Pourquoi j’arrête avec publie.net : fin d’expérimentation

Rien de plus classique que la rupture entre un auteur et un éditeur. Une histoire si banale qu’elle ne mérite pas d’être racontée. Je ne le fais que parce que quelque chose ne tourne pas rond dans la planète ebook.

J’ai publié mes premiers textes chez publie.net en 2010 à l’invitation de François Bon. Nous avions l’espoir de changer en profondeur l’édition, de nous regrouper, de créer une sorte d’école. Nous n’avons jamais formalisé ce souhait par un manifeste, il était néanmoins en nous tous, surtout lors des rencontres d’Ouessant. Publier pour publier ne nous motivait pas, puisque nous pouvions déjà le faire de notre côté ou par ailleurs, mais le faire ensemble donnait plus de poids à chacun de nos textes pris individuellement. Nous formions une bande désordonnée, une espèce de horde sauvage en marge de l’édition traditionnelle.

Publier pour publier ne m’intéresse toujours pas. Je rencontre beaucoup d’auteurs qui se croient arrivés parce qu’un de leur livre se retrouve dans une librairie. Ajouter du papier à du papier dont le destin est de finir au pilon avant lecture n’est pas un but en soi.

  • Je ne suis auteur que si j’ai des lecteurs.
  • Je ne travaille avec un éditeur que s’il peut étendre mon lectorat.
  • Je ne travaille avec un éditeur pure-player que s’il vit à la vitesse du numérique, que s’il en maîtrise les codes.

Je n’attends donc pas seulement d’un éditeur qu’il me publie. Cette mise sur le marché ne me fait ni chaud ni froid. Je n’en tire ni fierté ni satisfaction d’autant que je peux m’autopublier quand je veux. Quand un éditeur étend mon lectorat comme Fayard l’a fait, j’accepte quelques contraintes éditoriales, quand un éditeur comme publie.net ne vend pas mieux mes livres que si je les vendais en direct, j’attends autre chose : une amitié, une intimité, une réactivité, une inventivité, une complicité.

Pour que les choses soient claires, voici mes chiffres de ventes ebook chez publie.net :

  1. J’ai eu l’idée, 2010, 60 ventes.
  2. L’alternative nomade, 2010, 162 ventes.
  3. Ya Basta, 2011, 116 ventes.
  4. Bit, sex & bug, 2011, 37 ventes.
  5. Baby-foot, 2012, 27 ventes.
  6. La mécanique du texte, 2015, 98 ventes.

Qu’en conclure ?

  1. Que je suis un piètre vendeur (mes chiffres ne sont malheureusement pas les pires de publie.net, loin de là).
  2. Que publie.net est un piètre vendeur (nos chiffres de ventes invariablement catastrophiques le confirment).

Comme je n’ai pas rejoint publie.net pour gagner de l’argent, mais pour expérimenter une autre façon d’éditer, je ne leur en veux pas pour leurs méventes. En revanche, ça coince quand « leur autre façon d’éditer » ressemble de plus en plus à celle des autres éditeurs. Là, je ne m’y reconnais plus. Quand chez publie.net ils cherchent à se coller l’étiquette « vrai éditeur », ils m’emmerdent, parce que rien dans leurs résultats ne justifie leurs prétentions. Les amis, vous n’avez pas fait vos preuves.

Pire, vous trahissez les espoirs d’une édition différente. Quand nous avons travaillé La mécanique du texte, j’ai déjà ressenti un clivage naissant. Il m’a une fois été envoyé à la gueule que si j’étais chez publie.net juste pour coller leur logo sur mes textes et profiter de leur notoriété je pouvais aller voir ailleurs.

Merde. Depuis quand être estampillé publie.net nous honore ? Quand François était le garant d’une certaine littérarité, sans doute que publie.net représentait quelque chose. C’est bien terminé. Publie.net n’est pas Gallimard, Le Seuil, Fayard… Publie.net restait pour moi un endroit où on s’amuse à commettre des expériences éditoriales. Je n’avais pas pris conscience que ce vieil idéal était bel et bien mort depuis le départ de François.

Une goutte a fait déborder le vase. Depuis le début du mouvement #NuitDebout, je songe à créer une édition spéciale de Ya Basta, parce ce texte parle exactement de ce qui se passe sur nos places, et de pourquoi c’est historiquement important. J’ai donc relu mon texte, retouché quelques points, ajouté une préface et un petit chapitre terminal. Et là, ça coince avec publie.net, pour des raisons humaines et techniques.

Quand je propose de distribuer la nouvelle mouture de Ya Basta, ça rechigne ce qui me gonfle, parce que si t’es un pure-player, tu dois éditer à la vitesse du numérique et avec les outils du numérique (même avec des ventes catastrophiques parce qu’on s’en fiche des ventes, c’est le deal de départ). Tes textes tu dois les stocker en Markdown et disposer de filtres pour générer d’un clic les différentes versions à publier. Un traitement de texte comme Ulysses sait déjà faire ça plutôt pas mal. Si tu ne veux pas faire comme ça, tu enlèves le « .net » de ton nom et tu arrêtes d’arborer une spécialité dans un domaine que tu ne maîtriseras jamais parce que tu refuses d’apprendre à pisser trois lignes de code informatique.

Voilà le véritable sujet de la rupture. Si je travaille avec un pure-player c’est pour qu’on s’éclate aussi sur la mécanique éditoriale, pas que nous fassions exactement comme tous les autres, en plus mal parce que nous vendons moins qu’eux. Si j’accepte parfois de suivre un processus éditorial lent, fermé, figé, c’est parce qu’en contrepartie je gagne des lecteurs. Chez publie.net, j’attendais autre chose, autrement.

J’ai donc demandé à publie.net de retirer mes textes de son catalogue. Fin de parenthèse. Il me reste maintenant à remettre en ligne tous ces textes qui sinon disparaîtront du Net. Je reprends le pouvoir, je me redonne le droit de modifier et compléter quand je veux. Tant que je suis vivant, je refuse de figer mes mots.