Une fenêtre d’espoir

Ma eVie depuis que j’ai quitté Facebook, Instagram, X, LinkedIn… pour Substack et Mastodon

J’ai quitté les réseaux sociaux centralisés depuis plus de trois mois, c’est le moment de faire le point et de partager quelques pensées.

L’asymétrie sociale

Mastodon, je ne sais pas quoi en faire, quoi y faire (mais j’ai quelques idées, vous verrez au fil de cet article). Excepté quelques conversations avec des lecteurs et d’autres auteurs, il est rare que j’y découvre des trucs qui m’ouvrent grand les yeux comme c’était jadis le cas sur Twitter ou même Facebook (je parle d’il y a très longtemps). Sur Masto, je ne suis presque jamais surpris (sauf peut-être par les posts de Karl). Je m’ennuie sur Masto et, plus je m’ennuie, moins j’y vais. J’ai beau faire, la mayonnaise ne prend pas.

Les libristes donneurs de leçons m’y fatiguent. J’ai l’impression de naviguer dans un monde consanguin. Dès que tu parles d’IA, tu deviens un suppôt de Satan. « Et le coût de la technologie ? » Ils n’ont que ça à la bouche sur Masto, alors que mon impact écologique est probablement inférieur au leur.

Au moins, je ne suis pas agressé par des idées nauséeuses comme sur Facebook ou X, mais l’ennui n’est pas moins nauséeux. Masto n’est qu’une copie de ce qui se fait ailleurs, et c’est ça qui ne marche pas. Aller sur Masto, c’est comme lire le livre d’un auteur plagiaire. Pas très satisfaisant.

Je pourrais m’en contenter si Masto n’était pas un réseau social asymétrique comme Facebook, X, TikTok…, avec son star système, avec des comptes suivis par des dizaines de milliers de personnes, pendant que les autres végètent. On a les dieux et leurs adorateurs comme ailleurs. C’est insupportable. L’asymétrie est le ver qui pourrit nos réseaux sociaux en leur cœur et les condamne à la médiocrité.

Arrêter aussi Masto, j’y pense (mais pas sérieusement, puisque l’outil n’est pas nuisible, simplement quasi inutile en l’état).

Un de ces jours, je tenterai une expérience : essayer de casser l’asymétrie. Suivre systématiquement ceux qui me suivent et ne plus les suivre dès qu’ils cessent de me suivre. Quelques lignes de Python suffisent pour implémenter cette logique. Je crois que je me sentirais mieux, même si ça ne changerait rien à l’asymétrie systémique de la plateforme.

La vérité est dure : Flipboard me procure bien plus de choses intéressantes à lire que Masto. Un algorithme est plus ouvert, plus pertinent, plus stimulant ! Tout ça m’attriste, mais je suis obligé de le reconnaître.

Masto en résumé : on n’y partage rien de très passionnant et on n’y discute pas beaucoup, c’est une sorte de réseau mièvre où des gens gentils racontent gentiment leur vie. Un air de ville abandonnée reconquise par des babacool vivant dans des baraques délabrées, tous très respectueux des autres, bienveillants, animés de bonnes intentions, mais qui n’ont pas beaucoup d’idées neuves qu’elles soient artistiques ou philosophiques (peut-être je dois en arriver à ce genre de critique pour provoquer un sursaut dans un électrocardiogramme de moribond).

La surpopulation

Tu veux me parler, OK, je t’écoute si tu acceptes de m’écouter. Si je te parle, j’aimerais que tu m’écoutes aussi. C’est ce que nous attendons de nos amis. En ligne, j’attends cette forme de fraternité impossible sans la symétrie.

J’aimerais casser l’économie de l’attention au profit d’une économie de l’échange, de la discussion, du partage, de la réciprocité. Quand tu as mille ou dix mille fois plus de followers que le commun des mortels, ça déraille, tu dérailles, tu te prends pour qui tu n’es pas — et tu commences à prêcher (sur Masto, t’es obligé de prêcher le mastopolitiquement correct, sinon tu n’as aucune chance d’y être entendu).

On réinvente les églises avec leurs curés.

J’ai toujours détesté les religions (et pas les religieux, car la foi est une affaire personnelle).

Quand il n’y a personne dans un café ou un restaurant, on a du mal à y entrer. Au contraire, quand il y a trop de monde, on s’enfuit pour chercher un endroit plus accueillant. C’était la logique sociale jusqu’à l’invention des réseaux sociaux numériques. Ils ont fait sauter cette autorégulation naturelle. Ces nouveaux cafés-restaurants peuvent accueillir des millions de personnes et ça ne marche pas parce que cette surpopulation implique une immédiate hiérarchisation, et très vite l’asymétrie.

Des frémissements sur Substack

En même temps que j’ai quitté les réseaux sociaux, j’ai commencé à publier mes articles sur Substack, recevant quelques commentaires, entamant des conversations, qui parfois m’ont incité à écrire de nouveaux articles. C’est ça que j’attends et que je ne trouve plus ailleurs. Je partage une pensée pour que vous la discutiez et qu’ensemble nous avancions.

