes, ou bien on se retrouve dans des villes et des pays étrangers. Tout cela est d’une façon ou d’une autre à l’intérieur du livre. Il faut le lire pour le vivre, c’est évident. Mais c’est déjà dans le livre, à l’avance. Je voudrais bien savoir comment. »

Moi aussi, je voudrais savoir comment, et c’est ce que je me suis mis à raconter, et les IA ne pourront pas beaucoup m’aider, parce que leur façon de faire n’a rien à voir avec la mienne.

Agde
Agde