Petit coin de paradis

La merdification de Substack

Un rewind s’impose. En février, j’ai déménagé mes newsletters sur Substack. En mars, j’affirmais que Substack tuait les autres réseaux sociaux et je les quittais (c’était à cause de ma démonstration dans Le Livre contre-attaque et non de Substack — mais je ne peux ignorer la synchronicité). Moins de deux mois plus tard, Substack me déçoit.

Le positif

  • Formatage impeccable des newletters comparé à Mailchimp. Compatibilité avec toutes les messageries. C’est d’une fluidité remarquable.
  • Stimulation des commentaires. Mes billets ont provoqué quelques conversations et continuent de le faire. Ce n’est pas la renaissance de la blogosphère, mais c’est mieux que sur les grands réseaux centralisés (ce qui n’empêche pas Substack d’être centralisé).
  • Même si le recrutement s’est nettement calmé, Substack continue de me faire gagner des abonnés (mon blog ne contribue qu’à 5 % du recrutement).

Le négatif

Le recrutement fonctionne parce que Substack est devenu un champ de bataille, exactement comme sur les autres réseaux sociaux. Photos, vidéos, brèves se multiplient, chacun des usagers cherchant à attirer l’attention.

J’ai l’impression de retrouver Instagram, avec le même push marketing, les mêmes influenceurs. Je ne suis pas encore ciblé par des publicités comme sur Facebook, mais tous ces messages m’agressent, et je ne peux y échapper parce que je les vois quand je gère mes contenus ou réponds à des commentaires.

J’ai beau désactiver les alertes, Substack continue de m’annoncer des contenus. Le bruit ne cesse de s’amplifier. Je sais que mes lecteurs subissent les mêmes assauts, ce qui les décourage de plus en plus.

Pourquoi publier cet article ?

Est-ce que ça fait sens de discuter de ces choses ? Quel rapport avec ma vie, avec nos vies, avec notre bonheur ?

J’ai besoin d’écrire, j’aime partager, j’aime échanger, mais j’ai envie de légèreté, je n’ai pas envie de me mettre en concurrence avec les autres, je n’ai pas envie de davantage de lecteurs, mais de lecteurs attentionnés comme j’aimerais être attentionné pour eux.

Les mesures de Substack me fatiguent. Tout est évalué, pesé. Tout nous pousse à la quantité. J’ai débranché les stats sur mon blog depuis des années et je retrouve là, partout, des compteurs de vitesse.

À vélo, je prends mon temps. Une sortie est de qualité quand je me suis marré avec les copains, quand j’ai pris des photos, quand nous avons vécu de bons moments comme dimanche quand nous sommes tombés sur un champ d’abricotiers.

Substack, pour moi, c’est comme être en promenade et voir des hurluberlus aveugles me doubler à fond de train en me hurlant de me ranger sur le bas-côté pour les laisser passer. J’aimerais dire « chacun sa façon de vivre », sauf que leur façon impacte la mienne. Ils me dérangent, ils m’agacent, ils me révoltent même, parce que leurs excès reflètent les excès mortifères de l’humanité entière.

Quand je suis sur Substack, je n’ai pas l’impression que nous allons dans la bonne direction. La responsabilité est double :

  • Substack offre les mêmes services qu’ailleurs ce qui entraîne les mêmes comportements.
  • Si on nous en donne les moyens, pour la plupart, nous tentons de crier plus fort que les autres.

Pour empêcher la surenchère, Substack devrait supprimer les indicateurs de performance (autant rêver). Sur les chemins, les hurluberlus iraient moins vite si Strava n’avait pas inventé les KOM (King of the Mountain). Tous ces services sont viciés parce qu’ils nous mettent en concurrence, et ceux qui ne font pas périclitent, ce qui en dit long sur notre nature prédatrice.

Je ne vais pas quitter Substack, là, tout de suite, mais je suis préoccupé. Quitter les autres réseaux sociaux m’a apporté une forme de sérénité. Moins d’imbécillités stressantes me passent sous les yeux quotidiennement, mais je commence à craindre que Substack produise bientôt le même effet.

L’intimité contre la popularité

J’en viens à me dire que cette forme de socialisation numérique a vécu. L’idée était simple : que tout le monde puisse parler à tout le monde. Promesse intenable, parce que tout le monde ne peut écouter tout le monde, ce qui implique des gagnants et une immense majorité de perdants, qui finissent aigris, frustrés, vindicatifs, vengeurs, agressifs, extrémistes, complotistes…

Substack a initialement vu juste en recentrant les échanges dans la boucle fermée, privée, des abonnés d’une newsletter, mais Substack ouvre de plus en plus la boucle, donc casse l’intimité initiale. Je crois que j’ai besoin d’intimité, pas d’exposition.

Hier, j’ai reçu une invitation pour participer à une émission TV, et j’ai refusé, au prétexte que je n’étais pas disponible. J’y gagnerais quelle intimité d’être ainsi exposé ? J’éprouve un tout autre sentiment quand je passe du temps à lire un bouquin. Je communie avec l’auteur comme s’il était assis à côté de moi et que nous discutions calmement. J’ai envie de livres, pas de réseaux sociaux rétrogrades, qui nous rabaissent sans cesse dans le monde des quantités et non celui des qualités.

Parlons-nous sans faire de bruit.

J’anticipe une prochaine renaissance de la lecture.

Toute une génération va prendre conscience qu’elle s’est perdue dans le bruit.

Je pense à mes enfants, bien sûr (et moi même qui souvent me suis égaré).

C’était juste une pensée du matin, texte commencé dans mon carnet, puis qui l’a débordé.