On respire, c'est le printemps
On respire, c'est le printemps

Si je suis énervé, vous êtes en train de perdre les pédales. Sans parler des innombrables fausses rumeurs que vous faites circuler et auxquelles vous abondez, et dont la liste n’en finit pas de s’allonger.

Vous êtes des dizaines de milliers à exiger que le traitement expérimental du professeur Raoult soit généralisé alors que vous n’y connaissez rien en médecine, encore moins en virologie. Après voir lu trois articles de vulgarisation et pas leur critique, le confinement vous transforme en microbiologiste de renom et vous vous croyez en droit d’exiger que vos rêves de fin de pandémie soient exaucés d’un coup de baguette magique.

Extrait d’un message de Pierre Muller, médecin urgentiste et guide de haute-montagne :

À tous ceux qui réclament des démissions, je dis ceci : Je n’aime pas les solutions simples à des problèmes compliqués proférées par des gens qui manquent d’humilité. La réanimation des patients porteurs du virus est complexe même avec du Plaquenil, les meilleurs réanimateurs alsaciens, italiens et chinois l’attesteront. Ceux qui prétendent le contraire ne s’occupent pas de malades, mais d’éprouvettes. Ils livrent un message simpliste qui plaît parce qu’il est optimiste certes. Oui toutes les pistes sont explorées même la « marseillaise » et depuis longtemps, mais les exemples ne manquent pas en médecine pour savoir qu’on ne se précipite pas sur une solution séduisante sans preuve, on court à une catastrophe encore plus grande.

Ce traitement est testé en plusieurs endroits du monde, arrêtez de hurler, de vous affoler dans votre désir d’un retour à la normale (comme si cette normale était si excitante). Pour le moment, que je sache, Raoult a démontré que son traitement réduisait la charge virale et je n’ai pas lu qu’il réduisait la mortalité sinon en théorie. Oui, c’est un espoir, mais pas encore une solution. Attendons les résultats des tests pour crier victoire (ainsi que des tests de dizaines d’autres approches).

Toujours sous l’influence du disruptif Raoult, intoxiqués par ses promesses, vous ne cessez de vous infecter les uns les autres avec un article intitulé Covid-19 : fin de partie ?!, bâti sur ses arguments, et qui exige le dépistage systématique. Je l’ai moi-même cité parce qu’il critique comme moi le confinement, en faisant une mesure d’un autre temps, mais il faut finir par se rendre à la réalité du terrain. Je discutais hier avec un spécialiste de santé publique qui démentait les propos de l’article. « C’est à la fac qu’on apprend qu’il faut dépister, isoler, c’est la théorie. Mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. »

On ne peut tout simplement pas à l’instant tester tous les cas suspects, on n’en a pas les moyens techniques là tout de suite, encore moins de tester tous les porteurs asymptomatiques, sans doute pas loin d’un million en France désormais, parce que faute de les avoir identifiés il faudrait tester tout le monde. Bien sûr, si du jour au lendemain on connaissait les positifs, il suffirait qu’ils s’isolent trois semaines et nous en aurions terminé du coronavirus. En vérité me dit mon spécialiste, nous manquons des réactifs nécessaires pour pratiquer les tests à grande échelle (et l’étude de Raoult lui-même démontre la difficulté à mener des test fiables). Nous ne pouvons pas aujourd’hui appliquer cette stratégie, mais nous le ferons dès que ce sera possible (pas mal de gens se démènent en ce sens). Selon mon spécialiste, le confinement est devenu la seule solution, non parce qu’il l’apprécie, mais parce qu’il ne nous en reste plus d’autres jusqu’à nouvel ordre (pas une raison pour nous confiner connement comme l’exige notre gouvernement). Oui, c’est un échec de nos systèmes de santé. Ça peut et doit nous rendre dingues, mais voilà où nous en sommes. Nous découvrons que les pays comme la Corée du Sud nous sont passés devant et que notre médecine n’est plus la meilleure du monde. On tombe de haut, ça fait mal à nos ego.