Vous êtes trois mille à me suivre sur Substack (2 200 pour les articles « littéraires », et 800 pour ceux sur le vélo), c’est formidable. Vous pouvez crier à l’asymétrie. C’est le cas d’une certaine façon, sauf qu’en tant qu’auteur je ne me considère pas comme un réseau social.

Nous vivons en société parce que les uns se spécialisent dans un domaine (j’écris) et d’autres font autre chose (construisent, cultivent, enseignent, soignent, divertissent…). La spécialisation entraîne une asymétrie fonctionnelle. Comme un boulanger ne peut avoir un seul client, je ne peux avoir un seul lecteur (sinon c’est une correspondance). L’asymétrie fonctionnelle ne pose pas de problème. Elle est même vitale.

En revanche, l’asymétrie est nocive dans les rapports humains. J’en viens à penser que nous avons besoin de réseaux humains plus que de réseaux sociaux, des endroits où nous discutons vraiment d’égal à égal, avec une parfaite symétrie de rapport.

Par exemple, dans les fils de commentaires de mes articles sur Substack, vous discutez entre vous, pas spécialement avec moi. Je réponds souvent, je like pour vous signaler que j’ai lu vos messages, parfois je rebondis dans mes carnets, mais je ne peux ni ne veux m’imposer de répondre à tous.

En revanche, j’attache de l’importance que mes textes soient l’occasion de discussions, comme ils l’étaient au temps des blogs. C’est dans ces discussions que s’impose la symétrie. Si je participe, je n’ai pas une voix plus forte que la vôtre. Substack autorise cette symétrie entre les commentateurs, mais c’est très fragile.

Perspectives

Je ne suis pas à l’aise avec Substack, parce que je partage sur une plateforme appartenant à des millionnaires mes contenus, selon une asymétrie patente. En échange, de son service de newsletters et de recrutement d’abonnés, Substack utilise mes textes pour enrichir son écosystème et son système de recrutement. Substack recrute pour moi, mais j’ai commencé par recruter pour Substack en leur amenant mes anciens abonnés (j’écrirai à l’occasion un article plus technique sur l’analyse de mes statistiques Substack).

Publier sur Substack implique un décentrage. J’ai l’impression que mon blog n’existe plus. Pourtant il reste ma maison. Chez Substack, je vis à l’hôtel, conscient que c’est provisoire et qu’un jour la gueule du patron me déplaira.

Je crois toujours à la nécessité d’une ferme existence numérique, à la nécessité de sa localisation « géographique », à partir de laquelle essaimer. J’ai l’espoir d’un renouveau grâce au protocole ActivityPub, celui-là même utilisé par Masto.

L’idée : suivre un blog comme on suit un compte social, avec un système universel de commentaire, de partage, de like… Plus besoin d’aller sur le blog pour interagir, mais possibilité de le faire depuis une application sociale décentralisée comme Mastodon, ce qui rendrait en même temps ces plateformes moins ennuyeuses et plus dynamiques, au moins autant que Substack, ce qui serait un immense progrès.

Ghost, Write Freely , WordPress avec le plugin ActivityPub, Flipboard (sur Masto, cherchez Flipboard)… implémentent déjà ActivityPub. Il faudrait aller plus loin : que des blogs puissent suivre d’autres blogs et ainsi de suite (et réinventer la liste des sites amis). Si l’approche se généralise, nous construirons une fédération de contenus sur des bases neuves et décentralisées.

Je n’aurais plus à utiliser Masto pour annoncer mes nouveaux articles, ils tomberont dans le fil de ceux qui sur Masto suivront mon blog (et non moi-même), exactement comme dans la boîte mail des abonnés à ma newsletter, mais avec la possibilité de discuter in situ. C’est une façon de moderniser le RSS, en lui ajoutant des fonctions sociales, sans la nécessiter de passer par un tiers comme Substack ou Ghost (Ghost comme WordPress restant nécessaires uniquement pour ceux qui croient en l’obligation de disposer d’un site personnel dynamique, donc lourd techniquement, onéreux en hébergement, dispendieux en énergie, prône aux plantages et aux piratages).

J’en arrive au point où je dois faire apparaître mon site sur ActivityPub (j’ai des pistes — c’est un peu compliqué puisque j’ai basculé en statique). Je commence à entrevoir la nécessité de séparer la personne, avec qui on peut discuter symétriquement, de ses contenus diffusés asymétriquement. Si j’étais cuisinier, ce serait plus simple : on discuterait avec moi de cuisine ou viendrait manger à mon restaurant. Pour un auteur, il y a des mots dans les deux cas, ce qui entretient la confusion entre le mode symétrique et asymétrique.

Il me reste à creuser, à coder, à expérimenter. J’entrevois une nouvelle façon d’être en ligne à la fois symétrique et asymétrique, tout en clarifiant la frontière entre les deux modes.