Que les choses soient claires, j’espère, une fois pour toutes : être partisan de la société du don n’implique pas d’être adversaire de la société marchande. Ces deux modes de rémunération peuvent cohabiter. De fait, c’est le cas depuis des siècles.

Sans la société du don, vous seriez incapable de préparer une blanquette de veau ou une tarte Tatin. Ce qui n’a jamais empêché personne d’aller commander une blanquette ou une tarte dans un restaurant, et de les payer au prix affiché sur le menu.

Il faut avoir l’esprit bien retors pour considérer le don comme une contrainte coercitive. Le don ne peut être imposé, sinon il devient un impôt. Mais le don volontaire, celui qui nous apparaît nécessaire au plus profond de nous a un pouvoir bien plus grand qu’un simple achat.

Quand je vais en librairie acquérir un livre, j’établis un lien assez lâche avec l’auteur, nourrissant au passage toute une chaîne d’intermédiaires, et finalement ne concédant au créateur qu’une portion congrue de la récompense que je lui destine.

Quand j’ai récupéré gratuitement un livre et que je décide de faire un don à l’auteur, je choisis :

  1. Le moment du don, souvent après avoir apprécié le livre, donc avec une grande conscience de mon acte et de ses implications. Je sais ce que je remercie. Je ne paie pas en échange d’une promesse, mais je paie un plaisir consommé tout en encourageant l’auteur à répéter sa prouesse. Notez que le don n’est pas nécessairement monétaire. Quand j’écris une citrique, par exemple du dernier Bathelot, je donne mon temps, offre mon réseau.

  2. Le montant du don, qui dépend de mes moyens et aussi de mon enthousiasme. Un généreux donateur vient ainsi d’offrir 25 000 € à la fondation CleanHandsSaveLives.org que nous créons à l’occasion de sortie de mon livre Le geste qui sauve.

  3. La transparence du don, qui implique que mon nom apparaisse. Ce n’est pas une obligation, mais cette transparence est essentielle, à mon sens. Elle lie étroitement le donateur et le receveur. Établit entre eux un lien, une courroie de transmission à travers laquelle des interactions pourront circuler à l’avenir.

Parce que l’achat n’implique que le choix d’acheter ou non, il a moins d’impact transformif qu’un don. Un don crée un lien fort, un lien potentiellement réciproque, nominatif, durable. Et ce lien participe à la complexification du monde. Il est libératoire, comme je l’ai montré dans L’alternative nomade.

Pour toutes ces raisons, je préfère recevoir un don que vendre un livre. Parce que le lecteur n’y était pas obligé, son acte a plus de sens pour moi. Il me rend beaucoup plus heureux (ce qui est une conséquence immédiate de l’acte libératoire). Et parce que le don libère et réjouit, il se pertpétuera même dans un monde où le non-marchand sera légalisé. La gratuité d’un bien n’implique pas l’abscence de revenu pour son créateur.

Give me some sugar, little honey bee par monkeyc.net
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