Et si les travaux de Raoult ont été initialement mal accueillis, c’est parce qu’ils se basent sur une lettre chinoise, initialement regardée avec dédain par nous autres occidentaux prétentieux. Nous assistons en direct au déclin de l’Occident annoncé depuis plus d’un siècle. Nous allons devoir nous y faire. Le monde est en train de basculer. Et si nous avons tardé à prendre des mesures contre le coronavirus, c’est encore parce que nous avons méprisé les Chinois, nous croyant plus forts qu’eux.

La facture est lourde pour nous tous. Et puis comme si c’était le moment de régler les comptes, des soignants intentent un procès au Premier ministre et à son ancienne ministre de la Santé. Nous aurons le temps plus tard, à tête reposée, calmement, mais maintenant, en temps de guerre, il est trop tôt pour juger les criminels de guerre, attendons de savoir dans quel état nous nous trouverons une fois la paix revenue.

Michel Onfray, lui, veut pendre les riches, qu’il accuse d’avoir détruit notre système de santé, oubliant de se ranger lui-même plutôt dans les riches que dans les pauvres. Si on vous écoutez tous, l’échafaud serait déjà ensanglanté depuis quelques jours alors que nous n’en sommes qu’au début du confinement. Vous n’allez pas tenir le coup à ce rythme. Bientôt vous descendrez dans la rue pour vous étriper. La peur engendre la violence. C’est un autre virus ultra contagieux qui nous guette et qui peut provoquer des pogroms.

Certes la situation présente nous révèle tous les dysfonctionnements du monde globalisé et libéral, mais il ne suffira pas de décapiter quelques mandarins pour changer de monde. Il faudra adopter d’autres logiques, d’autres organisations, et surtout apprendre à se respecter les uns les autres, parce que notre système manque de respect à tous les échelons, et juger sans procès est une forme d’irrespect parmi d’autres. À vous entendre, vous utilisez des méthodes que vous réprouvez pour arriver à vos fins.

Il y a pire. Dans une vidéo fort vue, l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau utilise la crise actuelle, et notre acceptation presque indiscutée du confinement, donc des réductions de liberté, pour exiger les mêmes restrictions à fin de nous attaquer aux dérèglements climatiques qui seront plus meurtriers que la pandémie Covid-19. Je suis atterré par cette logique. C’est comme s’il n’existait que la force pour régler les problèmes, que la dérive autoritaire chère à tous les extrémistes.

Et si je critique depuis le début le confinement, c’est parce qu’il nous a été imposé, alors qu’une autre approche était possible : l’éducation. À Hong Kong où les Hongkongais sont plus éduqués que nous manifestement, ils se sont auto-confinés sans qu’il soit nécessaire de légiférer. Éduquer, responsabiliser, agir ensemble en bonne intelligence est toujours préférable à se voir imposer des mesures arbitraires et pas nécessairement judicieuses. S’attaquer aux libertés est la meilleure façon d’envenimer les problèmes. Je rappelle que plus l’indice de liberté est élevé dans un pays, moins il y a de criminalité et de violence en tout genre. Plus l’indice de liberté est élevé sur la planète, moins il y a de morts dans les conflits. Je n’ai pas envie que nous basculions dans un régime ultra-écolo extrémiste des Khmers verts. Nous sommes intelligents, alors faisons preuve d’intelligence et pour commencer d’un poil de discernement, sinon la chasse aux sorciers va commencer.

Fin du message de Pierre Muller :

Le dépistage à ce stade de l’épidémie n’a pas de sens, c’est trop tard, le virus circule librement. Et on choisirait de dépister qui ? Les sympathiques ? Mais ils sont contaminants 24 h avant les symptômes, alors quoi ? Quel intérêt ? Sans parler des faux négatifs. Il n’y a plus de cluster, on vous le dit, la bête est partout. Comment on fait pour réduire la contagiosité à ce stade ? On prend des mesures barrière… On sort si c’est indispensable. On bosse si c’est vital pour la société, sinon on patiente et on reste chez soi. On vous le dit ! Faites le un point, c’est tout et laissez-nous faire notre taf, on veut justement essayer de tous vous guérir.

J’entends un cri au secours.