L’auteur, c’est une marchandise économique. Tu le prends, tu le plantes derrière une chaise, tu lui dévores deux ou trois jours de vie, en échange d’un billet de train et de quelques restaus pas toujours tip top, toi, l’organisateur de salons ou autres manifestations, tu penses être quitte.

Je crois que tu connais mal notre vie d’auteur. Si on vend 100 livres en trois jours, ce qui ne m’est jamais arrivé et qui arrive qu’aux auteurs vedettes ou de niche, on gagne une centaine d’euros. Je te rappelle que le SMIC est aujourd’hui à 9,53 €/h. Si on passe donc trois fois huit heures en ta compagnie, et je devrais inclure le temps de transport, on devrait te facturer au minimum, 9,53×24-nombre de livres vendus, c’est-à-dire en gros 150 € (ce qui couvre ni plus ni moins que nos frais annexes, tous ces verres que nous buvons en ton honneur dans les cafés des alentours).

Vu autrement, reconnais que chaque fois qu’un auteur accepte ton invitation, il te fait cadeau de 150 €. Et bien plus, parce que souvent l’auteur est un ouvrier qualifié qui devrait exiger davantage qu’un SMIC. Et quand tu lui demandes de participer à un débat ou une table ronde, tu devrais doubler la mise, d’autant que notre charte l’exige.

Je sais. On s’amuse grâce à toi, on rencontre des amis, on boit beaucoup. Je veux bien faire un geste pour quelques manifestations organisées par des proches, mais pas à longueur d’année. Soit tu as les moyens de ta fête, soit renonce, tu nous fais du mal… surtout à ceux qui prétendent vivre de leur plume. Parce que pour remplir tes alignements de tables, tu racles large, tu veux du monde, alors tu vends de la visibilité, tu es persuadé qu’elle vaut bien plus que 150 €, tu te trompes, elle ne vaut rien, sauf à une échelle dont tu n’as pas les moyens.

Je sais que tu es souvent bénévole, que tu es bien intentionné, mais je préfère ne plus être invité plutôt qu’être transformé en marchandise. Parce qu’à l’époque numérique, mes livres n’ont techniquement plus de valeur, il suffit de se baisser pour les cueillir gratuitement, et ça va pas s’arranger. La seule chose que, moi auteur, je peux encore vendre c’est mon corps, ma présence, mon sourire, mes mots prononcés à voix haute. Et toi, sans vergogne, tu pirates même mon corps.

Je suis d’accord avec la défense de ma profession faite par Vincent Monadé. Oui, tu dois me payer ou tu dois renoncer. Ne cherche plus d’excuses. Maintenant, Vincent pense tout aussi de travers que toi. Il déclare : « Dans notre pays, où la chaîne du livre est fragilisée par la crise et la mutation numérique, les auteurs sont précarisés et paupérisés. »

Voilà qu’il fait du numérique le grand responsable de tout. Pas étonnant avec de telles appréciations que la situation se détériore. Parler de chaîne du livre alors que le livre ne représente plus qu’une infime parcelle des textes publiés, c’est passer à côté de l’état réel de notre littérature. C’est se chercher un bouc émissaire plutôt que de se tendre vers l’avenir. Le livre va mal parce que les gens lisent autre chose et qu’il faut réinventer une chaîne qui le reconnaisse, et cette reconnaissance passe par la rémunération de notre corps physique ou numérique.

Promis, si l’un de vous organise un salon sur la littérature vivante, c’est-à-dire celle qui est produite en ligne, je vous rejoindrai gracieusement.

Je prèfère quand Didier Pittet signe à ma place Le geste qui sauve.
Je prèfère quand Didier Pittet signe à ma place Le geste qui sauve.