Vous autres agrégateurs de toute espèce partez d’un postulat erroné : vous nous donnez à nous blogueurs la visibilité, vous encaissez les bénéfices.

Mauvaise analyse.

Le blogueur se moque de la visibilité. Qu’il soit beaucoup lu ou peu lu ne lui rapporte rien.

Je parle bien sûr du blogueur qui m’intéresse, pas de celui qui fait la promotion indirecte de sa boîte ou de lui-même. Ces blogueurs existent, ils sont minoritaires et en général peu intéressants. On les repère à leur goût pour le politiquement correct (je vous laisse les nommer). Ils ne veulent froisser personne. C’est leur signature.

Ne croyez pas que je sois dans leurs camps sous prétexte que je publie des livres. Je n’ai jamais noté la moindre corrélation entre les ventes de mes livres et la fréquentation de mon blog. Je crois même que mes deux lectorats se recouvrent peu.

En tant que blogueur, j’aime les rencontres et les échanges féconds. Mieux vaut un bon commentaire que dix mille like. En conséquence, non aux agrégateurs qui en nous promettant une visibilité insignifiante s’enrichissent sur notre dos.

Le Web d’aujourd’hui célèbre un recul du droit du travail.

Agrégateurs, vous parlez de partage, alors partagez vos revenus. Toute autre attitude révèlera une posture malhonnête.

Je ne suis pas contre le droit de citation, mais à partir d’aujourd’hui, j’interdis aux entreprises à but lucratif de reproduire mes billets ou même des extraits qui excéderaient quelques lignes.

Dans le même temps, il me paraît légitime de piller les entreprises qui vivent du pillage. C’est un acte de résistance contre le nouvel esclavagisme.

Quand une entreprise utilise de la main-d’œuvre gratuite, je me donne le droit de m’emparer des contenus qu’elle produit de manière rémunérée et de les afficher sur un site de mon choix. Je peux à mon tour devenir agrégateur des agrégateurs et me battre avec leurs armes sur le terrain du référencement naturel. Qu’ils m’envoient leur cohorte d’avocats et qu’ils m’expliquent pourquoi eux se donnent un droit qu’ils me refusent.

Je n’entendrai pas la justification selon laquelle les blogueurs ont donné leur accord. Un accord arraché sur des bases mensongères, qui frisent l’escroquerie, m’apparaît caduc.

Pendant que les agrégateurs deviennent les phares du Web éditorial, les blogs se tarissent. Seb Musset avec qui je parlais la semaine dernière me disait qu’il avait plus de lecteurs il y a quelques années quand il était dans le fin fond du classement des blogueurs qu’aujourd’hui qu’il est au sommet.

Si nous ne nous défendons pas, les lecteurs perdront bientôt l’habitude d’explorer le Web à la recherche des perles rares. Il nous deviendra difficile de construire les petites communautés qui nourrissent notre imaginaire. Nous n’aurons plus de choix que d’implorer les agrégateurs pour qu’ils acceptent nos créations.

Restons libres. Notre blog, c’est notre enveloppe physique dans l’univers numérique. Si nous nous en dépouillons, nous renonçons à notre identité. Nous nous fondons dans une multitude indifférenciée. Nous devenons pâture pour les soiffards de la finance.

Au contraire, anéantissons-les. Refusons de nous soumettre à leur volonté. Poussons-les à payer pour publier. Faisons exploser leur business plan qui suppose l’esclavage consenti. Quand ils auront disparu du paysage, il restera des blogueurs fiers et divers. Le Web redeviendra un espace amusant à explorer, plutôt qu’un désert où germent par endroits des fleurs carnivores.

Note technique

Le Web lui-même est un agrégateur. Il lie entre elles des pages pour que nous puissions passer des unes aux autres. Cet agrégateur ne nécessite aucune base de données centrale des liens. Personne n’a le pouvoir dessus. C’est le coup de génie de Tim Berners-Lee.

Construire des agrégateurs dans le Web, c’est tenter de le centraliser. Quel intérêt ? Qui dit centre, dit point de passage obligatoire, donc possibilité d’instaurer des péages. Ouvrir un agrégateur, c’est commettre un coup d’État dans l’espace numérique, c’est tenter d’en casser la structure horizontale pour réintroduire des hiérarchies.

Les moteurs de recherche ont les premiers perpétré un tel crime. Nous avons accepté qu’ils reconstruisent dynamiquement la base des liens pour que nous puissions l’interroger plus facilement. Mais dès qu’ils ont commencé à choisir l’ordre d’affichage des résultats, ils ont recréé des hiérarchies, donc cassé la topologie ouverte du Web.

Au moins n’ont-ils jamais fait disparaître les pages elles-mêmes. Ils ont continué à pointer vers elles. C’était un compromis acceptable. Il en va tout autrement avec les agrégateurs éditoriaux. Ils détruisent en quelque sorte les sources. Ils les avalent tels des trous noirs informationnels. Ils nous vampirisent.

Il est peut-être déjà trop tard.

Addendum MegaUpload

Je suis pour la libre copie. J’estime que si un lecteur ne peut pas se payer un de mes livres, il doit pouvoir le lire. En revanche, il me paraît dangereux de laisser des sites s’engraisser en diffusant des copies pirates. Les copies doivent circuler librement en P2P, de manière décentralisée, sans point de péage. La fermeture de MegaUpload (et moins sa prochaine réouverture) est une bonne chose (même si je condamne la méthode qui, elle, révèle la peur panique d’un système qui s’effondre).

Les agrégateurs utilisent le même modèle financier que MegaUpload. Différence : ils pillent des œuvres qui ont été diffusées gratuitement. Elles n’en possèdent pas moins des auteurs. À quand une descente du FBI dans leurs locaux ? Vous pouvez attendre. L’esclavage n’est pas prohibé dans notre société.

Addendum Tout travail mérite salaire

Je ne suis pas d’accord. Il m’est arrivé de travailler dur pour planter des melons qui n’ont pas poussé. J’ai écrit de mauvais livres que je n’ai même pas réussi à publier. J’ai chaque fois beaucoup travaillé, mais je ne me suis jamais plaint de ne pas avoir été rétribué (même si j’aurais apprécié de bénéficier d’un dividende universel à ce moment).

En revanche, quand une entreprise exploite le travail d’individus sans contrepartie sérieuse, je ne peux pas l’accepter. Ces individus, par légèreté, par négligence, sont en train de nous ramener à l’esclavage. Ils sont les seuls responsables de ce glissement. Les entreprises qui les publient ne font qu’exploiter leur naïveté politique.