Quand on veut voir un quelconque changement se produire dans le monde, on peut supposer que certaines stratégies fonctionnent, d’autres pas.

J’entends souvent crier au boycott des produits Apple, Google, Amazon… pour s’opposer à leur toute-puissance dictatoriale.

Bien sûr que ces entreprises sont dangereuses, comme toutes les structures qui se centralisent et se déshumanisent, même les États. Mais à quoi bon boycotter un tel, pour se lier à tel autre, tout juste moins visible, et en plus totalement interdépendant avec les sus stigmatisés.

C’est bon pour la com, mais ça n’a aucun effet. Il faut d’abord se demander ce qui cloche dans le système, ce qui au fond de lui est vérolé et par quoi on pourrait le remplacer. N’avez-vous pas remarquez que quand on change de gouvernement, les choses ne s’améliorent pas vraiment. Parce que le système est plus fort que les hommes. Il faut s’attaquer aux mécanismes. Tuer une entreprise en particulier ne servira qu’à en faire surgir une autre tout aussi pire.

La critiquer pour ses agissements hors la loi, ou à la limite de la loi, ou éthiquement discutables, c’est une nécessité. Aveuglément la boycotter, surtout quand elle n’a pas outrepassé la loi, n’est pas nécessairement la bonne stratégie.

Un exemple.

Mi-octobre, je vais diffuser en licence cc-by-sa L’homme qui lave les mains, un livre qui fait l’éloge de la société du don, d’un autre modèle de société tout en racontant la vie et l’œuvre de Didier Pittet.

Si des entreprises méprisables n’avaient pas développé des lecteurs d’ebooks, tablettes et autres readers, je n’aurais jamais pu sortir ce livre gratuitement. J’aurais dû d’un côté vanter un modèle de société, de l’autre, pour le livre, en adopter un autre. Cette incohérence assez répandue me gêne.

Amazon en poussant depuis des années les readers sur le marché, paradoxalement, nous offre les armes pour lutter contre le modèle Amazon. Les pensées alternatives peuvent mieux se propager. Les autres possibilités de sociétés peuvent être discutées. Elles peuvent même être mises en œuvre. Et pour commencer en diffusant des œuvres immédiatement offertes dans le domaine public tout en leur donnant une chance d’être accessibles.

Le judoka retourne l’ennemi contre lui-même. Je crois qu’il n’existe aujourd’hui aucune autre stratégie. Nous n’avons pas comme Gandhi un seul ennemi. Nous affrontons une pieuvre. Contre elle, la révolte pacifique ne peut qu’être informative. Toute entreprise qui nous offre des outils technologiques plus performants sert notre cause.

Et plus ils sont performants, mieux nous sommes armés. Dans le domaine des liseuses électroniques Amazon n’est pas le seul acteur, mais un acteur souvent moteur… et ses concurrents, certes plus petits, ne valent pas nécessairement mieux sur le plan éthique.

Pour les mêmes raisons, je ne suis pas 100 % Linux. Certains logiciels pour moi vitaux n’existent pas sur Linux ou ne sont pas au niveau. M’en passer serait réduire mon arsenal de combat. Je ne vois pas pourquoi je ferai cette fleur à mes adversaires. Je les utilise contre eux-mêmes.

Alors dénoncer oui. Ramener dans le droit chemin, oui, mais boycotter systématiquement non. Boycotter un produit qui nous libère ça n’a aucun sens. Gandhi n’a pas boycotté la presse sous prétexte qu’elle était aux mains des Anglais, il a créé une presse concurrente.

Amazon diffuse ses livres, nous pouvons sur ses appareils diffuser les nôtres. Amazon, comme tous les acteurs centralisés, veut protéger son écosystème, depuis longtemps les hackers l’ont ouvert. Je peux très bien lire sur Kindle et ne jamais acheter chez Amazon.

Le boycott ne fonctionne que quand il porte un coup décisif. Les escarmouches dans ce domaine n’ont aucune utilité. Elles peuvent satisfaire l’amour propre du boycotteur, mais sa lucidité devrait lui dire qu’il s’illusionne. Son geste est un coup d’épée dans l’eau.

Les boîtes comme Amazon ne nous plaisent pas. Alors demandons-nous pourquoi de telles boîtes apparaissent systématiquement. Qu’est-ce qu’il faudrait changer ? Sans doute un composant très profond chez l’homme : le grégarisme. Le remplacer par la responsabilité et rendre la délégation moins tentante. Tout cela passe par une longue initiation.