Dans Vie numérique : une étude souligne le grand écart entre le discours et la pratique, Stanislas Kraland laisse croire que je prône la déconnexion. Je serais presque un ayatollah du Net. Il lui aurait suffi de passer ici pour voir que je suis toujours connecté.

Éprouver l’envie de déconnecter ne signifie pas qu’on est contre la connexion. Beaucoup de gens prennent des vacances sans être définitivement contre le travail. Pendant les vacances, on recharge les batteries, pour revenir en pleine forme, peut-être avec de nouvelles idées, un nouvel état d’esprit.

J’ai déconnecté pour toutes ces raisons. Après mon burnout, j’avais besoin de prendre mes distances avec la chose numérique. L’ascèse est une vieille méthode d’introspection et de recadrage. Je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas le droit de l’utiliser, n’en déplaise aux affairistes du Net. Je n’ai jamais entretenu que le but d’esquisser un art de vivre au temps du numérique.

J’en viens à l’étude. « Il n’y a pas le monde numérique d’un côté, et nous de l’autre. » Je ne sais pas qui a postulé cette dichotomie, mais pas moi. Je suis un moniste intégriste.

« Le décalage est total entre un discours très négatif et pathologisant quant aux nouvelles technologies, et la réalité des pratiques », résume la sociologue Laurence Allard. En d’autres termes, si nous avons le sentiment d’être addicts ou accros, c’est bien plus à cause du discours et des idées communément admises sur les nouvelles technologies, les smartphones ou les réseaux sociaux, qu’en raison de notre vécu au quotidien.

Laurence, tente donc de persuader les gens qui, comme je le faisais, s’endorment avec leur téléphone ou leur iPad, le caresse dès qu’ils se réveillent pour aller pisser, puis entrent en action au milieu de la nuit… ou au milieu de n’importe quoi, d’une ballade sur une crête enneigée.

J’étais durant toute la semaine en compagnie de Didier Pittet, pour préparer L’homme qui lave les mains, son téléphone n’arrêtait pas de biper : sms, mails, coups de fil… Nous avons beaucoup parlé de cette agression perpétuelle, sans cesse croissante. Il n’y a que les andouilles qui parlent d’une addiction au Net. Il ne s’agit pas de ça, mais d’une pression constante, à laquelle il est parfois difficile de résister, par manque justement d’un art de vivre.

Et bien facile d’observer des utilisateurs choisis par hasard. Il faut s’intéresser à ceux qui sont en ligne depuis longtemps, ceux qui poussent les usages du net, ceux qui les devancent, ceux que le travail met sous pression… Nous ne menons pas tous la même vie numérique. Il y a des workaholics comme il y a netaholics. J’en suis un, et je me soigne.

Donc perso je ne veux pas diaboliser le Net mais faire en sorte qu’il me grandisse. Virer de ma vie les services inutiles, les lieux qui empestent le fric sale ou bruissent de conversations débiles. Je veux trier, filtrer, dominer… et publier, ne pas me contenter d’être un esclave servile.

Le chemin est encore long. Internet n’est pas un outil mais un territoire, avec ses villes et ses citadins, ses campagnes et ses bobos. On ne réglera pas nos problèmes avec lui en retournant son mobile sur le ventre. Nous devons ouvrir notre boîte à outils et construire.